3 days ago
Les petits cabinets d'avocats au front contre Trump
Michael Ansell, avocat indépendant, dans son bureau à domicile à Morristown, au New Jersey
(Washington) Devant les décrets punitifs de Donald Trump contre les grands cabinets d'avocats, certains ont plié et d'autres hésitent à défendre sans frais des causes d'intérêt public qui les mettraient en porte-à-faux avec l'administration.
Elizabeth Williamson
The New York Times
Mais quand les opposants aux politiques de la Maison-Blanche ont organisé des contestations devant les tribunaux, ils ont vite constaté qu'ils n'avaient pas besoin des grands cabinets. Au contraire, une armée d'avocats indépendants, d'anciens avocats du gouvernement et de petits cabinets d'avocats ont offert de les représenter « pro bono » (de la locution latine pro bono publico : « pour le bien public »), c'est-à-dire gratuitement.
« Je ne sais pas si l'administration savait combien il y a de petits acteurs dans le domaine du droit », dit Michael H. Ansell, avocat indépendant à Morristown, au New Jersey, qui s'est joint cette année au Pro Bono Litigation Corps, récemment créé par Lawyers for Good Government.
Il a répondu à l'appel de cet OSBL juridique qui recherchait des avocats prêts à consacrer au moins 20 heures par semaine à une cause. Plus de 80 se sont portés volontaires.
Contester ou se plier
Au début de l'année, M. Trump a publié une série de décrets et menacé de grands cabinets d'avocats ayant défendu des clients ou des causes qu'il n'aime pas.
PHOTO JULIA DEMAREE NIKHINSON, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS
Parmi les centaines de décrets présidentiels signés par Donald Trump, certains visent des cabinets qui s'étaient opposés à lui par le passé en leur interdisant l'accès aux documents et aux bâtiments fédéraux.
Certains cabinets ont contesté ces décrets avec succès devant les tribunaux, mais d'autres se sont empressés de capituler, acceptant de consacrer 1 milliard de dollars en ressources à des causes chères à l'administration. Parmi ceux qui ont tenu tête à M. Trump, certains hésitent à se le remettre à dos en acceptant des causes visant son administration.
Me Ansell et d'autres collègues, eux, sont pressés d'en découdre. Il a interrogé des plaignants pour préparer une poursuite fin juin en Cour fédérale du district de Columbia contre l'Agence de protection de l'environnement (EPA).
Une vingtaine de groupes communautaires, environnementaux et autochtones ainsi que trois villes du Massachusetts et de Californie réclament les fonds qui leur avaient été accordés par l'EPA, mais qu'ils ont perdus après l'annulation des subventions pour la justice environnementale et climatique.
« La dernière ligne de défense, c'est nous, semble-t-il », constate Me Ansell.
Me Ansell représente généralement de petites entreprises : « Alors, je ne risque pas de perdre de gros clients qui font affaire avec le gouvernement », dit-il.
Au front « pro bono »
Le tsunami de poursuites contre l'administration – plus de 400, d'après le décompte du New York Times – l'a convaincu de se lancer. Il est particulièrement motivé par les cas de violation du droit à se faire entendre en cour, « où l'administration déclare : 'C'est interdit' ou 'Cette personne est un criminel', et où personne ne peut contester ces affirmations », explique-t-il.
L'assurance responsabilité professionnelle et autres nécessités sont prises en charge par Lawyers for Good Government, qui est financé par des dons, dont 1,6 million de dollars versés par des plaideurs d'Atlanta.
Le Pro Bono Litigation Corps est le petit nouveau dans la lutte contre des mesures du programme de M. Trump, menée par de grands OSBL comme Democracy Forward, Democracy Defenders Fund, Protect Democracy, Public Citizen et l'Union américaine pour les libertés civiles (ACLU – l'équivalent américain de la Ligue des droits et libertés).
Il est dirigé par John Marks, fondateur de l'OSBL Search for Common Ground, et Gary DiBianco, ex-associé chez Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom, qui avait pris sa retraite avant que le cabinet n'amadoue M. Trump en s'engageant à donner pour 100 millions de dollars en services à ses causes.
