Et si la file indienne était une erreur pour protéger un leader ? Une étude scientifique propose des alternatives
Tortue, tenaille, éperon, l'armée romaine avait inventé pléthore de manoeuvres pour avancer en protégeant ses légionnaires. Coutumières de la file indienne, pourquoi les troupes casquées du cyclisme ne se montreraient-elles pas aussi créatives et efficaces ?
« Si vous êtes dans un peloton, le plus économe et rapide est de former un triangle à l'avant, avance Bert Blocken, professeur d'aérodynamique à l'Université Heriot-Watt d'Edimbourg. Si vous n'avez que deux coureurs, évidemment il faut rouler l'un derrière l'autre. Mais pour un petit groupe, où se situe le bon équilibre entre cette formation en triangle et celle en file indienne ? » « À chaque fois qu'on regarde le Tour de France, on ne peut pas s'empêcher de l'analyser en réfléchissant à l'aérodynamique », complète en souriant son ami Thierry Marchal, directeur du programme sport et santé d'Ansys, filiale du grand groupe américain Synopsys, spécialisé dans les logiciels de simulation informatique.
Appuyé par trois chercheurs en dynamique des fluides numériques et des ordinateurs qui ont fourni deux mois et demi de calculs (et tournent encore pour simuler certaines configurations), le binôme publie ce dimanche une étude scientifique de comparaison de l'efficacité entre différentes organisations d'un petit groupe de coureurs.
En « carré » ou en « diamant », un gain considérable
Premier résultat : en trio, le « triangle inversé » avec deux équipiers de front est déjà plus avantageux qu'une seule ligne, le leader subissant 39 % de la traînée aérodynamique (la force qui s'oppose au mouvement) d'un coureur solitaire, contre 54 % en file indienne.
Deuxième expérience : avec un coureur supplémentaire en position dite du « diamant » (un seul coéquipier en tête, un duo juste derrière puis le leader), le coureur protégé gagne encore un pourcentage.
Ajoutez un quatrième équipier pour former un « carré » (deux paires de coureurs) devant le leader, et il ne subit plus que 24 % de résistance dans l'air. « Je ne m'attendais même pas à ce qu'on puisse atteindre un chiffre aussi bas, confie Blocken. Je pensais qu'on serait aux alentours des 30-35 %. »
En contrepartie, les coureurs de front fournissent plus d'efforts. En carré et en triangle inversé, ils subissent respectivement 10 % et 15 % de traînée de plus (110 % et 115 %) qu'en file indienne. Mais en diamant, le coureur de tête ne perçoit que 89 % de résistance, en partie protégé... Par les deux coureurs de derrière.
« Ce qu'apporte vraiment l'analyse de Bert, c'est sa capacité à quantifier tout cela », précise Marchal. « On produit de l'information scientifique dont peuvent se servir un directeur sportif ou un leader pour prendre une décision pendant la course », complète Blocken.
Prenons la chute de Tadej Pogacar (UAE-XRG) à Toulouse : si le Slovène avait eu plusieurs équipiers à l'avant, lui et son DS auraient eu toutes les cartes en main pour décider du dispositif et du nombre de coureurs à l'attendre, en tenant compte de la fatigue de chacun et de l'écart avec le groupe Maillot Jaune.
