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Le jugement de London est « très étoffé »

Le jugement de London est « très étoffé »

La Presse14 hours ago
Le verdict dans l'affaire Hockey Canada a semé l'émoi au pays le mois dernier. Le travail de la juge Maria Carroccia, qui a conclu que le témoignage de la plaignante n'était « ni crédible ni fiable », a été critiqué à la suite de l'acquittement des cinq joueurs accusés d'agression sexuelle. Certains ont aussi estimé que son verdict allait décourager les victimes de porter plainte. L'ex-juge en chef de la Cour du Québec Lucie Rondeau a accepté de lire et de commenter le jugement.
« C'est un jugement très étoffé. »
C'est ainsi que Me Lucie Rondeau qualifie le fameux verdict d'acquittement des cinq hockeyeurs d'Équipe Canada junior 2018 rendu le mois dernier par la juge Maria Carroccia à London, en Ontario. Et oui, un tel verdict aurait pu être rendu au Québec, estime-t-elle.
ILLUSTRATION ALEXANDRA NEWBOULD, LA PRESSE CANADIENNE
Croquis d'audience de la juge Maria Carroccia rendant sa décision, à London, le 24 juillet dernier
« On sent que l'analyse factuelle est complète. C'est aussi un jugement qui semble répondre à tous les éléments soulevés par les parties », dit Lucie Rondeau, qui a été juge en chef de la Cour du Québec de 2016 à 2023.
Le verdict d'acquittement des cinq hockeyeurs accusés d'agression sexuelle a énormément fait réagir partout au pays.
Les considérations sociales de ce verdict sont importantes. Mais en droit – car il s'agit d'un procès criminel –, la juge Carroccia a-t-elle rendu la bonne décision ? Était-elle obligée de préciser que le témoignage de la plaignante n'était « ni crédible ni fiable » ? Que l'expression « Je crois les victimes » n'a pas sa place dans un procès criminel ?
J'ai soumis ces questions délicates et importantes à Me Lucie Rondeau, qui connaît bien les procès en matière d'infractions à caractère sexuel. Comme juge de la Cour du Québec (de 1995 à 2025), elle en a présidé, en chambre jeunesse et pour adultes.
Elle a aussi plaidé dans de tels dossiers comme procureure de la Couronne, de 1980 à 1995. Depuis sa retraite de la magistrature en février dernier, Me Rondeau est redevenue avocate. Elle est avocate-conseil au sein du cabinet de droit pénal Pelletier-Quirion à Québec.
Avant d'analyser le jugement, Me Rondeau émet une réserve : elle n'a pas assisté au procès, qui a duré 26 jours. Mais Lucie Rondeau a lu le jugement de 90 pages attentivement, à notre demande.
PHOTO MARIKA VACHON, COLLABORATION SPÉCIALE
Lucie Rondeau, ancienne juge en chef de la Cour du Québec
Je n'ai pas vu ni entendu la preuve. Mais la lecture et l'analyse du jugement démontrent que la juge explique bien chacune de ses conclusions factuelles qu'elle déduit de la preuve. Il faut prendre le temps de lire ce jugement avant de critiquer le verdict.
Me Lucie Rondeau
Précision : certains éléments que la Couronne voulait faire admettre en preuve n'ont pas été admis par le tribunal, en raison des règles de preuve en matière criminelle. La Couronne a jusqu'à la fin d'août pour faire appel.
« Ni crédible ni fiable »
Conclure que le témoignage de la plaignante n'était « ni crédible ni fiable », comme l'a fait la juge Carroccia, a été très mal reçu par certains groupes de soutien aux victimes.
Ce passage était-il nécessaire ? Oui, si la juge conclut qu'elle rejette la version de la plaignante, estime Me Rondeau. Pour déterminer si la Couronne s'est déchargée de son fardeau de preuve, la juge Carroccia doit forcément apprécier la crédibilité de son témoin principal, la plaignante. Elle l'a fait selon les balises dictées par la Cour suprême.
Dans sa décision, la juge Carroccia énumère de façon précise sur plusieurs pages tous les éléments qui lui permettent d'arriver à sa conclusion. Elle a notamment relevé que la plaignante disait avoir peur dans la chambre, mais n'était en mesure de citer aucune menace de la part des accusés.
Par ailleurs, les images vidéo du bar contredisent plusieurs aspects du témoignage de la plaignante sur ce qui s'est passé à cet endroit (ça ne signifie pas qu'elle n'a pas été agressée plus tard à l'hôtel, mais cet élément doit être considéré pour évaluer la crédibilité de son témoignage, selon la Cour suprême).
« Le droit criminel n'exige pas que la preuve de la poursuite soit absolue, dit Me Rondeau. Il peut y avoir des incohérences et des contradictions. Il faut regarder la nature et l'importance de ces incohérences. Si les contradictions sont sur des éléments fondamentaux à la question en litige, ça peut être fatal. »
Ici, il y a beaucoup de contradictions. Toute la version [de la plaignante] sur ce qui s'est passé au bar est contredite par des preuves vidéo. Ce n'est pas banal.
