
«En son temps, Chateaubriand avait déjà analysé les effets d'une dissolution mal acceptée»
Alexis Fourmont est maître de conférences en droit public de l'Université Paris 1. Il est l'auteur de Chateaubriand. Les paradoxes du parlementarisme romantique (Michalon, 2025).
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Il n'est pas certain que Chateaubriand eût aimé notre époque, mais il y aurait perçu de troublantes résonances avec la sienne. À l'heure où l'exécutif, privé de majorité stable, affronte une représentation émiettée en une poussière de groupes, et où la tentation de gouverner contre le Parlement ressurgit, son regard lucide offre une boussole.
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Bien avant que le gouvernement parlementaire ne se cristallise en France ou en Grande-Bretagne, Chateaubriand en avait esquissé les linéaments. Hostile à la concentration du pouvoir dans la couronne, il plaide pour un cabinet qui en serait détaché, parce que politiquement solidaire, fondé sur une majorité cohérente et responsable devant les chambres. Ce précurseur du parlementarisme pressentait les ressorts d'une vie politique assise sur la confiance.
Le ministère, écrivait-il, doit constamment prouver sa capacité». L'autorité n'est jamais figée : elle s'entretient par l'adhésion continue de la majorité et, au-delà, de l'opinion publique. Il distingue en un sens la légitimité d'autorisation – la confiance initiale du Parlement – de la légitimité d'exercice – l'assentiment soutenu tout au long de la législature.
La majorité parlementaire est, pour lui, le cœur battant du régime. Sans elle, le gouvernement perd sa capacité d'entraînement. Il n'a plus ni ancrage ni perspective, risquant d'être otage de l'opinion du jour, dévoyé par les coups d'éclat parlementaires ou les combinaisons improvisées. On ne gouverne pas durablement par la seule force des procédures, fût-elle celle du parlementarisme rationalisé.
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Or le gouvernement se maintient actuellement par défaut plus que par adhésion, la délibération parlementaire étant marquée par une effervescence confinant à la dispersion et au théâtre d'ombres. Le régime parlementaire que Chateaubriand appelait de ses vœux repose sur une concordance entre exécutif, opinion publique et représentants. Cette symbiose est aujourd'hui rompue par la verticalité du pouvoir durant une grande part des huit dernières années et l'éclatement partisan, rendant la mécanique institutionnelle instable et illisible.
L'opposition parlementaire (qu'il pratiquait lui-même avec ardeur) doit être «systématique». La contestation au cas par cas, dite «de conscience est impuissante. La conscience peut arbitrer un fait moral, elle ne juge point d'un fait intellectuel. N'en est-il ainsi, alors tel député prend sa bêtise pour sa conscience et la met dans l'urne. [Cela revient] à flotter entre les partis, à ronger son frein, à voter même, selon l'occurrence, pour le ministère, à se faire magnanime en enrageant ; opposition d'imbécillités mutines chez les soldats, de capitulations ambitieuses parmi les chefs». La cohésion fait défaut à une telle opposition, puisque seules les circonstances la déterminent, ce qui la rend aléatoire dans ses effets. Une telle attitude sème les germes de l'instabilité.
À ses yeux, il ne suffit pas d'avoir un Parlement : encore faut-il qu'il délibère et contrôle, qu'il « sache se faire respecter ». Ni d'avoir une opposition : encore faut-il qu'elle soit audible. Alexis Fourmont
Chateaubriand ne croyait ni aux gouvernements faibles ni aux coalitions artificielles. Il redoutait les «ministères de hasard», nés d'arrangements sans cap. Il n'était point hostile à l'astuce procédurale, mais il eût vu dans l'usage répété de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution un expédient révélateur d'une perte de substance du régime représentatif. Sans doute aurait-il considéré l'emploi de la motion de rejet préalable, initiée par la coalition les 26 mai et 2 juin derniers, non comme l'expression d'une habileté politique, mais comme une façon pour le Parlement de se réduire au silence dans une sorte d'«auto-49.3». Le contournement du débat ne peut être une méthode de gouvernement durable.
À ses yeux, il ne suffit pas d'avoir un Parlement : encore faut-il qu'il délibère et contrôle, qu'il «sache se faire respecter». Ni d'avoir une opposition : encore faut-il qu'elle soit audible. Ni d'avoir un gouvernement : encore faut-il qu'il dirige et rende des comptes. Le régime parlementaire repose sur un équilibre entre autorité et liberté, efficacité et discussion. Cela présuppose un art de gouverner, non une fuite en avant hors des assemblées vers les conclaves ou les conventions citoyennes.
Ce lien de confiance repose sur un principe fondamental : la fonction élective du Parlement. Chateaubriand concevait la chambre basse comme le lieu d'une médiation entre le pouvoir et le pays, non comme un simple rouage de validation. L'opinion publique est le «juge suprême» : elle s'exprime à travers des représentants élus, dotés du pouvoir réel de faire ou de défaire un cabinet.
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Que faire alors d'un Parlement sans majorité ? Chateaubriand n'aurait pas exclu la dissolution. Il y aurait vu un recours grave, mais salutaire, dès lors qu'il permet de rétablir l'expression de l'opinion en cas de crise prolongée. Encore faut-il que cet acte ne soit ni manœuvre ni dérobade, mais volonté de refonder la confiance. Dissoudre, c'est rouvrir un cycle de légitimation, non éluder sa responsabilité en se défaussant sur l'électeur.
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Il connaissait les effets d'une dissolution mal acceptée : celle de 1816, décidée contre la Chambre introuvable, lui apparut comme un coup porté à la logique représentative naissante. Il plaida pour une parlementarisation du régime par-delà le texte de la Charte.
Aujourd'hui, alors que l'exécutif gouverne en minorité, que l'opposition est fragmentée et que la confiance devient un obstacle plus qu'un socle, Chateaubriand tend un miroir : il ne prônait pas le retour à un passé révolu, mais l'élaboration patiente d'un régime qui tienne. Un régime où gouverner signifie rassembler, non imposer ; convaincre, non contourner.
Cela exige de nos jours de remettre en cause l'incompatibilité entre les fonctions ministérielles et le mandat parlementaire afin de ressusciter une culture de la délibération au sein du gouvernement. À cet égard, l'institution de secrétaires d'État parlementaires insufflerait une bilatéralité entre organes exécutifs et assemblées. Les majorités ne se décrètent pas, elles se construisent.
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