Des informations utiles en montagne
« Quand la priorité est de réintégrer le peloton le plus vite possible, le triangle inversé n'est pas optimal, nuance Manuel Sellier, fondateur de l'entreprise Aeroscale qui optimise l'aérodynamisme des meilleurs rouleurs français. Car les coureurs de front doivent produire un effort colossal. La file indienne me semble donc beaucoup plus pertinente. » Directeur sportif chez Decathlon-AG2R La Mondiale, Sébastien Joly observe une autre limite en cas d'incident juste derrière le peloton : « On préfère parfois laisser notre leader seul dans la file des voitures, plutôt que de décrocher un équipier. Sinon c'est lui qui va se retrouver à l'abri derrière les voitures, pas le leader. »
D'autres situations de course pourraient en revanche favoriser l'application de ces découvertes. « Je vois un vrai cas d'usage en montée, pointe Sellier. Sur une pente à 23 - 24 km/h, on consomme théoriquement 50 Watts en aéro si on est seul, et 30 Watts si on est abrité. Une économie supplémentaire de 10 Watts grâce à une configuration avec deux coureurs de front peut vraiment faire la différence lorsqu'on est proche du seuil. Mais il faut des équipiers qui en sont capables ! Ça pourrait être utile pour une grosse armada comme Visma-Lease a Bike pour protéger Vingegaard avant les attaques finales de Pogacar, par exemple. »
De nouvelles configurations à imaginer
Les scientifiques sont ouverts à ce genre de suggestion. « Nous ne sommes pas des coureurs pros, il est très probable qu'il existe certaines configurations auxquelles nous n'avons pas pensé et qui soient encore meilleures, appuie Marchal. Que ça soit en réduisant la traînée pour le leader ou la moyenne du groupe. Notre démarche est humble, on ne veut pas dire aux coureurs ce qu'ils devraient faire. » Au contraire, ils attendent leurs idées, seules 27 configurations ont été simulées jusqu'ici.
À lire aussi
«On se bat avec nos armes» : les équipes françaises impuissantes
Lipowitz, la révélation
Avec un Pogacar moins vorace, un peu de répit
Pogacar, faiseur de roi
Hashtags

Essayez nos fonctionnalités IA
Découvrez ce que Daily8 IA peut faire pour vous :
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment...
Articles connexes

L'Équipe
30 minutes ago
- L'Équipe
Pourquoi Léon Marchand a choisi d'alléger son programme aux Mondiaux de Singapour
Le quadruple champion olympique Léon Marchand a décidé de renoncer aux 200 m brasse et 200 m papillon lors des Mondiaux de Singapour, qui débutent dans la nuit de samedi à dimanche. L'année post-olympique n'est jamais une année comme les autres, encore plus quand on s'appelle Léon Marchand. Le site franceinfo a révélé ce lundi en fin de journée que le quadruple champion olympique ne s'alignerait finalement pas lors des Championnats du monde sur deux des quatre épreuves individuelles où il avait été sacré à Paris, il y a un an. Exit les 200 m papillon et 200 m brasse initialement prévus à Singapour. Le programme des Mondiaux, qui débutent dans la nuit de samedi à dimanche, diffère de celui des Jeux Olympiques et Marchand n'aurait quoi qu'il arrive pas vécu une soirée comparable à celle du 31 juillet 2024, quand la Paris La Défense Arena avait été le théâtre de ce doublé inédit brasse-papillon et de cette dernière longueur face à Kristof Milak instantanément entrée dans la légende du sport. Mais avec quatre épreuves individuelles et trois relais possibles, le programme prévu était toujours dense : onze courses individuelles dont neuf (séries, demi-finales et finales du 200 m papillon, 200 m 4 nages et 200 m brasse) devaient s'enchaîner en quatre jours, du 29 juillet au 1er août. Léon Marchand déjà parmi les plus grands de l'histoire La motivation de ce choix est d'abord liée à tout ce qui est arrivé ces douze derniers mois. Logiquement, les mois post-triomphe parisien ont été « un sacré