
Et si c'était un toaster ?
Comme ça vous trouvez que la Direction de l'état civil a abusé de son pouvoir en interdisant à des parents de prénommer leur enfant Tomás avec un accent aigu sur le « á » ?
Je trouve un peu aussi. Un peu seulement. Et ça m'embête parce que je m'apprêtais à souligner le bon sens de cette même Direction qui, juste avant, avait refusé à d'autres parents de prénommer leur fille « C'est-un-ange ».
A-t-on idée ! Les registres de l'état civil n'ont pas pour fonction de recueillir les moumouneries des parents qui guiliguilisent autour des berceaux.
Ben oui, votre fille, votre fils est un ange, madame. Une merveille. Un amour. Un petit lapin. Mais il faut qu'un prénom dure toute la vie, et votre petit ange n'en sera plus un très vite. Le petit crétin qui met ses doigts dans son nez deviendra un ado de taille moyenne, puis un employé au Gaz Métropolitain qui fera de la musculation tous les samedis matins dans un Nautilus voisin.
Maintenant que la porte est ouverte aux prénoms-célébrations, qui empêchera les nouvelâgeux de prénommer leur rejeton « C'est-notre-enfant-intérieur » ? Le petit comique : « C'est-un-toaster ». Ou le lucide : « C'est-un-fils-de-pute » ?
Pour revenir à Tomás, la difficulté qu'on aura à trouver un accent aigu pour son « á », le temps que passera cet enfant-là à expliquer que c'est une spécialité portugaise comme la morue « à Brás » ne regarde peut-être pas la loi, mais entre vous et moi, ce n'est pas non plus la trouvaille du siècle. Drette-là, je viens de passer dix minutes à chercher le « á » sur le clavier de mon ordinateur, et ne l'ayant pas trouvé j'ai dû appeler au pupitre pour dire aux boys de faire attention. Un Léon m'eût causé moins de problème, et c'est très joli aussi Léon.
Un sujet léger oui, mais qui pose des questions qui le sont moins. Un sujet anodin qui sous-tend deux cultures, deux sensibilités, deux modèles de société. L'un se propose de garantir les libertés individuelles – appeler son enfant « C'est-un-ange », porter le voile islamique à l'école, prier en classe, etc… L'autre modèle (que l'on nomme parfois République) propose, lui, de garantir le bien commun.
EN BOUT DE LIGNE – Mon unique résolution de l'année était de ne plus jamais parler des livres de mes confrères, et qu'est-ce que je m'apprête à faire, là, tout de suite ? Eh oui : je m'apprête à vous parler du livre d'un confrère de La Presse, Paul Roux, l'auteur du Mot du jour de la page trois, et maintenant auteur d'un remarquable Lexique des difficultés du français dans les médias.
Le français dans les médias, c'est le français que la plupart des gens parlent en bout de ligne, si j'ose dire, puisque c'est celui qu'ils entendent et lisent dans les journaux.
Ce que le lexique de Paul Roux a de plus remarquable, c'est de n'être pas pédant comme le sont trop souvent les lexiques. On y apprend des choses sans recevoir des tapes sur les doigts, on y apprend forcément qu'on est nul, mais avec l'impression qu'avec un peu d'application ça pourrait se corriger…
Dans mon cas, beaucoup d'application. C'est affreux toutes les fautes que je fais. Ces majuscules et ces traits d'union où il ne faut pas, cette ponctuation syncopée, ces mauvais usages, et tous ces anglicismes. Ah les anglicismes ! Franchement, je crains de ne jamais réussir à dire prêt-à-monter, au lieu de kit ! Revendeur au lieu de pusher. Et ne le répétez pas, mais je crains aussi que l'Office de la langue française ait à se brosser un crisse de temps avant que je ne dise aliment vide au lieu de junk food.
– Qu'est-ce tu manges quand t'es sur la route ?
– De l'aliment vide….
Allons donc.
