« Vous êtes des fous furieux les Bretons » : au coeur du Mûr dans le final de la 7e étape du Tour de France 2025
De loin, c'est une marée humaine compacte. De près, un bouillonnement ininterrompu. De l'intérieur, une fournaise. Un volcan qui rugit à intervalles plus que réguliers, qui recrache comme lave de la fureur, du bruit et des émotions. Et ça, pendant des heures. Des longues heures sous le soleil, sur un bitume chaud comme la braise, au milieu d'arbres qui distillent parfois un peu d'ombre, de l'air pour sécher la transpiration qui colle aux bras et la bière sur les maillots.
Le Tour à Mûr-de-Bretagne est un condensé d'une France qui s'est jetée dans l'été, d'une région tout entière qui s'est précipitée le long de la route pour rendre hommage à un sport qu'elle idolâtre et qu'elle sait célébrer peut-être comme personne d'autre.
Le Tour est une universalité et la Bretagne avait ramené le monde entier dans ses deux kilomètres volcaniques : les grands, les petits, les bedonnants, les affûtés, les enfants et les adultes, les maillots du Stade Brestois, de Lorient et de Rennes, les pancartes pour emmener Tadej Pogacar ou Mathieu Van der Poel à l'Élysée ou pour qu'Ewen Costiou brandisse immédiatement le Gwenn ha du, le drapeau d'un peuple qui avait sacralisé ce vendredi 11 juillet.
Mûr-de-Bretagne, vendredi, c'est aussi des phrases mythiques, des échanges lunaires, pas tout le temps vélo, mais qui font le sel du Tour de France et de son ambiance. « Aujourd'hui, c'est toi la plus belle », lance, l'oeil pétillant, un Breton venu de la côte de Cadoudal dans le Morbihan à chaque fois qu'une femme passe devant lui dans une voiture. La variante masculine est utilisée à bon escient, entre deux gorgées de bière ou d'eau, sous le soleil qu'il prend pleine poire depuis 11 heures du matin à cet endroit.
« Qu'est-ce qu'on fait là ? Franchement, je n'en sais rien. On marche sur la chaussée depuis neuf heures ce matin, on discute avec tout le monde et n'importe qui, en anglais avec les Italiens, en espagnol avec les Allemands, en slovène avec les Belges »
Gaël, un Breton de 37 ans
Un jeune homme affiche un combo bob Cochonou, chaussettes noires jusqu'au mollet et maillot aux bandes roses de l'Inter Miami quand son collègue mixe chaussettes Lidl, maillot du Stade Brestois et bob TotalEnergies. Le bon goût, oui, oui. « Stéphane, tu donnes ton slip et ta gourmette ! », a-t-on aussi entendu au passage d'un invité d'une marque après la caravane publicitaire. Caravane publicitaire qui donne lieu à des saillies remarquables de folie : « Putain, un bob panda ici en Bretagne, t'imagines comme c'est fou ?? » Plusieurs heures après, cette phrase était tout aussi incompréhensible, mais une hôtesse, perchée sur un melon, avait résumé tout un pan de l'ambiance : « Vous êtes des fous furieux les Bretons. »
« Qu'est-ce qu'on fait là ? Franchement, je n'en sais rien. On marche sur la chaussée depuis neuf heures ce matin, on discute avec tout le monde et n'importe qui, en anglais avec les Italiens, en espagnol avec les Allemands, en slovène avec les Belges. J'y comprends rien et j'ai soif, raconte, gapette Vache qui rit sur la tête Gaël, un Breton de 37 ans. Mais qu'est-ce qu'on s'amuse... On est venus à cinq potes de Locminé, on va essayer de retourner sur la route demain, mais franchement c'est pas gagné. Celui qui conduit est là-bas, en train de dormir. » La sieste est un impératif.
Quelques mètres plus bas, un homme dont le mégaphone est le prolongement du bras depuis plus de deux heures, alterne entre les appels de motivation et les consignes pour réguler la circulation. Sympa. Un couple a même trouvé le moyen de monter un canapé, calé entre le ravin et le chemin à l'herbe jauni. Beau boulot. Un peu plus haut, dans le champ, trois catégories de personnes trouvent refuge : les petits enfants, les grands-parents, et ceux qui ont déjà explosé comme une bulle de cidre sous les coups de boutoir du soleil, de l'alcool et de la fête depuis tôt le matin.
Bien avant le passage des coureurs, chaque alignement de potes entre en fusion lorsqu'un cycliste arrive dans les plus forts pourcentages, encore plus lorsqu'il coince ou donne des signes de fatigue. Pour l'aider, une rangée se forme, coiffures bigoudènes confectionnées avec du papier, et entonne quelques chants bretons. Parfois en néerlandais, parfois en anglais (l'immense tube Everytime we touch repris par Cascada ou l'indémodable Sweet Caroline de Neil Diamond) ce qui donne à Mûr-de-Bretagne une sacrée coloration.
« Passer en tête au sommet de la première ascension de Mûr-de-Bretagne, rien ne pouvait m'arriver de plus beau. Je n'entendais plus rien »
Ewen Costiou
Des chants, des encouragements, des cris, un bourdonnement qui ne cesse jamais, et que les coureurs ne pouvaient pas éviter non plus. Pour le plus grand plaisir du Breton Costiou, qui a entamé l'ascension seul, fendant la foule comme un duc, une foule qui découvrait son raid solitaire pile à cet instant puisqu'elle était le plus souvent privée de réseau depuis de longues minutes. « C'était juste incroyable, racontera à l'arrivée le Breton d'Arkéa B & B Hotels. Je savais qu'il y aurait du monde pour moi, que mes amis, ma copine, ma famille allaient venir. Mais là, j'avais l'impression que tout le monde gueulait mon nom. Passer en tête au sommet de la première ascension de Mûr-de-Bretagne, rien ne pouvait m'arriver de plus beau. Je n'entendais plus rien. »
Le public breton en surcuisson n'est pas radin en encouragements et il continue son concert pour tous les coureurs, même les plus attardés, surtout les plus attardés, et il se voit parfois récompenser par une roue avant sur plusieurs mètres de Will Barta de Movistar et Soren Waerenskjold d'Uno-X Mobility. Nouvelle salve de cris et de rires. Avant que la procession ne quitte les pentes de Mûr-de-Bretagne.
Depuis le haut de la bosse, l'image est magnifique. Un défilé de drapeaux, de couleurs et de douceurs. « J'ai rencontré ce matin / Devant la haie de mon champ / Une troupe de marins / D'ouvriers, de paysans / Où allez-vous, camarades ? », chantait le Breton Gilles Servat dans La Blanche Hermine il y a plus de cinquante ans. Vendredi matin, en chantant, ses descendants finissaient son vers ainsi : « À Mûr-de-Bretagne. »
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