
Quand les dividendes prennent le dessus sur la santé
Avant d'étendre ses activités, la SAQ devrait redéfinir sa mission et assumer les conséquences sociales de la vente d'alcool, estiment les cosignataires
Laurence Ruel, Alexane Langevin et Marianne Dessureault
Les deux premières sont chargées de projets en substances psychoactives, la troisième est avocate responsable des affaires juridiques. Toutes trois sont de l'Association pour la santé publique du Québec.
Le projet pilote de mini-agences, qui vise à vendre des produits exclusifs à la SAQ dans des dépanneurs et épiceries de milieux urbains, soulève de vives inquiétudes. Bien que répondre aux besoins des communautés éloignées soit légitime, aucun des milieux ciblés par le projet pilote dans le Grand Montréal n'est un « secteur moins bien desservi1 ».
Au contraire, certains nouveaux points de service sont à moins de 10 minutes de marche d'une succursale SAQ. À cela s'ajoute l'assouplissement des livraisons de produits SAQ via des plateformes comme Uber Eats, facilitant l'accès à des produits fortement alcoolisés en quelques clics, sans contact humain ni contrôle rigoureux de l'âge.
Accroître l'accès à une plus grande variété de produits, plus fortement alcoolisés, dans des lieux de proximité, et à des heures élargies comparativement à l'offre en succursale SAQ, c'est accroître les effets négatifs bien documentés de l'alcool sur la santé publique.
Cette initiative va à l'encontre de la responsabilité fondamentale de l'État : protéger la santé de sa population, en particulier celle des jeunes.
En 2018, le Québec a été profondément bouleversé par le décès d'Athéna Gervais, une adolescente de 14 ans morte noyée après avoir consommé une boisson sucrée à haute teneur en alcool, achetée dans un dépanneur sur son heure de dîner.
Ce drame a mené à l'interdiction de la vente de ces produits contenant plus de 7 % d'alcool dans les commerces de proximité (article 31 de la Loi sur les permis d'alcool). Le coroner avait d'ailleurs recommandé un encadrement plus strict de la vente d'alcool pour éviter que de telles tragédies ne se reproduisent.
Une renonciation de son rôle d'exemplarité
Aujourd'hui, le projet de mini-agences et la livraison risquent de contourner cette interdiction en permettant à nouveau la vente de prêts-à-boire et de spiritueux à teneur élevée en alcool dans les commerces de proximité, dans des zones déjà bien desservies par la SAQ et les établissements privés.
En autorisant la vente et la livraison de produits SAQ par des acteurs privés, sans garanties suffisantes de contrôle et de formation du personnel, l'État contribue à banaliser le risque d'intoxications, potentiellement mortelles, chez les jeunes, tout en renonçant à son rôle d'exemplarité et en accentuant la libéralisation de la vente d'alcool.
La SAQ affirme vouloir « protéger son dividende » et « remplir sa mission ». Mais cette mission, centrée sur la performance économique, est aujourd'hui dépassée.
Il est urgent de la revoir pour y inclure explicitement la protection de la santé et la prévention en matière d'alcool. Une société d'État ne peut pas se contenter de générer des profits sans assumer les conséquences sociales et sanitaires de ses activités.
Les coûts liés à la consommation d'alcool au Québec dépassent les 3 milliards de dollars par an. Pourtant, aucune part des revenus de la SAQ n'est consacrée exclusivement à la prévention, au traitement ou à la recherche sur les méfaits de l'alcool. Ce déséquilibre est inacceptable.
Nous demandons de réviser le projet de mini-agences et d'ouvrir un dialogue avec les organisations de santé publique. Mais surtout, nous appelons à modifier rapidement la mission de la SAQ pour qu'elle reflète les valeurs de santé, de sécurité et de responsabilité sociale que les Québécoises et Québécois attendent de leurs institutions.
1. Lisez « Vente d'alcool jusqu'à 23 h dans les dépanneurs : la Santé publique sonne l'alerte rouge à la SAQ »
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