
La mauvaise blague a assez duré
Léa Clermont-Dion
Autrice, réalisatrice et chercheuse à l'Université Concordia
Le 17 juillet dernier, Gilbert Rozon prenait l'initiative de nous exposer son point de vue sur les violences sexuelles, le mouvement #metoo qu'il caricature grossièrement comme un grand complot – et, surtout, de se poser en victime.
Sociologue improvisé, Rozon dépeint le mouvement comme un « bûcher qui, dans sa version actuelle, n'attend plus de preuves ».
Faut-il comprendre que, dans sa logique, ce sont les agresseurs présumés qui seraient envoyés au bûcher ? Si l'on suit sa métaphore, les victimes d'agressions sexuelles qui dénoncent deviennent les véritables coupables. Une inversion des rôles pour le moins perverse, mais répandue chez les influenceurs masculinistes comme Andrew Tate et parfois même dans la défense des agresseurs lors de procès au Québec.
Autre observation généreusement offerte par Monsieur Rozon : « C'est kafkaïen. C'est ubuesque. C'est stalinien. C'est une forme douce de totalitarisme. » Il poursuit : « Et, malheureusement, je dois encore me battre contre les médias devenus les complices zélés de #metoo. »
Un mouvement historique
Le mouvement #metoo est historique, et le Québec s'y illustre de façon exemplaire. Grâce à cette mobilisation – portée par des milliers de voix –, des gains politiques concrets ont été réalisés. Le système de justice a été amélioré pour mieux traiter les plaintes d'agressions sexuelles. Des exemples ? L'implantation de tribunaux spécialisés en matière de violences sexuelles et conjugales, l'adoption de la loi 22 qui vise à prévenir les violences à caractère sexuel dans les établissements d'enseignement supérieur et à lutter contre elles, l'adoption de la poursuite verticale, etc.
À ce jour, 166 des 190 recommandations du rapport Rebâtir la confiance qui a découlé de #metoo ont donné lieu à des actions concrètes pour améliorer l'accompagnement des victimes d'agressions sexuelles dans leur processus judiciaire. Rozon erre en comparant ce mouvement à une forme de totalitarisme émotionnel. « Une reprogrammation des faits au service d'un récit. » Le totalitarisme, si l'on se fie à l'analyse d'Hannah Arendt, désigne généralement un régime fondé sur la terreur, le mensonge systémique et l'effacement de la réalité.
Alors vraiment, le mouvement #metoo serait-il totalitaire ? Au contraire : #metoo a renforcé l'équité, la justice et l'État de droit.
Suis-je surprise de lire de telles errances ? Pas vraiment. Je viens tout juste de publier un chapitre dans l'ouvrage collectif Polémiques publiques, médias et radicalités discursives (Presses de l'Université Laval)4, qui porte précisément sur les rhétoriques du blâme de la victime dans les médias.
Gilbert Rozon a bu le kool-aid de l'idéologie réactionnaire dénigrant joyeusement les victimes d'agressions sexuelles – un discours bien rodé qui ne se contente pas de discréditer les personnes qui dénoncent, mais attaque aussi systématiquement le mouvement #metoo. À partir d'une analyse de discours des textes médiatiques marquants depuis 2017, j'ai mis en lumière cette mécanique de décrédibilisation. La lettre publiée jeudi en est un exemple éclatant.
Trois arguments à démonter
Dans le livre, j'identifie trois grands argumentaires de dénigrement des victimes et du mouvement #metoo. Le premier, appelé argumentaire victimaire, repose sur l'idée que les femmes qui dénoncent se complairaient dans une posture de victime perpétuelle. Cette posture est dépeinte comme stratégique, voire manipulatrice, et associée à une forme de fanatisme idéologique. La psychologue Patrizia Romito montre que cette accusation vise à renverser la culpabilité, à banaliser la violence subie et à déshumaniser les victimes en les rendant responsables de leur propre souffrance.
Le deuxième argumentaire, celui du lynchage, accuse les victimes de chercher à punir publiquement les présumés agresseurs sans passer par la justice formelle. On y retrouve l'idée d'un « néoféminisme toxique » qui instrumentaliserait les dénonciations pour mener des campagnes de diffamation, souvent facilitées par les réseaux sociaux.
Le troisième argumentaire mobilise la défense de l'État de droit. Il avance que les dénonciations publiques érodent la présomption d'innocence et constituent une menace pour la démocratie. Selon cette perspective, la libération de la parole se ferait au détriment des principes fondamentaux de justice.
Les femmes dénonciatrices sont parfois qualifiées d'hystériques ou d'instrumentalisées, et l'on craint une substitution des « tribunaux médiatiques » aux institutions judiciaires officielles.
La parole de Gilbert Rozon est symptomatique d'une perspective malheureusement répandue et c'est déplorable. Ces trois types de discours forment un socle commun de remise en question de la parole des victimes. Ils contribuent à la banalisation des violences sexuelles, à la perpétuation d'un ordre social inégalitaire et à la consolidation d'un backlash sous couvert de défense des libertés et des institutions.
Je suis profondément préoccupée. Une récente étude révèle que 75 % des jeunes Québécois âgés de 15 à 25 ans adhèrent à des mythes remettant en question la crédibilité des femmes victimes d'agressions sexuelles. Plus de 7 jeunes sur 10 de cette même tranche d'âge adhèrent également à des idées qui tendent à déresponsabiliser les hommes auteurs de ces violences5.
Ce constat est alarmant. Il me semble impératif de redoubler d'efforts en matière d'éducation à la prévention des violences sexuelles. Surtout, il faut répliquer aux discours fallacieux et dangereux qui continuent d'être relayés, parfois avec aplomb et ridicule, dans les médias. Cette mauvaise blague a assez duré.
1. Lisez la lettre de Gilbert Rozon
2. Lisez la chronique d'Isabelle Hachey « Le monde parallèle de Gilbert Rozon »
3. Lisez l'éditorial de Stéphanie Grammond « Rozon fait l'étrange procès de son procès »
4. Clermont-Dion, L. (2025). Blâme de la victime : une analyse dans la presse québécoise (2014 – 2022). Dans M. Potvin, F. Nadeau, S. Tremblay, M.-E. Carignan & M. Colin (Dirs.), Polémiques publiques, médias et radicalités discursives (chap. 8). Presses de l'Université du Québec.
5. Karine Baril, Dominique Trottier, Manon Bergeron, et Sandrine Ricci (2025). L'adhésion aux mythes et préjugés sur l'agression sexuelle chez les Québécoises et Québécois de 15 ans et plus – Rapport synthèse. Montréal (Qc), Canada : Chaire de recherche sur les violences sexistes et sexuelles en milieu d'enseignement supérieur, Université du Québec à Montréal.
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