
«Francophonie, industrie du jeu vidéo... la France a oublié qu'elle avait des leviers pour son soft power»
Blanche Leridon est essayiste, directrice éditoriale de l'Institut Montaigne, et enseignante à Sciences Po. Elle a dirigé avec Hortense Miginiac la note « Diplomatie culturelle : quatre vecteurs essentiels pour la France » , pour l'Institut Montaigne, parue le 10 juillet 2025.
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LE FIGARO. - Pouvez-vous détailler les quatre vecteurs d'influence française que vous jugez prioritaires dans la note ?
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Blanche LERIDON. - Nous avons identifié quatre vecteurs essentiels qui doivent permettre à la France de répondre aux bouleversements internationaux actuels. Le premier concerne la langue française et la francophonie. Il ne s'agit pas de promouvoir un français conquérant et vertical, mais bien de comprendre que le français est bien plus qu'un idiome. C'est une façon de penser, de voir le monde, qui encourage d'ailleurs la promotion du plurilinguisme. Prenez le développement des IA : on sait que les bases des intelligences artificielles sont essentiellement nourries de données anglo-saxonnes, ce qui ne favorise pas la diversité et aboutit à une uniformisation délétère de nos modes de pensée. Il faut également renforcer l'attractivité universitaire française - mais aussi européenne, alors que les libertés académiques sont fragilisées aux États-Unis depuis le retour de Donald Trump. Tout en restant lucides quant à notre capacité à absorber les demandes d'universitaires venus d'ailleurs.
Le deuxième point, c'est notre réseau culturel à l'étranger, l'un des plus développés au monde en termes de diplomatie culturelle. Il n'y a qu'à observer le nombre d'établissements français à l'étranger, de lycées français, d'Instituts et d'alliances français, qui sont autant de relais à exploiter. Notre audiovisuel extérieur est également très puissant, via France Médias Monde qui regroupe France 24, RFI, TV5Monde... Cela permet, dans une démarche plurilingue, de véhiculer une information de qualité auprès d'un large public, au nom d'une certaine idée du débat public, de sa fiabilité, de sa rigueur intellectuelle. Il s'agit de partager une certaine idée de l'information, du débat, à un moment où les États-Unis reculent également sur ce terrain avec le démantèlement de Voice of America notamment. Mais ce réseau, physique ou audiovisuel, doit être plus performant, plus horizontal, plus « co-construit » avec les pays où nous sommes présents. Ce réseau, s'agissant de l'audiovisuel notamment, peut être un rempart contre les risques d'ingérence et de désinformation.
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Nos industries culturelles et créatives constituent un troisième vecteur. Au-delà de notre cinéma, on oublie parfois notre force de frappe dans des domaines innovants. Je pense au jeu vidéo et à l'animation, où la France a réussi à développer une vraie filière depuis 1985 et la mise sur pied d'un plan à l'instigation de Jack Lang. Quarante ans plus tard très exactement, si le secteur traverse une crise conjoncturelle, nous excellons toujours sur la formation, avec des écoles comme Les Gobelins. Sur le jeu vidéo, nous avons des pépites, notamment indépendantes. L'une d'elles, Standfall Interactive, a édité cette année un jeu appelé Clair Obscur: Expedition 33. Il s'est vendu à plus de trois millions d'exemplaires en l'espace de trois semaines. Basé à Montpellier, ce studio diffuse un imaginaire qui tranche avec les jeux vidéo américains auxquels on s'est habitué. À côté de son rayonnement historique et patrimonial, la France dispose d'atouts indéniables, mais son image reste encore assez figée, et des réformes doivent être entreprises pour permettre à la filière de se développer davantage encore, d'être plus lisible et plus puissante à l'export.
Dernier levier enfin, qui peut surprendre : notre droit. Il est, selon nous, un vecteur d'influence majeur dans la période que l'on traverse. Ce droit continental, d'héritage romain, nous semble essentiel dans un monde où la règle est constamment remise en cause et où l'on voudrait faire primer la force. Cette importance du droit doit être portée à l'échelle française comme européenne, où nous adoptons des législations garantissant le pluralisme et les droits d'auteur. Enfin, défendre le droit continental face au droit anglo-saxon nous paraît également crucial. Au même titre qu'il faut une pluralité culturelle, il faut une pluralité juridique.
