
Comment un soldat britannique a fourni une liste à abattre aux Talibans
Tristan de Bourbon - Correspondant à Londres Publié aujourd'hui à 19h02
Le Royaume-Uni a dû accueillir en urgence des milliers d'Afghans en danger à cause de la divulgation de leur identité.
AFP
En bref:
Le Parti conservateur britannique est en pleine ébullition. Écarté par les électeurs en juillet 2024 après quatorze années de pouvoir, encore très impopulaire, il est aujourd'hui sévèrement critiqué pour avoir interdit pendant deux ans de débattre d'une crise majeure rencontrée par le pays.
L'affaire débute en février 2022. L'armée et le Ministère de la défense britanniques tentent d'établir depuis plusieurs mois une liste la plus complète possible des membres de l'armée afghane qui «avaient travaillé directement» avec le Royaume-Uni «au cours des dernières années». Alors que les Talibans règnent de nouveau sur Kaboul depuis août 2021, après vingt années d'occupation par les forces alliées, l'objectif est de leur offrir la possibilité de vivre en sécurité au Royaume-Uni, explique dans un texte publié mercredi dans «The Telegraph» le ministre de l'époque, Ben Wallace. «Nous devions agir rapidement. Nos propres vétérans ressentaient un lien d'honneur envers ceux qui les avaient aidés et de nombreux Afghans avaient peur.» Erreur de pièce jointe
À l'époque, un peu plus de 17'000 Afghans avaient déjà été acceptés et envoyés vers le Royaume-Uni. «Les candidats retenus avaient dû être traités et envoyés par avion, certains même clandestinement», raconte le ministre. Mais la sélection n'est pas aisée. Les Britanniques ne pouvaient pas se reposer sur une liste précise et devaient donc «demeurer en dialogue constant avec ceux dans le pays. Nous avions trouvé des candidatures de sympathisants connus de l'État islamique et d'Al-Qaïda, ainsi que de personnes qui avaient été licenciées pour avoir collaboré avec les Talibans.»
C'est alors qu'un Royal Marine, les commandos d'élite de la Royal Navy, envoie deux courriels à plusieurs contacts afghans considérés comme sûrs. Il leur demande de confirmer les noms de 150 personnes, indiqués sur une liste en pièce jointe de ses messages. Il ne sait alors pas que la liste contient en fait les noms et les numéros de téléphone de 18'714 Afghans disant avoir travaillé avec l'armée britannique et ayant déposé une demande d'asile au Royaume-Uni.
L'erreur n'est pas repérée avant le 10 août 2023. Ce jour-là, un résident britannique écrit au député de Plymouth Luke Pollard et au ministre des Forces armées James Heappey pour les prévenir qu'il détient la liste. «J'ai une copie, les talibans aussi, pourquoi l'équipe en charge de les répertorier ne l'a-t-elle pas?» s'étonne-t-il dans un courriel. Signe de sa large diffusion, le 14 août, un Afghan s'étant vu refuser le statut de réfugié écrit sur un groupe Facebook qu'il est en sa possession et qu'il veut la rendre publique dans son intégralité. Pour le prouver, il publie le nom et les coordonnées de neuf Afghans s'y trouvant. «Le sang d'un espion coule dans vos veines»
Le Ministère de la défense est immédiatement mis au courant. À la demande du Ministère, le message est effacé dans les jours suivants par Meta, propriétaire de Facebook. Des espions commencent à chercher et à effacer toute trace de la liste. Et le 15 août, le résident britannique réécrit au député et au ministre: «Il se pourrait bien que les talibans disposent désormais d'une liste de personnes à abattre, qui leur a été fournie par le gouvernement britannique. Si l'une de ces familles est assassinée, le gouvernement sera responsable.»
D'après plusieurs responsables talibans interrogés par «The Telegraph», ceux-ci détenaient la liste depuis sa publication sur internet. Le nouveau pouvoir avait alors traqué toutes les personnes citées. «Mon oncle et sa famille se sont enfuis en Iran après avoir entendu parler de la liste», témoigne un Afghan interrogé par «The Telegraph». «Depuis lors, des combattants talibans viennent régulièrement chez moi et chez d'autres membres de ma famille pour demander de ses nouvelles. «Le sang d'un espion coule dans vos veines», nous disaient-ils.» Nombre d'entre eux ont été tués, selon le quotidien. Une facture à plus de 6 milliards de francs
Très rapidement, un journaliste britannique apprend l'existence de la fuite et de la liste. Il interpelle le gouvernement. Le ministre Ben Wallace réclame alors à la justice d'interdire la publication d'informations sur toute l'affaire. «Je ne m'excuse pas d'avoir demandé une injonction au tribunal à l'époque», a-t-il indiqué dans sa lettre de mercredi. «Il ne s'agissait pas d'une dissimulation, comme certains tentent puérilement de le prétendre. J'ai estimé que si cette fuite était signalée à l'époque, l'existence de la liste mettrait en péril les personnes que nous devions aider.»