C'est comme le toaster du titre de la présente chronique. Un grille-pain, c'est un machin pour faire des toasts. Un toaster, non. Dans mon lexique intime, le toaster est le grand Objet mythique lui-même. Un peu comme le lion est le roi des animaux, le toaster est le lion des objets. Bref, il y a l'Office de la langue française et il y a l'Office de la langue Foglia.
Un peu de sérieux, le Lexique des difficultés du français dans les médias de mon collègue Paul Roux est disponible au prix de 19,95 $ à La Presse (514) 285-7364 et dans de très rares librairies, dont la Librairie du Square, rue Saint-Denis.

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La Presse
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L'art de vivre
Cette chronique a été publiée le jeudi 7 septembre 1989, en page A5. Nous la republions sans altérer les mots que l'auteur a utilisés à l'époque. J'ai mal calculé mon coup. J'aurais dû prendre mes vacances juste après le zoo. M'en aller loin. Éviter tout ça. Les élections, les BPC, le plomb. Je brette depuis deux semaines. Les boss chicanent : « T'es en vacances ou pas ? » … Je sais pas, bon. Disons que je suis dans une espèce de flouxe existentiel. Même que certains jours sont plus flux que flouxe. Anyway… Cette chronique-ci et une autre samedi, et c'est fini, je tombe en vacances pour vrai. Ce ne sera pas un luxe. J'ai passé un été super rushant, merci… Ce n'est pas sur la job que j'ai rushé, non. Il n'y a pas que la job, mon vieux, y'a la vie. Tré-pi-dante, la vie, depuis le printemps, du côté de St-Armand. Plus que trépidante : trépignante, tressaillante, tressautante et même très sautée. Mais le mot juste serait plutôt : trépassante. Pour vous dire à quel point très passante, la vie à Saint-Armand, depuis le mois de mai, il est passé chaque jour, devant chez moi, jusqu'à 48 camions de 28 tonnes. Est-ce assez très passant pour vous ? … Ils refont la route, quatre kilomètres plus bas. Rien de futile donc, c'est entendu, mais c'est la manière… Un beau jour de mai, 48 camions qui passent et qui brassent. Bon, une sale journée. On se dit que ça ne durera pas. Mais le lendemain même chose. Et ça dure la semaine. Et la semaine d'après, et le mois… Pas un mot d'explication ou d'avertissement, ou d'excuse. Rien. Fuck ! Pourquoi pas une circulaire comme le fait l'Hydro pour ses réparations. De telle date à telle date, etc. Mais non, au lieu de cela ils arrivent comme Attila. Otez-vous du chemin on s'en vient, rentrez vos petits et vos chats. On me dira qu'avertis ou non, au bout de la ligne, c'est le même nombre de camions de gravelle. Oui. Sauf que, vous l'avez peut-être déjà remarqué, un bruit qui s'excuse dérange beaucoup moins qu'un bruit qui envahit. Autre chose. Ces camions eussent fait infiniment moins de tapage en passant moins vite. Plus de temps, donc. Plus d'argent. Mais pourquoi pas ? Pourquoi le temps de l'entrepreneur serait de l'or et pourquoi le mien et celui de mes voisins ne vaudrait rien ? Petite parenthèse. Je ne chronique pas ici sous le coup de l'exaspération. Les camions ne passent plus devant chez moi, les travaux sont finis ou presque… Ce qu'il y a cependant d'exaspérant dans ma petite histoire c'est, comment dire ? Le paradoxe de l'usager. Parce que, bien sûr, c'est pour son bien qu'on écœure l'usager. C'est lui qui profitera de la route quand elle sera terminée. En attendant, il est prié de fermer sa gueule quand passent les camions du progrès… De fait, l'usager, mon voisin, est plutôt content de ce qui lui arrive. Cette route qu'on se prépare à asphalter dans deux ou trois ans, ça fait vingt ans qu'il la réclame… Pourquoi l'usager, mon