Me Lucie Rondeau
La Couronne plaidait essentiellement que la plaignante ne pouvait pas consentir aux relations sexuelles en raison de son état de peur ou de son état d'ébriété, ou les deux. Le tribunal a plutôt conclu qu'il y a eu un « consentement réel non vicié par la peur » ni par son état d'ivresse (elle a consenti auparavant à une première relation sexuelle non visée par les accusations, et elle n'a pas consommé d'alcool par la suite).
« Le consentement était la question fondamentale dans ce procès, dit Me Rondeau. Si c'est le constat de la juge que le consentement était réel, c'est approprié de le dire. »
ILLUSTRATION ALEXANDRA NEWBOULD, LA PRESSE CANADIENNE
Croquis d'audience représentant les cinq anciens joueurs d'Hockey Canada lors de la prononciation de leur verdict d'acquittement pour tous les chefs dont ils étaient accusés, à London, le 24 juillet dernier
Quand on lit les détails de ce qui s'est passé dans cette chambre d'hôtel, on est troublé par la conduite des cinq hockeyeurs. Ils se passaient la plaignante pour avoir des relations sexuelles avec elle l'un à la suite de l'autre.
Mais la bonne conduite et la moralité n'ont rien à voir avec une accusation d'agression sexuelle en droit criminel.
« La morale, l'éthique, ce qu'ils ont sur la conscience, c'est une chose, dit Me Rondeau. Mais ce n'est pas ça que la juge doit décider en droit criminel. Un procès criminel n'évalue pas la moralité des gens. Il n'évalue pas non plus si l'accusé a commis l'infraction. Il détermine si la Couronne a repoussé la présomption d'innocence en prouvant hors de tout doute raisonnable la culpabilité des accusés. »
Le verdict n'aurait pas été différent au Québec
Le Québec a fait beaucoup d'efforts au cours des dernières années pour mieux accompagner les plaignantes devant les tribunaux, entre autres en créant un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale à même la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec.
Le tribunal spécialisé a amélioré l'accompagnement et le soutien des plaignantes à toutes les étapes du processus judiciaire. Mais les règles du droit criminel, qui relèvent du fédéral et des chartes des droits et libertés, restent les mêmes.
Il n'y a pas de raison de croire que le verdict aurait été différent au Québec, estime Me Rondeau. Ç'aurait été le même litige, les mêmes règles de droit.
Le tribunal spécialisé ne change pas les règles de droit, ni la présomption d'innocence, ni le fardeau de preuve de la Couronne.
En droit criminel, « Je crois les victimes » – l'un des slogans du mouvement #moiaussi –, ça n'existe pas, rappelle la juge Carroccia. « Il n'y a aucune présomption que quiconque dit la vérité ou que quiconque ment. Tout le monde – le plaignant, l'accusé, la police – part à zéro », réagit Me Rondeau.
PHOTO CARLOS OSORIO, ARCHIVES REUTERS
Manifestants affichant leur soutien à la plaignante dans l'affaire des joueurs d'Hockey Canada, devant le palais de justice de London, le 24 juillet dernier
Me Rondeau souligne les bienfaits du mouvement #moiaussi, qui a permis d'améliorer l'aide aux plaignantes.
Je comprends que tous les intervenants qui accompagnent la plaignante partent de la prémisse qu'ils croient sa version. Ça fait partie de leur rôle de soutien et d'accompagnement. Mais ce n'est pas le rôle du tribunal, qui doit rester impartial.
Me Lucie Rondeau
« Ça ne veut pas dire que les juges ne doivent pas être alertes sur la façon dont les procédures judiciaires se déroulent pour les plaignantes », ajoute Me Rondeau.
À London, la plaignante a témoigné pendant deux jours, puis a été contre-interrogée par la défense pendant sept jours, parce que les avocats de chacun des cinq accusés pouvaient la contre-interroger en vertu de leur droit à une défense pleine et entière.
Me Rondeau est visiblement mal à l'aise avec les sept jours de contre-interrogatoire.
« Y a-t-il moyen de faire autrement ? Je pose la question. On serait mûr pour une bonne réflexion sur l'efficacité procédurale de notre système criminel en général, et particulièrement pour les procès de coaccusés. »
Le verdict de London découragera-t-il des victimes de porter plainte à la police ? « Je peux comprendre cette crainte, mais je pense que ce serait une erreur [d'arriver à cette conclusion], dit Me Rondeau. C'est une affaire hors du commun, avec trois déclarations pour la plaignante sur une période de sept ans. Ce n'est pas représentatif des dossiers généralement devant la cour. Mais un procès criminel, c'est toujours difficile. C'est important qu'il en soit ainsi, car une condamnation criminelle crée un ostracisme important. »
Qui est Lucie Rondeau ? Juge en chef de la Cour du Québec et présidente du Conseil de la magistrature du Québec de 2016 à 2023
Nommée juge en 1995, à la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec, à Québec
Exerce la profession d'avocate comme procureure de la Couronne de 1980 à 1995
Admise au Barreau du Québec en 1980, après un baccalauréat en droit à l'Université de Sherbrooke
Consultez le jugement de la Cour supérieure de l'Ontario (en anglais)
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