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« Comme une faucheuse dans la nuit »
Le mémorial improvisé aux victimes des inondations prend de l'ampleur chaque jour depuis mercredi, sur une clôture de Kerrville, au Texas.
Harley Moeller a le sourire timide, les cheveux en bataille et un éclat de fierté dans le regard.
Entre ses petites mains, elle tient son diplôme de fin d'études de la maternelle. Sur sa photo, au cadrage serré, on peut voir les bras de ses parents qui l'enserrent. On devine leur fierté, à eux aussi. Leur amour.
La fillette de 6 ans a péri dans la crue brutale du fleuve Guadalupe, pendant la nuit du 4 juillet, en même temps que toute sa famille. Son portrait fait partie des centaines qui s'accumulent depuis mercredi sur une longue palissade d'acier galvanisé, dans la rue principale de Kerville.
PHOTO MAXIME BERGERON, LA PRESSE
La petite Harley Moeller fait partie des 36 enfants morts dans les inondations dans le comté de Kerr.
Autour des photos, des messages d'adieu, des fleurs et des peluches s'étendent sur des dizaines de mètres. Le site, qui grossit d'heure en heure, est devenu le principal lieu de recueillement pour les citoyens de la communauté de 24 000 habitants.
Un mémorial improvisé, situé à quelques dizaines de mètres du fleuve qui a avalé près de 300 vies.
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Christy Cooper, native de Kerrville, était très émue après avoir parcouru le mémorial. Elle connaissait deux victimes.
« Cette inondation est venue comme une faucheuse dans la nuit », me dit entre deux sanglots Christy Cooper, native de Kerrville.
Elle connaissait deux des victimes.
« C'est encore dur d'y croire », poursuit-elle.
J'étais assise sur mon porche ce matin, en buvant mon café, et je pouvais entendre les scies mécaniques, la machinerie lourde, les « bips » des machines qui reculent. Je savais qu'ils étaient encore en train de récupérer des corps, juste en bas de chez moi.
Christy Cooper, native de Kerrville
La communauté de Mme Cooper été frappée en plein cœur. Le tiers des victimes de l'inondation – 36 enfants et 67 adultes – viennent d'ici, dans le comté de Kerr. Tout le monde se connaît, et tout le monde connaît au moins une personne décédée.
Souvent plusieurs.
Les citoyens du coin ont des opinions politiques tranchées, mais cela n'a plus aucune importance depuis une semaine, tient à souligner Christy Cooper.
« Nous sommes peut-être conservateurs par ici, mais pour chacune des personnes rassemblées ici, je ne vois pas la race, je me fous de l'orientation sexuelle et encore plus de savoir pour qui vous avez voté. Nous sommes tous les mêmes en ce moment, et c'est ce qui aide la communauté. »
Gino Delgadillo se tient droit comme une barre en déambulant devant le mémorial. Le retraité des Forces aériennes s'attarde devant plusieurs des photos accrochées à la clôture. Il me pointe un à un ses amis morts dans le déluge.
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Gino Delgadillo, retraité des Forces aériennes, connaissait plusieurs des victimes.
L'homme de 71 ans me parle de Jane Ragsdale, propriétaire de deux colonies de vacances au bord du fleuve Guadalupe, maintenant détruites. De Reece Zunke, l'entraîneur de soccer de l'école secondaire qui a appris le sport à ses enfants. Ou encore de Richard Eastland, le propriétaire du Camp Mystic, mort en même temps qu'une trentaine d'enfants dans la nuit du 4 juillet.
« C'est tragique, c'est historique, ils disent que les évènements comme ça arrivent aux 200 ans, relate-t-il. Le président Trump est même venu ici hier, vous l'avez vu ? »
Je dis que le mémorial a été improvisé, mais ce n'est pas tout à fait exact. Il est né sous l'impulsion d'un gars de 30 ans de Miami, Leo Soto, qui a sauté dans le premier vol vers San Antonio lorsqu'il a pris connaissance de la tragédie.
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Leo Soto, 30 ans, est venu de Miami pour démarrer le mémorial à la mémoire des victimes.
C'est la deuxième installation du genre qu'il crée pour honorer des victimes. Sa première remonte à 2021, quand une tour de condos de Surfside, près de chez lui, s'était écroulée, faisant 98 morts.
J'ai été touché par l'histoire et les photos de tous ces enfants morts au Camp Mystic. Quand une tragédie prend une telle ampleur, c'est dur de trouver un endroit où tout le monde peut se rassembler sans déranger les opérations de sauvetage.
Leo Soto
Le Floridien a trouvé une clôture « Frost » qui ceinturait un bâtiment abandonné du centre-ville, puis il a contacté des fleuristes pour obtenir des fleurs gratuites. Son projet a fait boule de neige, agissant comme un baume pour les résidants du secteur.
« C'est ça qui est le plus puissant : les gens ajoutent continuellement des images, des mots et des fleurs. Ça n'arrête pas. »
Les Texans endeuillés se tournent vers le mémorial, mais aussi, beaucoup, vers Jésus.
Plusieurs célébrations religieuses ont eu lieu depuis la tragédie, dont une veillée qui a rassemblé des centaines de personnes au stade de Kerrville, vendredi. Des citoyens croisés samedi continuaient toujours à chercher une signification au drame, par la lorgnette de la religion catholique.
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Le mémorial de Kerrville
Laura, qui distribuait des bouteilles d'eau avec ses deux petits garçons, m'a fait un long exposé créationniste – Dieu a créé la Terre, Adam et Eve ont péché, le Big Bang n'existe pas, etc. – et sur les causes potentielles de cette tragédie.
Elle m'a aussi fait part de sa théorie sur le sort qui sera réservé aux âmes des victimes. « Plusieurs d'entre elles étaient chrétiennes, comme les petites filles du Camp Mystic. Ç'a l'air cliché à dire, mais elles sont certainement à un meilleur endroit maintenant. »
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Roderick Pfeiffer se promène en ville avec sa croix, que plusieurs citoyens demandent de toucher.
Croix géante à l'épaule, Roderick Pfeiffer m'a tenu une version encore plus étoffée de ce discours. Le ferrailleur de 66 ans voit dans la tragédie du 4 juillet rien de moins qu'un signe annonciateur de l'apocalypse…
Son discours a beau être intense, l'homme est populaire à Kerrville. Pendant notre conversation d'une quinzaine de minutes, plusieurs automobilistes l'ont klaxonné. Plus surprenant, peut-être : des passants ont demandé de toucher sa croix, et de prier avec lui.
« Ça arrive beaucoup, dernièrement. »