Les petits cabinets et les avocats indépendants ont pris le relais en immigration, des causes qui, pendant le premier mandat de M. Trump, étaient souvent assumées pro bono par les grands cabinets.
Ce mois-ci, des groupes de défense des droits se sont opposés en vain à l'expulsion de huit migrants vers le Soudan du Sud.
PHOTO BLAKE FAGAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
Descente de la police fédérale de l'immigration dans une ferme de Camarillo, en Californie, le 10 juillet dernier
Plusieurs groupes ont lancé des poursuites après la décision de la Cour suprême en juin empêchant les juges des tribunaux inférieurs de bloquer les politiques de l'exécutif à l'échelle nationale, dans un jugement sur l'annulation par M. Trump du droit du sol1.
Un juge du New Hampshire a alors bloqué le décret présidentiel à ce sujet après avoir autorisé une action collective, l'un des rares moyens dont disposent toujours les tribunaux inférieurs pour surmonter les limites draconiennes imposées par le plus haut tribunal.
« Si chaque immigrant qui a eu un enfant aux États-Unis doit aller en cour pour lui obtenir la citoyenneté, nous sommes prêts à créer une armée d'avocats pour représenter ces gens », promet M. DiBianco.
La force du nombre
Après que le grand cabinet Perkins Coie a intenté une action en justice contre le département de la Justice afin de bloquer le décret présidentiel de Trump le visant, 504 cabinets ont signé un mémoire en sa faveur.
Parmi ces signataires prêts à s'opposer publiquement à M. Trump, bien peu de grands cabinets : seuls 8 des 100 plus grands cabinets ont signé.
Et parmi eux : WilmerHale, Susman Godfrey, Jenner & Block et Covington & Burling, quatre grands noms visés par les décrets de Trump et ayant intenté des poursuites pour les bloquer.
La plupart sont bien plus modestes. Karen C. Burgess, avocate spécialisée en litiges commerciaux à Austin, au Texas, dit avoir signé parce qu'elle est « renversée » par les décrets présidentiels, qui lui rappellent les listes noires de l'ère McCarthy. « Ils ont l'effet dissuasif espéré. »
Lorsque Mme Burgess a appris en mars que l'enquête de l'administration Trump sur les programmes de diversité, équité et inclusion dans les universités avait touché l'Université Rice, où elle a fait son droit, elle a contacté la direction pour la représenter si l'affaire aboutissait en cour.
Mme Burgess fait remarquer que sur les 1,3 million d'avocats américains, bien peu pratiquent dans de grands cabinets.
PHOTO ILANA PANICH-LINSMAN, THE NEW YORK TIMES
Karen C. Burgess, avocate spécialisée en litiges commerciaux à Austin, au Texas
Partout où il y a un tribunal, il y a un avocat. Nous sommes petits, mais nombreux et prêts à nous battre si nécessaire.
Karen C. Burgess, avocate spécialisée en litiges commerciaux à Austin, au Texas
Une poignée de grands cabinets se sont joints à la bataille. Cooley, un cabinet coté parmi les 100 meilleurs, représente Jenner & Block dans son procès contre le décret de Trump. Quinn Emanuel Urquhart & Sullivan représente Harvard, une cible de prédilection de M. Trump dans son assaut contre les universités.
Le codirecteur du cabinet, William A. Burck, conseillait en matière d'éthique la Trump Organization. Après qu'il a accepté de représenter Harvard en avril, les fils Trump l'ont congédié.
« Les cabinets de petite et moyenne taille ont plus que comblé le vide », constate Norman Eisen, ancien responsable de l'éthique de l'administration Obama qui a fondé le Democracy Defenders Fund.
Cet OSBL a traité de nombreuses affaires très médiatisées mettant en cause l'administration, ce qui a incité Trump à inclure nommément M. Eisen dans un décret interdisant à divers cabinets « l'accès sans escorte aux bâtiments du gouvernement américain » et la consultation d'information classifiée.
1. Lisez « La Cour suprême limite le pouvoir des juges de bloquer les décrets de Trump »
Cet article a été publié dans le New York Times
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