
Ophélie Roque : «Les incels, ce magma masculin de volontés déçues et d'orgueils blessés»
Ophélie Roque est professeur de français en banlieue parisienne. Elle a notamment publié Antisèches d'une prof. Pour survivre à l'Éducation nationale (Les Presses de la cité, 2025).
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On a tendance à ressortir le terme d'« incel » à chaque fois qu'un fait divers impliquant un jeune - plus ou moins affilié à cette tendance - se profile, puis on remise soigneusement le terme dans la banque de données des mots nouveaux et on n'évoque guère plus la question. C'est un tort. Une fois encore, la surface anecdotique masque la profonde réalité du changement qui a lieu. L'histoire toujours oscille, son balancier est tantôt saisi à droite, tantôt à gauche, rarement il est immobilisé en son centre. Et puisque l'homme a tendance à ne porter ses regards que sur la crête et qu'il oublie de visiter les fosses du marécage, il s'étonne, un jour, de croiser un alligator sur son chemin. L'alligator c'est l'inattendu, le fortuit, le « il y avait pourtant des signes mais on ne les a pas vus ». Bref, c'est la société transformée en évènement.
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Ceux à qui l'on impose l'étiquette d'« incel » (ou qui se l'apposent eux-mêmes, stigmate honteux et désiré) sont pourtant loin de former un tout uni. Ces « involuntary celibates » (« célibataires involontaires » en bon français) correspondent à un agrégat aussi divers que foutraque, c'est un magma de volontés déçues et d'orgueils blessés. L'homme est une bête en souffrance et rien n'est plus vicieux qu'un animal meurtri. Pourtant, nous sommes tous, si ce n'est souvent, du moins régulièrement, le ou la célibataire involontaire d'un autre qui nous a rejeté.
Ça s'appelle l'expérience humaine, on peut aimer sans l'être en retour et sans que cela suscite en nous une volonté d'éradication du sexe opposé. Au pire, le chagriné en faisait une épigramme (cf. les innombrables variations autour de la belle tardant à offrir ses faveurs) ou l'on crachait le fiel de sa misogynie dans l'alcôve blanche des pages de son journal avant de passer gaiement à un tout autre sujet. Nombreuses sont les écrivains à avoir, elles aussi, joué au même jeu (les hommes sont brutaux, perfides, dotés d'une virilité de cuirassier et/ou de la préciosité inquiète et maladive d'un Casanova). La différence des sexes a toujours apporté son lot d'incompréhensions mais ici ce qui change consiste en la « théorisation » du problème.
L'appellation d'« incel » porte en elle-même une bien intéressante histoire. Le mot est né à la publication d'un site crée à l'initiative d'une femme québécoise. En 1993, Alana lança l'Alana's Involuntary Celibacy Project afin de pouvoir offrir un espace en ligne où homme et femmes pourraient évoquer entre eux les difficultés liées à leur célibat. L'objectif était de faire place au pourquoi de la non-rencontre, que chacun ou chacune puisse évoquer son désarroi face à la désunion des corps et des cœurs. Puis, progressivement, presque sournoisement, le terme fut repris par les débuts de la « manosphère » (soit les communautés masculinistes en ligne) et les femmes furent enlevées de l'équation par des hommes se disant eux-mêmes victimes d'invisibilisation. Le simple glissement sémantique du terme en dit long.
Véritable fourre-tout idéologique, leur dogme s'est consolidé au gré des années autour de plusieurs points clés : l'unicité et la singularité de l'individu ont tendance à être niés, l'amour n'est plus chose de l'intime mais corrobore ou invalide notre statut social, la femme - toujours - est soit traîtresse, soit intéressée Ophélie Roque
Les incels s'envisagent comme les seules victimes d'une société qui privilégierait deux types d'individualités : les femmes (en bloc) et les hommes…mais uniquement les mâles « alpha » ! Les alpha étant ceux qui, ayant réussi, attirèrent à eux le cortège des nymphes aussi vénales que décérébrées. En ça, le mouvement « incel » ne saurait se réduire à la seule haine des femmes, il porte en son germe l'envie des autres hommes, du moins de ceux qu'on estime « chanceux ». Toutefois, le déterminisme des incels varie. Les « purs » s'appuient sur un déterminisme inéluctable ainsi qu'une sorte de néo-nietzschéisme d'un Nietzsche qui aurait été mal lu, mal compris et mal digéré. « Les perdants restent perdants, quoi qu'ils fassent » quand les « softs » pensent qu'il est possible de s'améliorer pour ressembler au maximum à ce qui représente leur idéal masculin. Mais à chaque fois, ils appliquent à la société une grille de lecture invariable.
Véritable fourre-tout idéologique, leur dogme s'est consolidé au gré des années autour de plusieurs points clés : l'unicité et la singularité de l'individu ont tendance à être niés, l'amour n'est plus chose de l'intime mais corrobore ou invalide notre statut social, la femme - toujours - est soit traîtresse, soit intéressée.
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La blackpill (néologisme formé autour des fameuses pilules bleues et rouges proposées par Morpheus au héros dans la saga des films Matrix ) formule une troisième voie encore pire que les deux précédentes, puisque ici les relations amoureuses et sexuelles (les deux étant d'ailleurs souvent confondues) ne sont régies que par des facteurs biologiques et/ou sociétaux. Le bellâtre parviendra toujours à séduire (même pauvre), l'homme laid mais puissant (ou riche) tirera son épingle du jeu ; quant au type « lambda », personne ne voudra jamais de lui.
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D'une certaine manière nous ne sommes plus très loin, dans leur esprit, de la vision proposée dans Le Meilleur des monde s où les membres de la caste « inférieure » n'ont aucune chance de succès. En cela les partisans de la doctrine dite de la blackpill sont moins déterministes que nihilistes. À quoi bon lutter quand les dés sont pipés et la société injuste ? Autant partir dans un dernier baroud d'honneur qui devient la macabre conclusion de ceux qui choisissent de passer à l'acte (Elliot Rodger en 2014 ou Alek Minassian en 2018).
Le problème avec ce nihilisme de fond est le rejet de toute possibilité de changement et à force de segmenter la société en « types », il est logique d'assister à l'émiettement de l'individualité. Ce qui fait l'unicité d'une personne ne peut surnager au sein d'un tel système. Il devient alors possible - et commode - de nommer l'autre en suivant une nomenclature stéréotypée. Toutes les femmes séduisantes mais manipulatrices se fondant en une unique « Stacy » quand l'archétype du mâle alpha se nomme « Chad ». On a peut-être les divinités que l'on mérite mais il est d'une rare tristesse de constater la pauvreté des nouvelles idoles.
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