remue-ménage » comme les a lui-même qualifiés Marchand. Après avoir participé aux Coupes du monde à l'automne, il a finalement renoncé aux Championnats du monde en petit bassin en décembre puis s'est exilé en Australie avant de retrouver son coach Bob Bowman à Austin. Dispensé de Championnats de France, Marchand a démontré sa forme en mai pour valider son billet pour Singapour. « Le vrai questionnement est : qu'est-ce qui anime vraiment Léon cette saison ? Je veux savoir s'il veut vraiment faire les Championnats du monde ou pas », interrogeait début mai le directeur technique national par interim Denis Auguin. Le record du monde du 200 m 4 nages comme objectif Trouver du sens sans se contenter de répéter ce qui était fait l'année d'avant. Essentiel quand, à 23 ans, on a déjà tant accompli. C'est ce qu'a expliqué ce lundi au site franceinfo Nicolas Castel, l'entraîneur de Marchand à Toulouse, qui le coachera aux Mondiaux. « C'est un choix qu'on a fait parce que nous sommes en année post-olympique et qu'il n'a jamais eu l'occasion de présenter un 200 m 4 nages sans avoir de course avant ou après le même jour. Il avait envie de tester ce 200 m 4 nages isolé et de voir de quoi il était capable. » Lors de ses deux premiers Mondiaux, Marchand avait participé à trois épreuves individuelles à chaque fois (le 200 m papillon et les 200 et 400 m 4 nages). À Paris, le 200 m 4 nages était la quatrième course et la dernière individuelle du Français. Forcément un peu entamé physiquement, Marchand avait pourtant frôlé le record du monde de l'Américain Ryan Lochte (1'54''06 contre 1'54''00). Cette fois, le 200 m 4 nages sera sa première course individuelle. Comme l'avait été le 400 m 4 nages il y a deux ans à Fukuoka, lorsque Marchand avait effacé des tablettes les 4'3''84 de Michael Phelps et porté le record du monde à 4'2'50''. Déjà le nageur le plus rapide de l'histoire sur 200 m 4 nages en petit bassin depuis cet automne (un record qui appartenait précédemment au même Ryan Lochte), Marchand s'est fixé un défi clairement à sa portée. Au terme des Championnats du monde de Singapour, qui s'achèvent le 3 août avec le 400 m 4 nages, Léon Marchand pourrait avoir gagné deux nouveaux titres mondiaux individuels et porté son total à sept, après les deux ors de Budapest 2023 (sur 200 et 400 m 4 nages) et les trois de Fukuoka 2023 (le 200 m papillon en plus). Cette plus grande disponibilité pourrait aussi faire les affaires de ses camarades de l'équipe de France : aux JO, Marchand avait participé en brasse au 4 x 100 m 4 nages mixte (4e) et au 4 x 100 m 4 nages, médaillé de bronze. L'expérience devrait être reconduite à Singapour. Et Marchand pourrait retrouver en plus sa place dans le 4 x 200 m masculin, après avoir dû faire l'impasse aux JO, lui qui ne fait pas mystère de sa volonté de nager de plus en plus de crawl ces prochaines saisons. Pour continuer à ne pas se répéter.


Le Parisien
30 minutes ago
- Le Parisien
JO Alpes 2030 : pourquoi le comité d'organisation préfère « la piste Val d'Isère » à Méribel pour le ski alpin
Nouvel épisode dans la saga du choix des sites des JO d'hiver 2030 . Le comité d'organisation d'Alpes 2030 a présenté lundi « un schéma préférentiel » des sites olympiques et paralympiques retenant Val d'Isère pour certaines épreuves de ski alpin au détriment de Méribel, selon le comité d'organisation. « On travaille sur la piste de Val d'Isère sous réserve de la faisabilité technique et financière », a expliqué à l'AFP le président du comité d'organisation Edgar Grospiron , précisant qu'aucune décision définitive n'avait été prise. « Les discussions sont en cours avec la collectivité pour rendre cette intégration possible tout en maintenant l'équilibre budgétaire du projet, par des engagements clairs », précise un communiqué du Cojo. « On peut difficilement imaginer d'organiser des JO en