voisin, veut une route asphaltée entre Saint-Armand et Frelighsburg ? Fouille-moi. Pour gagner dix minutes ? Pour ne pas abîmer son pick-up dans les fondrières du printemps ? Pour attirer les touristes ? Personnellement, je le trouve superbe ce chemin de terre qui traverse un des plus beaux paysages d'Amérique. Et parfaitement praticable en toutes saisons. Pour l'asphalter on va devoir couper des centaines d'arbres, déplacer des maisons, araser des collines, redresser des courbes. Et le prix alors ! Cet été on a seulement aménagé un passage difficile, la traversée d'un marécage qu'il a fallu remblayer de copeaux, une travée de moins d'un kilomètre, coût des travaux : 300 000 $ ! Sans l'asphalte. 400 000 $ avec l'asphalte qu'on coulera dans trois ans. Imaginez, il y en a dix kilomètres comme ça… Mais le plus déraisonnable, là-dedans, n'est pas l'argent gaspillé. C'est le choix de société que cela implique. C'est-là la vraie question d'environnement. La première sinon la seule dont sont en train de nous éloigner et de nous distraire nos présents avatars écologiques. Qu'on pense à Saint-Jean. On s'excite beaucoup à la périphérie de l'affaire, sur des merdouilles électorales, sur l'éventuelle incurie du ministère de l'Environnement, sur les conséquences de l'accident lui-même… Ce ne sont pourtant là que des effets presque secondaires. Il y a tout de même bien eu, au départ, des responsables municipaux qui ont permis, que dis-je « permis », qui ont accueilli à bras ouverts, des pollueurs notoires dans un quartier résidentiel. Pourquoi ? Je l'ai entendu dire à la radio par un de ces responsables justement : Parce que ça crée des jobs et que ça rapporte des taxes à la ville, mon vieux. Des jobs et des taxes. Les deux mamelles du commerce que tous les épiciers de la terre ont toujours confondu avec le progrès. Anyway. Des jobs et des taxes, comme religion à la grandeur de la province. Et le développement comme fanatisme. Il n'y a pas un maire de village au Québec qui ne rêve pas de Bromont et de Hyundai. Je n'ai pas juste rushé sur les trucks de gravelle cet été. J'ai rushé aussi sur une scierie qui vient de s'installer pratiquement dans ma cour. Je suis allé voir pour parlementer, pour arranger quelque chose, je ne sais trop comment… J'ai été reçu assez froidement par un petit cadre qui m'a dit : – Écoute y'a des inconvénients, forcément, mais il y aussi des avantages… – Ah oui, lesquels ? – Ben ça crée des jobs… Sauf que ça créerait les mêmes jobs ailleurs. Je ne veux pas dire ailleurs, dans la cour d'un autre voisin. Je veux dire quelque part où il n'y aurait pas de voisins. Et encore là, le pire c'est peut-être la manière. Pas un mot. Personne qui vient frapper à ta porte qui dit : « Je suis votre nouveau voisin. Je suis désolé de faire du bruit, est-ce que vous l'entendez beaucoup ? » Je sais bien, ça ne changerait rien. Et pourtant ça changerait tout. Tout cela se tient. Les camions. Les BPC. Saint-Jean. La scierie. Tout cela trahit le même choix de société. Des jobs, des taxes, du développement, des services. Presque plus d'individus, mais des millions d'usagers. Tout cela participe de la même insensibilité. De la même civilisation sans civilité. De la même société techniquement très évoluée mais d'où est absent tout art de vivre. Quand M. Bourassa (et M. Parizeau) laissent entendre qu'ils vont donner plus de pouvoir et plus de budget au ministère de l'Environnement, je les trouve aussi pathétiques que M. Bush lorsqu'il croit lutter contre la drogue en payant 8 milliards d'heures supplémentaires à ses flics. L'art de vivre ne s'achète pas. Ça s'invente avec beaucoup de guts.