Journalistes et politiciens sont alors strictement interdits d'en discuter. Ben Wallace rappelle qu'il n'avait demandé qu'une interdiction de quatre mois, qui aura finalement été prolongée par la justice pendant deux ans. Une durée que regrette l'actuel ministre de la Défense, le travailliste John Healey: «Aucun gouvernement ne souhaite cacher des informations au public britannique, aux parlementaires ou à la presse de cette manière.» Heappey isolé
Dans l'ombre, le gouvernement s'agite. La vague d'arrivées de réfugiés afghans s'était stabilisée à partir de décembre 2022. Alors que le Ministère de la défense en avait recueilli 21'182 jusqu'à cette date, il n'accepte que 233 autres dossiers au cours des neuf mois suivants. À partir du mois d'octobre 2023, tout s'accélère. Conscient du danger, le ministre des Forces armées James Heappey veut protéger la plupart des personnes de la liste. Mais il est isolé au sein du gouvernement. De nombreux ministres s'opposent à ce qu'ils considèrent être du laxisme.
Entre octobre 2023 et mars 2025, 12'793 Afghans ont ainsi reçu le statut de réfugié. L'actuel ministre, John Healey, a donc annoncé cette semaine la fermeture du programme, même si des milliers de personnes nommées sur la liste n'ont pas reçu le statut de réfugié. «La plupart des gens sur cette liste n'ont pas travaillé avec nos forces armées et ne sont pas éligibles au programme de rapatriement mis en place par le gouvernement britannique», s'est-il justifié mercredi. Le coût total de l'installation des Afghans au Royaume-Uni depuis 2021 s'élèverait autour de 6,4 milliards de francs.
Plus d'actualité sur le Royaume-Uni Newsletter
«Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l'info? «24 heures» vous propose deux rendez-vous par jour, pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre Canton, en Suisse ou dans le monde.
Autres newsletters
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.

Essayez nos fonctionnalités IA
Découvrez ce que Daily8 IA peut faire pour vous :
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment...
Articles connexes


24 Heures
4 hours ago
- 24 Heures
Royaume-Uni: Heurts devant un hôtel hébergeant des demandeurs d'asile
Une manifestation de l'extrême droite a dégénéré en violences vendredi devant un hôtel hébergeant des demandeurs d'asile. Publié aujourd'hui à 22h26 Mis à jour il y a 4 minutes Des policiers devant le Bell Hotel à Epping après des manifestations anti-immigration, le 18 juillet 2025. AFP La police d'une ville de la grande banlieue de Londres était sur le qui-vive vendredi, après des violences durant lesquelles huit policiers ont été blessés jeudi soir devant un hôtel hébergeant des demandeurs d'asile. Trois véhicules ont été endommagés durant ces violences qui ont duré plusieurs heures dans la ville d'Epping (sud-est de l'Angleterre), selon la police locale. Selon la police, les heurts ont eu lieu près d'un hôtel connu pour accueillir des demandeurs d'asile, ciblé ces derniers jours par plusieurs manifestations après la mise en examen d'un demandeur d'asile de 38 ans accusé de trois agressions sexuelles. La police de l'Essex, où se trouve Epping, a attribué ces violences à des individus «venus de l'extérieur» de la région, alors que des vidéos appelant à rejoindre la manifestation circulaient en ligne. Plusieurs influenceurs d'extrême droite étaient présents sur place. Manifestants masqués «Nous avons monté une équipe de détectives chargée d'analyser les images de vidéosurveillance et les caméras-piétons pour identifier les responsables», a indiqué à l'AFP un responsable de la police locale, Stuart Hooper. «Ceux qui ont participé peuvent s'attendre à ce qu'on toque à leur porte», a-t-il prévenu. Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent des manifestants masqués lançant des projectiles, escaladant des fourgons de police et s'en prenant aux forces de l'ordre. La police a annoncé qu'elle resterait fortement mobilisée tout le week-end pour prévenir de nouveaux débordements. Elle a rappelé qu'elle soutenait le droit de manifester pacifiquement, mais qu'elle ne tolérerait pas les «actes de violence et de vandalisme». Ces tensions rappellent les émeutes anti-immigration qui avaient secoué le pays l'été dernier après le meurtre de trois fillettes par un jeune Britannique d'origine rwandaise dans la ville de Southport (nord-ouest). Des émeutiers s'en étaient pris à des hôtels hébergeant des demandeurs d'asile dans plusieurs villes, tentant notamment d'incendier un de ces établissements à Rotherham, dans le nord-est de l'Angleterre. Newsletter «Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l'info? «24 heures» vous propose deux rendez-vous par jour, pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre Canton, en Suisse ou dans le monde. Autres newsletters AFP Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.