«Le soft power français, porté par sa diplomatie culturelle, ne pourra conserver sa force que s'il reste fidèle à ce qu'il prétend représenter : une vision du monde fondée sur la liberté, la vérité, le pluralisme et la culture du débat», écrivez-vous. Dans un monde de prédateurs, ces bonnes intentions ne sont-elles pas empreintes d'un optimisme excessif ?
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Non, je ne le crois pas. Face au basculement des valeurs américaines, au discrédit de la mondialisation heureuse et au peu d'attractivité du modèle culturel chinois (du moins en Europe), on réouvre largement la «bataille des imaginaires». La France et l'Europe peuvent combler cette vacance et trouver leur juste place. Les vecteurs que je décrivais sont très concrets et une partie du combat se joue sur les imaginaires, sur notre capacité aussi à ne pas constamment être en réaction - notamment face aux ingérences russes - mais aussi à l'initiative.
Quel modèle et quelles valeurs voulons-nous porter ? Et à quelles fins ? Ce sont les questions que le politique doit se poser aujourd'hui, et qu'il se pose insuffisamment, tiraillé entre l'attachement à « l'exception culturelle française » et la crainte de déclassement. Dans ce moment de bascule, la France a une opportunité à saisir. Mais si elle veut être garante de ces valeurs, elle doit le faire avec humilité, sans morale, et avec ses partenaires européens.
L'idée n'est pas de renoncer à « l'arme culturelle » : les États-Unis continuent de valoriser avec force leur cinéma et leur production culturelle, mais c'est l'imaginaire qui a changé Blanche Leridon
Les États-Unis de Donald Trump illustrent-ils la disparition du soft power au profit d'un hard power qui ne connaît d'autre langage que la force ?
Disparition, non, nous n'en sommes pas encore là. Nous citons dans la note Joseph Nye, l'inventeur du concept de soft power qui, juste avant de mourir en mai dernier, a écrit un article mettant en évidence l'affaiblissement du soft power américain, du fait du décalage grandissant entre les valeurs qu'il a longtemps portées et celles qu'il diffuse depuis le retour de Donald Trump. D'ailleurs, l'idée n'est pas de renoncer à « l'arme culturelle » : les États-Unis continuent de valoriser avec force leur cinéma et leur production culturelle, mais c'est l'imaginaire qui a changé. L'exil d'artistes et de scientifiques aux États-Unis, notamment pendant la seconde guerre mondiale et après-guerre, a largement façonné l'image de l'Amérique comme terre d'accueil, nourrie par un terreau de créativité ouvert et sans limites. Cet édifice se trouve fragilisé par Donald Trump, sur les plans tant scientifique que culturel. Cela réouvre indéniablement le jeu.
Vous nuancez le constat d'un déclin de l'influence française, soulignant les succès de l'année 2024 en termes d'image entre les JO et la réouverture de Notre-Dame. En réalité, cette parenthèse n'est-elle pas l'arbre qui cache la forêt ?
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Nous ne sommes pas naïfs. Nous n'affirmons pas que l'année 2024 aurait résolu toutes les difficultés auxquelles l'influence française est confrontée. 2024 incarne néanmoins une forme d'alignement des planètes. Les Jeux olympiques et paralympiques, bien organisés, ont projeté une image forte du pays à l'international ; de même que le sommet international de la francophonie à Villers-Cotterêts, la réouverture de Notre-Dame et les cérémonies pour le 80e anniversaire du Débarquement en Normandie ; sans compter l'audience record du cinéma français à l'étranger. Mais ces réussites ne doivent pas dissimuler nos difficultés : notre perte d'influence dans certains pays d'Afrique de l'Ouest, nos faibles capacités de contre-ingérence, la dispersion de nos moyens, le manque de visibilité de la « marque France »...
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Mais en France, l'obsession du déclin va de pair avec l'idée de rayonnement. En nous livrant à une archéologie minutieuse des textes sur le sujet, on s'est aperçu que cela fait un demi-siècle que nous redoutons notre déclin potentiel est redouté. Il y a une tension permanente entre deux sentiments contradictoires : d'un côté, l'orgueil procuré par l'exception culturelle française, de l'autre, l'obsession pathologique du déclassement. Nous préconisons de sortir de ce tiraillement binaire et de nous interroger sur notre modèle : pourquoi veut-on le préserver, quelles sont les valeurs que nous voulons porter ? Ensuite, viennent des questions plus pratiques : comment ajuste-t-on nos politiques en fonction des publics et des géographies ? La vocation universelle du modèle français ne doit pas nous empêcher de mieux intégrer les nouvelles réalités locales, de mieux connaître nos publics.
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