La Presse
an hour ago
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Ma vie, c'est de la… neige
Cette chronique a été publiée le samedi 5 janvier 2013, en page A5. Nous la republions sans altérer les mots que l'auteur a utilisés à l'époque. C'est pas la neige ; la neige, ça se pellette. C'est pas la neige, c'est ceux qui disent, inspirés, ah comme il a neigé ! C'est pas la neige qui me fait chier, c'est la bonne femme météo qui nous l'annonce comme un cadeau. C'est pas la neige, c'est ceux qui revendiquent leur nordicité et qui s'en font un drapeau. Ceux qui ont déjà déneigé un toit, levez la main. Les autres, taisez-vous donc. Sont 30 kilos over, l'été tondent leur gazon sur un petit tracteur, leur gros cul qui déborde du siège, pout, pout, pout. Veulent nous faire croire qu'ils vont chercher le journal au village en raquettes ou en ski de fond. C'est pas la neige, c'est les bigots, les dévots du froid. Fait moins vingt, moins 55 avec le refroidissement éolien ; attention, tu vas te geler les couilles. Mais les couilles, ça gèle pas. Le cerveau, oui. Le pays des cerveaux gelés. Les blizzards ont trempé leur âme, forgé leur volonté. C'est pas la neige, c'est ceux qui la revendiquent comme identité, comme civilisation. C'est pas la neige, c'est le Canada. De novembre à avril, je suis complètement, exclusivement luxembourgeois. Cette nuit, les coyotes m'ont réveillé. Quand je les entends glapir, ricaner et japper si près de la maison, je me dis les sacraments sont en train de bouffer un de mes chats. Alors je me lève pour les compter. Pas les coyotes, niaiseux. Les chats… 7, 8, 9 il en manque un. Ah, voilà Charlie qui sort de l'armoire à musique. Dix avec Charlie. Tout est bien. J'ai dit un, c'est une. Tout l'été on a cru que Charlie était un garçon. C'est une fille. Elle nous est arrivée une nuit de juillet, plus petite qu'un rat, noire et blanche comme sa mère, qui vit à cinq kilomètres d'ici sous le pont de la rivière aux Brochets. Tellement maigre, la mère, qu'elle ne devait plus avoir de lait. Si c'est comme ça, a dit la petite, son baluchon sur l'épaule, je m'en vais chez les Foglia. Cinq kilomètres à travers une forêt pleine de coyotes. Allez pas croire, j'aime les coyotes aussi. Plus que les gens. Tiens, l'autre matin, sur Twitter, y avait une photo mise en ligne par Carey Price qui le montrait lui, Carey Price, un fusil semi-automatique à la main, derrière un pick-up dans la boîte duquel on voit le coyote qu'il venait de tuer. Mettons j'aurais 40 ans. Mettons j'aurais un petit garçon de 8 ans. Mettons dans sa chambre, au mur, y aurait un poster de Carey Price. Et ben drette là, drette là ! y aurait pu de poster de Carey Price. Le petit garçon pleurerait. Pleure pas, c'est un con. Viens, je vais t'apprendre une récitation, ça s'appelle La mort du loup… Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant/Il nous regarde encore et se recouche/Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche/… Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri1. T'as compris ? Sans jeter un cri. Arrête de brailler. Parlant de hockey, mon année sportive a commencé par un cri de joie quand j'ai entendu, jeudi