24 Heures
9 hours ago
- 24 Heures
Cette tradition helvétique sous le regard du monde entier
L'institution vieille de 700 ans se retrouve dans le «National Geographic», qui touche environ 84 millions de lecteurs. Vers un afflux touristique massif? Publié aujourd'hui à 16h48 Les autorités glaronaises souhaitent préserver l'authenticité politique de cette tradition ancestrale. KEYSTONE La Landsgemeinde de Glaris attire l'attention du «National Geographic». Le célèbre magazine, qui touche environ 84 millions de lecteurs à travers le monde, a consacré un reportage illustré à cette institution démocratique vieille de 700 ans. L'article est intitulé «No polls, no machines, just hands in the air» – «Pas de sondages, pas de machines, juste des mains levées». Le magazine, que le Canton qualifie de «probablement le plus connu et le plus influent» dans le domaine de la culture et de la nature, a ainsi dépêché la journaliste Nadia Beard et le photographe Davide Monteleone sur la place de Glaris le 4 mai dernier, a repéré la SRF . Cette couverture médiatique offre au canton de Glaris une visibilité internationale significative pour sa tradition démocratique unique. À ce stade, vous trouverez des contenus externes supplémentaires. Si vous acceptez que des cookies soient placés par des fournisseurs externes et que des données personnelles soient ainsi transmises à ces derniers, vous devez autoriser tous les cookies et afficher directement le contenu externe. «Le meilleur modèle possible de démocratie» Le landammann Kaspar Becker confirme avoir été informé de la présence de l'équipe journalistique lors de l'événement. Il souligne la difficulté de présenter cette institution en quelques phrases: «Nous voyons toujours des visages étonnés lorsqu'ils commencent à comprendre à quel point ce que nous avons ici est spécial», explique-t-il. La séance photos a également réservé des surprises culturelles au magistrat. «Avec le photographe, j'ai essayé d'avoir un visage amical. Mais il m'a dit que c'était de la photographie anglo-saxonne et qu'il fallait avoir l'air sérieux. Maintenant, quand je regarde la photo, c'est terrible», plaisante Kaspar Becker. L'entretien avec la journaliste, mené en anglais, a représenté un défi particulier pour expliquer des concepts sans équivalent dans cette langue. Le landammann Kaspar Becker (à g.) n'a pas eu le droit de sourire au photographe pour le reportage du «National Geographic», comme sur cette photo prise lors d'une Landsgemeinde. KEYSTONE «Beaucoup de mots n'existent pas en anglais. Memorialsantrag , Landsgemeinde , Landammann – vous devez tout expliquer. C'était compliqué», détaille le landammann. Il reconnaît que la tâche de la rédactrice n'a certainement pas été simple pour transformer ses explications en article cohérent. Malgré ces obstacles linguistiques, le résultat permet de faire découvrir au monde entier ce que Kaspar Becker considère comme «le meilleur modèle possible de démocratie». Pas d'effet «Disneyland» à Glaris Cette reconnaissance internationale rend le magistrat fier et confirme, selon lui, que la Landsgemeinde est «quelque chose de merveilleux dont nous devons prendre soin». Kaspar Becker craint-il un afflux touristique mondial pour autant? «C'est une arme à double tranchant: la Landsgemeinde n'est pas un événement folklorique. C'est la plus haute autorité politique du canton», insiste-t-il. Le landammann espère que l'institution ne se transformera pas en attraction touristique de type «Disneyland», ce qui serait selon lui contre-productif. «Mais, pour être honnête, je n'y crois pas non plus», tempère-t-il. Quant à une éventuelle jalousie du canton d'Appenzell Rhodes-Intérieures, seul autre canton suisse à maintenir une Landsgemeinde, Kaspar Becker n'y croit pas. Il attribue le choix de Glaris par le «National Geographic» au «pur hasard». La Landsgemeinde en Suisse Newsletter «Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l'info? «24 heures» vous propose deux rendez-vous par jour, pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre Canton, en Suisse ou dans le monde. Autres newsletters Claude Béda est journaliste à la rubrique vaudoise de 24 heures. Licencié en sciences sociales et politiques, passionné par les sujets de société et la vie des gens d'ici, il a couvert plusieurs régions du canton, avant de rejoindre la rédaction lausannoise. Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.