France sans Val d'Isère », fait valoir Edgar Grospiron. Le retour de Val d'Isère au détriment de Méribel agite la vallée de la Tarentaise et l'écosystème olympique depuis plusieurs mois. Initialement sur la carte des sites, Val d'Isère avait ensuite disparu puis reparu à l'été 2024 quand le CIO a accordé les JO à la France. L'ancien champion olympique et icône du ski français, Jean-Claude Killy, aussi ex-président de l'organisation des JO d'Albertville 1992, s'était dit « scandalisé » fin 2023 à l'idée que Val d'Isère ne soit pas sur la carte. Le regroupement des épreuves de ski alpin sur les deux sites de Courchevel et Val d'Isère signifie l'éviction de Méribel qui s'est vu proposer « d'y regrouper » des épreuves paralympiques. Problème : la semaine dernière, Thierry Monin, le maire Méribel, a menacé de se retirer des Jeux si le Cojo lui enlevait les épreuves olympiques de ski alpin. Il avait déjà menacé de se retirer début juillet si la station ne devait héberger que les Jeux paralympiques. « Il faut qu'on regarde les options alternatives », a expliqué à l'AFP Edgar Grospiron. Le budget du Cojo doit tourner autour de deux milliards d'euros. Le projet s'étend de Nice au Grand-Bornand, deux villes distantes de près de 500 km. Après avoir été annoncée pour fin juin, la carte des sites ne devrait être officialisée qu'en octobre. Le choix du site de l'anneau de vitesse pour le patinage, entre l'Italie et les Pays-Bas, n'a pas encore été fait. Les sites pour les différentes épreuves de glace à Nice (patinage, hockey…) ne sont pas encore complètement fixés, ont rapporté plusieurs sources à l'AFP.


L'Équipe
33 minutes ago
- L'Équipe
« L'entraîneur des gardiens, je le détruis » : Roberto De Zerbi évoque l'erreur de son gardien, Geronimo Rulli, contre Lille
L'entraîneur de l'OM, Roberto De Zerbi, nous a expliqué comment il avait vécu l'erreur de son gardien Geronimo Rulli, qui a coûté deux points aux Marseillais, lors de la 32e journée du Championnat face au LOSC (1-1). Dans une interview accordée à L'Équipe, l'entraîneur de l'OM, Roberto De Zerbi, qui s'apprête à vivre sa deuxième saison sur le banc marseillais, est revenu sur l'erreur commise par le gardien argentin, Geronimo Rulli, dans le choc face à Lille en Ligue 1 (1-1, le 4 mai). Une faute qui, à deux journées de la fin du Championnat, a coûté deux points aux Marseillais et les a mis en danger au classement. Les Olympiens, deuxièmes, ne comptaient alors qu'un point d'avance sur l'AS Monaco et deux sur Nice, Lille et Strasbourg et pouvaient manquer la qualification en Ligue des champions. Le technicien italien a détaillé son processus d'analyse pour trouver un coupable à cette erreur, qui n'est pas forcément celui que l'on imagine... « Ce n'est pas une erreur technique. C'est qu'il veut mettre un ballon au-dessus vers Höjbjerg. Son erreur, c'est de ne pas avoir fait une passe en plus pour atteindre Höjbjerg. Il aurait dû faire Rulli - Kondogbia - Höjbjerg. Et je me dis : "put... ! Mais pourquoi on ne lui a pas bien expliqué ?" « Comme Rulli a fait tellement de bonnes relances, ce n'est pas une relance qui va conditionner mon jugement. J'accepte l'erreur, parce que c'est moi qui en fais le plus, un changement, la gestion d'un joueur, un choix de mercato » Donc l'entraîneur des gardiens, je le détruis. Il suffisait d'une passe en plus, on ne prend aucun risque, on assure, si on perd le ballon on est bien en place... Comme Rulli a fait tellement de bonnes relances, ce n'est pas une relance qui va conditionner mon jugement. J'accepte l'erreur, parce que c'est moi qui en fais le plus, un changement, la gestion d'un joueur, un choix de mercato... Je suis celui qui se trompe le plus. Mais je me mets en colère contre ceux qui devraient faire mieux comprendre certaines choses. » Retrouvez ici en intégralité l'entretien accordé par Roberto De Zerbi.