matin, à C'est bien meilleur le matin, que l'équipe canadienne s'était fait sortir de la finale du Championnat du monde de hockey junior. Défaite de 5 à 1 contre les Américains. Yess. J'étais surtout content pour les entraîneurs canadiens incapables de mettre en valeur le formidable talent de cette équipe pour n'en exploiter, comme d'habitude, que le côté le plus sombre : la brutalité. Mon année sportive s'était terminée le 31 décembre par la lecture d'un des meilleurs textes sportifs de l'année, Ronald King, dans La Presse. Le titre, « La honte ». Le sujet, cette même équipe junior : « Le scénario se répète chaque année… les jeunes nous font honte avec du jeu violent, digne des pires matchs professionnels. Autant ils sont talentueux, autant ils sont détestables, anti-sportifs, mesquins. » Ma vie c'est d'la marde, une fois, dix fois, cinquante fois, c'est amusant. Mais 1263 fois ? Lorsque ce printemps j'ai entendu Lisa LeBlanc en entrevue à l'émission de madame Perrin, j'ai eu le même coup de cœur que pour Adamus, ou pour Avec pas d'casque. Même marginalité inspirée, même liberté dans les textes. Mais j'ai su de suite que cette toune-là – Ma vie c'est d'la marde – allait sans doute la tuer après l'avoir mise au monde. C'est ce qui est en train d'arriver. C'est bête parce que c'est une bonne toune, sauf qu'on n'entend plus les autres. Cette fille, qui est beaucoup plus qu'un accent et une parlure, est en train de se laisser réduire à une toune, même pas à une toune, à un mot : de la maaaaaaaarde. Triste. Je viens de voir cinq bons films québécois de suite. Je sais, les revues de l'année ont toutes souligné que 2012 n'avait pas été un grand cru… Laurence Anyways, c'est 2011 ? Oui, mais il vient juste d'arriver à mon club vidéo. Camion aussi, c'est bon, non ? C'est même meilleur. Rebelle, j'ai eu de la misère, mais c'est loin d'être nul. Il y a aussi Le torrent, si fidèle (trop ? ) à Anne Hébert, et l'extraordinaire Laurentie dont j'ai déjà parlé. Ça fait cinq de suite. Pour une mauvaise année… Parlant de cinéma, je lisais l'autre jour un article sur Audrey Tautou, qui incarne Thérèse Desqueyroux. J'ai eu une absence, c'tu Mauriac, Thérèse Desqueyroux ? Cout'donc, cela vous arrache tant que cela la gueule de nommer l'auteur ? Comme le film dont tout le monde parle ces jours-ci, De rouille et d'os. Avant d'être un film d'Audiard, c'est une nouvelle d'un auteur canadien, Craig Davidson (d'ailleurs très mal traduit chez Albin Michel). Encensée par la critique américaine, saluée par des écrivains comme Thom Jones, Brady Udall, Stewart O'Nan, De rouille et d'os est d'abord une œuvre littéraire, un LI-VREU. Un livre dans lequel il y a huit histoires qui pourraient toutes devenir des films. Nommez-moi un film qui est déjà devenu un livre. Le mononcle à sa nièce qui est en première année : Pis ? Aimes-tu l'école ? La réponse fuse : non ! Mais il faudra bien apprendre à lire pareil parce que si on a des enfants, on va être obligé de leur lire des histoires. Bref, faut aller à l'école. Faut apprendre à lire. Faut avoir des enfants. Faut leur lire des histoires. Pouuuuh. La chanteuse aurait-elle raison ? 1. Poème d'Alfred de Vigny.