24 Heures
9 hours ago
- 24 Heures
18 juillet 2025: L'essentiel du jour
Accueil | L'essentiel du jour | Denis Vipret visé par des menaces de mort À Bâle aussi on songe à interdire les Français des piscines Et si les automobilistes étrangers de passage passaient à la caisse? Publié aujourd'hui à 17h03 Une motion soutenue par 90 parlementaires de cinq partis propose d'instaurer une taxe pour les conducteurs étrangers traversant la Suisse sans s'y arrêter. Cette mesure vise à désengorger les axes routiers saturés, notamment au tunnel du Gothard. Les tarifs pourraient atteindre «des centaines de francs» aux pires moments, selon l'élu UDC Paolo Pamini. La proposition soulève des questions juridiques importantes concernant les accords de libre circulation avec l'Union européenne. Pour en savoir plus sur le sujet: lisez l'article détaillé. À Bâle aussi on songe à interdire les Français des piscines Après Porrentruy , un élu UDC bâlois a déposé une motion pour limiter l'accès aux piscines du canton aux citoyens suisses, titulaires de permis et touristes munis d'une BaselCard. Cette mesure fait suite à plus de dix interventions policières en cinq semaines à la piscine de Saint-Jacques, impliquant notamment des ressortissants français d'origine nord-africaine. La motion sera examinée par le Grand Conseil en septembre, mais ses chances d'aboutir restent faibles. Pour en savoir plus sur le sujet: lisez l'article détaillé. Denis Vipret visé par des menaces de mort Le célèbre guérisseur fribourgeois a porté plainte après avoir reçu plusieurs messages intimidants à la suite de l'enquête de la RTS à son sujet. Les menaces incluaient des prédictions qu'il ne «survivrait pas à l'année 2025» et des annonces d'expéditions punitives. Le Ministère public fribourgeois a confirmé la réception de la plainte vendredi matin. Denis Vipret, déjà condamné en 2024 pour attouchements, fait actuellement l'objet de deux instructions pénales à Berne et à Fribourg. Pour en savoir plus sur le sujet: lisez l'article détaillé. Comment un baiser forcé a changé l'histoire du foot féminin L'équipe d'Espagne féminine, qui défie la Suisse en quart de finale de l'Euro 2025, porte encore les cicatrices du scandale Rubiales. Le baiser forcé sur Jennifer Hermoso lors du Mondial 2023 a révélé des décennies d'abus systémiques depuis les années 90. Cette affaire a précipité la démission de Luis Rubiales, condamné à 10'800 euros d'amende, et le départ de l'entraîneur Jorge Vilda. L'équipe actuelle s'est forgée dans l'adversité, luttant contre des dirigeants qui portaient le même maillot. Pour en savoir plus sur le sujet: lisez l'article détaillé. Les Verts exigent une baisse de loyer de 10% quand il fait trop chaud Face aux canicules croissantes, les Verts proposent une révolution dans le droit du bail et du travail. Leur plan prévoit une réduction automatique de 10% des loyers lors de chaleur excessive, des mesures de protection au travail dès 26 degrés et un droit au télétravail en cas de forte chaleur. Le parti exige également 40% de couverture arborée dans les villes d'ici à 2050 et un financement fédéral pour l'installation de climatiseurs comme solution transitoire. Pour en savoir plus sur le sujet: lisez l'article détaillé. Soleil vendredi, orages et pluies samedi et dimanche Après cette journée de vendredi estivale avec des températures atteignant 31 degrés à Sion et 30 degrés à Genève, le week-end se gâtera avec des averses et orages dès samedi matin au nord des Alpes, puis un risque orageux généralisé l'après-midi… Pour en savoir plus sur le sujet: lisez l'article détaillé. Aussi dans l'actu Cancer: un des douze symboles de l'horoscope que vous pouvez consulter tous les jours sur nos plateformes. Tamedia AG L'essentiel de la semaine Leonardo Pescante est rédacteur en chef adjoint de 24heures depuis 2011. Après des études à l'Université de Lausanne en mathématiques et des cours supérieurs de management au CRPM, il a travaillé près de 15 ans à Radio Suisse internationale. Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.