
Engagement humanitaire: Sabine Haupt, l'écrivaine au chevet des intellectuels afghans
Depuis la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, l'écrivaine Sabine Haupt s'engage sans relâche pour faire sortir ses collègues afghans du pays.
Marie-Lou Dumauthioz/Tamedia
En bref:
On dirait le combat d'une vie. Sauf qu'il n'est mené que depuis le retour au pouvoir des talibans en 2021, il n'y a même pas quatre ans. Depuis, l'inépuisable Sabine Haupt a sauvé près d'une centaine de personnes des griffes du régime islamique: 65 intellectuels afghans (écrivains, journalistes ou universitaires) et 26 de leurs enfants. Son nom fait encore suer les fonctionnaires du SEM (Secrétariat d'État aux migrations), qu'elle a inondé de centaines d'e-mails pour mettre en œuvre son «plan de sauvetage» .
À l'origine de son engagement: l'appel à l'aide d'un couple d'activistes afghans au centre PEN , association internationale de défense des écrivains dont Sabine Haupt est une membre très active en Suisse alémanique. Elle en fait un cas personnel. La professeure parvient à faire atterrir le couple à Genève en l'invitant à un congrès universitaire. Le trio établit ensuite une liste d'auteurs en danger de mort, sur le modèle de l'Union cycliste internationale qui a exfiltré 125 cyclistes afghanes du pays.
Sur la centaine d'Afghans persécutés figurant sur sa liste, 50 ont trouvé refuge en Suisse grâce à des bourses ou des visas humanitaires. L'autre moitié a pu être évacuée vers l'Allemagne, l'Espagne et la France. Seule une poignée de cas restent encore en suspens. Un taux de réussite qui relève presque du miracle. «Mes filles me disent que je suis une ONG à moi toute seule», sourit modestement la professeure de littérature à l'Université de Fribourg, fraîchement retraitée. Son combat a pu s'appuyer sur près de 100'000 francs versés par des fondations et un cercle de donateurs privés. Système de parrainage
Pour sauver tout ce monde de la menace talibane, Sabine Haupt a imaginé un système de parrainage entre écrivains suisses et collègues afghans. «C'était très attractif pour le SEM, car tout était prêt à l'emploi! J'avais numéroté tous les cas en leur attachant les documents requis pour les visas humanitaires, et établi des matchs avec une vingtaine d'écrivains d'ici. Je ne vous dis pas le nombre de jours que j'ai passé à faire des photocopies! Car il fallait tout envoyer par la poste.»
Pourquoi cette débauche colossale d'énergie? «Les gens m'ont beaucoup posé cette question. En réalité, ce n'est ni une soudaine poussée philanthropique, ni une manière d'occuper mon temps libre. J'ai simplement glissé là-dedans, une action en appelant une autre.» En tant qu'Allemande de gauche, il y aurait aussi quelque chose de l'ordre de la réparation historique: «Je ne me sens pas personnellement coupable des crimes du passé, mais cela joue peut-être sur mon subconscient. C'est une ombre qui me dépasse, en quelque sorte.» «L'Europe s'est barricadée»
Sabine Haupt est bien consciente que son titre de professeure lui a ouvert des portes qui lui seraient probablement restées fermées en tant que simple citoyenne. Elle n'a pas hésité à passer par la bande pour convaincre certains employés d'ambassade: «Beaucoup de choses sont possibles quand on n'emprunte pas uniquement les voies officielles. Si tout le monde faisait comme moi, le système ne pourrait évidemment pas fonctionner, mais tant que cela reste de l'ordre de l'exception, on agrandit considérablement la marge de manœuvre.»
Aujourd'hui encore, l'écrivaine reçoit des messages déchirants d'Afghans cherchant de l'aide. «Leurs destins me crèvent le cœur, mais je dois malheureusement leur répondre que je m'occupe uniquement des gens qui figurent sur cette liste, ce qui demande déjà énormément de travail.» Le «grand drame», c'est que les visas sont désormais rarissimes.
Depuis le début de la crise, «l'administration est devenue beaucoup plus cohérente, et donc beaucoup plus ferme ». Il n'y a «plus aucune porte à laquelle toquer». La voix émue, Sabine Haupt doit constater que «l'Europe s'est barricadée». En Allemagne par exemple, qui ambitionnait d'accueillir 1000 réfugiés afghans par mois au début de la crise, «le programme s'est stoppé net à la veille des élections l'année dernière». Valeurs égalitaires
Pour les Afghans ayant eu la chance d'arriver en Suisse, reste l'immense défi de l'intégration. «Le plus compliqué, c'est de trouver une autonomie financière et sociale. Comme il s'agit d'intellectuels, ils ont une facilité à apprendre. Plusieurs ont déjà un niveau C1 en allemand. Mais en matière d'aide, ils se heurtent à des différences énormes d'un canton à un autre, voire d'une commune à une autre.»
Beaucoup essaient de rester dans la filière universitaire, mais voient leurs idéaux se fracasser sur la barrière de la langue et l'incompatibilité entre les diplômes suisses et afghans. «Ce sont des gens réalistes, ils savent qu'il faut s'adapter. L'un d'eux, philosophe de formation, vient par exemple de commencer un apprentissage d'électricien.»
Sabine Haupt insiste sur leurs valeurs occidentales: «Ils savent lire et écrire, sont convaincus que la démocratie et l'éducation des filles sont une bonne chose, que la religion ne doit pas dicter les lois.» Une vision du monde qui «facilite énormément leur intégration en Europe» par rapport aux Afghans issus de milieux moins éduqués. Elle le concède volontiers, elle a forcément «une affinité plus naturelle avec les gens de son espèce». «D'ailleurs, j'ai toujours espéré que mon initiative fasse des émules, que chaque corps de métier s'occupe de ses pairs en difficulté.» Une anthologie de 50 textes pour raconter l'asile
Sabine Haupt vient de publier ce printemps «Wege durch finstere Zeiten» (en français: Des chemins à travers des temps obscurs), une anthologie de 50 textes racontant les parcours bouleversants de la fuite et de l'asile de quelques-uns des 91 Afghans sauvés par le réseau du PEN. Ils sont écrits – en allemand – par ces intellectuels et les collègues suisses qui ont volé à leur secours depuis 2021.
Souvenirs de l'arrivée cauchemardesque des talibans à Kaboul, témoignages d'attaques terroristes, tentatives désespérées de fuite (rappelez-vous ces Afghans s'agrippant aux ailes d'avion en partance), obstacles bureaucratiques et vues sur la politique d'asile internationale… Voix suisses et afghanes se chevauchent dans ce recueil d'une émotion sincère.
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