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Le printemps est arrivé
Extrait d'une chronique publiée le mardi 31 mars 1998, en page A5. Nous le republions sans altérer les mots que l'auteur a utilisés à l'époque. Samedi matin. Vous vous rappelez le soleil samedi matin ? 24 radieux degrés. Pas un souffle de vent. Devinez ce que j'ai fait ? Cochez la bonne réponse : • J'ai regardé la lutte à la télé. • J'ai lavé mon auto dans l'entrée du garage. • J'ai fait du vélo. Du vélo, ben oui. Comment avez-vous deviné ? Je ne me souviens pas d'une aussi lumineuse première sortie. Dans le creux des vallons, les ruisseaux, gros des neiges de la montagne, vomissaient l'hiver à grands bouillons. On traversait des nappes de froid qui nous faisaient frissonner, mais c'était pour retrouver aussitôt la touffeur de l'été dans l'adret du même coteau. Chaud et froid, l'impression de pédaler dans une omelette norvégienne. Mes routes ne sont jamais plus belles que lorsque je les retrouve la première fois, au sortir de l'hiver. Toute la beauté du monde à l'endroit précis où le regard prend en enfilade la lisière de la forêt pour aller buter sur la montagne de Jay, au loin. La route monte doucement avant de plonger vers Richford à travers les prairies encore enneigées. « Ici Serge, juste ici, une des images les plus achevées de la beauté de monde. » J'aime à le répéter à mon ami Serge qui n'a presque jamais quitté ce coin de pays. On se disait en pédalant que la beauté était souveraine contre le cancer et la politique. On disait notre certitude la plus certaine : « La vie est là, simple et tranquille. » Du côté de Berkshire on a fait un détour par la Old Boston Post Road pour aller saluer l'antiquaire du Jolly Store et son chat blanc. Mais le détour était aussi pour la perfection architecturale de la petite église anglicane voisine, qu'on devine meublée de sapin clair et de bois verni. À la douane de Richford, le douanier canadien avait sorti au soleil ses plants de géranium, une centaine au moins. Il paraît qu'on songe à fermer les petites douanes comme celle-ci. On économisera presque rien. Et on aura quelques chômeurs de plus. Et quelques géraniums de moins. Du côté québécois, la route qui reconduit à Frelighsburg, tout aussi bucolique que celles du Vermont, traverse les terres de vieux orangistes que la lutte pour la tranquillité du mont Pinacle a rapprochés des nationalistes. La plus chaleureuse des mésalliances. Sherman sortait de l'étable avec son chien. On s'est arrêté pour lui parler des pins rouges qu'il a bûchés cet hiver. On a aussi parlé jardin tout en se refélicitant du calme retrouvé après le grand brouhaha des promoteurs esbroufeurs. – Crois-tu que ça le dérange qu'on soit séparatistes ? – Ça le dérangerait si on en faisait une histoire, par exemple, si je hissais le drapeau du Québec sur mon toit… – C'est pour cela que tu ne le fais pas ? – Un peu. Ce sont des gens fragiles. Ils se sentent menacés. Ils ont énormément perdu au cours des vingt dernières années. Ce paysage leur doit beaucoup. Ils l'ont façonné. Il faut en prendre soin. De toute façon les gens sont toujours plus importants que les idées. Du haut de la Joy Hill on a plongé vers Frelighsburg. Dans un mois et demi, l'air embaumera le lilas et le muguet. Mais samedi rien. Je l'ai noté dans la descente. L'air n'était que du vent, chargé de rien d'autre que d'un reste d'hiver. Il aura manqué à cette première sortie un parfum. Dans un mois et demi, l'air embaumera le lilas et le muguet, mais avant il devra tomber quelques pluies chaudes. Alors montera l'odeur de la terre. Alors le printemps pourra commencer. On a pris un café Aux Deux Clochers où le frère de Lizanne nous a dit que Lizanne était enceinte. Vous ne connaissez pas Lizanne ? C'est pas grave. Moi je ne connaissais pas son frère. Lizanne Bussières, la gloire sportive du village. Marathonienne olympique, 5e au marathon de Boston, venue au cyclisme depuis trois ans, elle a terminé 17e du Tour de France l'an dernier, ce qui est une conversion totalement prodigieuse. Une grande athlète. Et une petite bonne femme de rien du tout. Enceinte elle doit avoir l'air d'une fourmi qui pousse un ballon de rugby. Hey voisine, si c'est des quintuplés, m'en mettrais-tu un de côté ? … J'ai roulé le dernier bout de chemin tout seul. Je suis passé devant chez Lizanne justement. C'est le chemin Saint-Armand, le plus beau d'Amérique. Il me ramène chez nous.