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L'art de vivre

L'art de vivre

La Presse7 hours ago
Cette chronique a été publiée le jeudi 7 septembre 1989, en page A5. Nous la republions sans altérer les mots que l'auteur a utilisés à l'époque.
J'ai mal calculé mon coup. J'aurais dû prendre mes vacances juste après le zoo. M'en aller loin. Éviter tout ça. Les élections, les BPC, le plomb. Je brette depuis deux semaines. Les boss chicanent : « T'es en vacances ou pas ? » … Je sais pas, bon. Disons que je suis dans une espèce de flouxe existentiel. Même que certains jours sont plus flux que flouxe. Anyway…
Cette chronique-ci et une autre samedi, et c'est fini, je tombe en vacances pour vrai. Ce ne sera pas un luxe. J'ai passé un été super rushant, merci…
Ce n'est pas sur la job que j'ai rushé, non. Il n'y a pas que la job, mon vieux, y'a la vie. Tré-pi-dante, la vie, depuis le printemps, du côté de St-Armand. Plus que trépidante : trépignante, tressaillante, tressautante et même très sautée. Mais le mot juste serait plutôt : trépassante. Pour vous dire à quel point très passante, la vie à Saint-Armand, depuis le mois de mai, il est passé chaque jour, devant chez moi, jusqu'à 48 camions de 28 tonnes. Est-ce assez très passant pour vous ? …
Ils refont la route, quatre kilomètres plus bas. Rien de futile donc, c'est entendu, mais c'est la manière…
Un beau jour de mai, 48 camions qui passent et qui brassent. Bon, une sale journée. On se dit que ça ne durera pas. Mais le lendemain même chose. Et ça dure la semaine. Et la semaine d'après, et le mois… Pas un mot d'explication ou d'avertissement, ou d'excuse. Rien. Fuck ! Pourquoi pas une circulaire comme le fait l'Hydro pour ses réparations. De telle date à telle date, etc. Mais non, au lieu de cela ils arrivent comme Attila. Otez-vous du chemin on s'en vient, rentrez vos petits et vos chats. On me dira qu'avertis ou non, au bout de la ligne, c'est le même nombre de camions de gravelle. Oui. Sauf que, vous l'avez peut-être déjà remarqué, un bruit qui s'excuse dérange beaucoup moins qu'un bruit qui envahit.
Autre chose. Ces camions eussent fait infiniment moins de tapage en passant moins vite. Plus de temps, donc. Plus d'argent. Mais pourquoi pas ? Pourquoi le temps de l'entrepreneur serait de l'or et pourquoi le mien et celui de mes voisins ne vaudrait rien ?
Petite parenthèse. Je ne chronique pas ici sous le coup de l'exaspération. Les camions ne passent plus devant chez moi, les travaux sont finis ou presque… Ce qu'il y a cependant d'exaspérant dans ma petite histoire c'est, comment dire ? Le paradoxe de l'usager. Parce que, bien sûr, c'est pour son bien qu'on écœure l'usager. C'est lui qui profitera de la route quand elle sera terminée. En attendant, il est prié de fermer sa gueule quand passent les camions du progrès…
De fait, l'usager, mon voisin, est plutôt content de ce qui lui arrive. Cette route qu'on se prépare à asphalter dans deux ou trois ans, ça fait vingt ans qu'il la réclame…
Pourquoi l'usager, mon voisin, veut une route asphaltée entre Saint-Armand et Frelighsburg ? Fouille-moi. Pour gagner dix minutes ? Pour ne pas abîmer son pick-up dans les fondrières du printemps ? Pour attirer les touristes ?
Personnellement, je le trouve superbe ce chemin de terre qui traverse un des plus beaux paysages d'Amérique. Et parfaitement praticable en toutes saisons. Pour l'asphalter on va devoir couper des centaines d'arbres, déplacer des maisons, araser des collines, redresser des courbes. Et le prix alors ! Cet été on a seulement aménagé un passage difficile, la traversée d'un marécage qu'il a fallu remblayer de copeaux, une travée de moins d'un kilomètre, coût des travaux : 300 000 $ ! Sans l'asphalte. 400 000 $ avec l'asphalte qu'on coulera dans trois ans. Imaginez, il y en a dix kilomètres comme ça…
Mais le plus déraisonnable, là-dedans, n'est pas l'argent gaspillé. C'est le choix de société que cela implique. C'est-là la vraie question d'environnement. La première sinon la seule dont sont en train de nous éloigner et de nous distraire nos présents avatars écologiques.
Qu'on pense à Saint-Jean. On s'excite beaucoup à la périphérie de l'affaire, sur des merdouilles électorales, sur l'éventuelle incurie du ministère de l'Environnement, sur les conséquences de l'accident lui-même… Ce ne sont pourtant là que des effets presque secondaires. Il y a tout de même bien eu, au départ, des responsables municipaux qui ont permis, que dis-je « permis », qui ont accueilli à bras ouverts, des pollueurs notoires dans un quartier résidentiel. Pourquoi ? Je l'ai entendu dire à la radio par un de ces responsables justement : Parce que ça crée des jobs et que ça rapporte des taxes à la ville, mon vieux. Des jobs et des taxes. Les deux mamelles du commerce que tous les épiciers de la terre ont toujours confondu avec le progrès. Anyway.
Des jobs et des taxes, comme religion à la grandeur de la province. Et le développement comme fanatisme. Il n'y a pas un maire de village au Québec qui ne rêve pas de Bromont et de Hyundai.
Je n'ai pas juste rushé sur les trucks de gravelle cet été. J'ai rushé aussi sur une scierie qui vient de s'installer pratiquement dans ma cour. Je suis allé voir pour parlementer, pour arranger quelque chose, je ne sais trop comment… J'ai été reçu assez froidement par un petit cadre qui m'a dit :
– Écoute y'a des inconvénients, forcément, mais il y aussi des avantages…
– Ah oui, lesquels ?
– Ben ça crée des jobs…
Sauf que ça créerait les mêmes jobs ailleurs. Je ne veux pas dire ailleurs, dans la cour d'un autre voisin. Je veux dire quelque part où il n'y aurait pas de voisins.
Et encore là, le pire c'est peut-être la manière. Pas un mot. Personne qui vient frapper à ta porte qui dit : « Je suis votre nouveau voisin. Je suis désolé de faire du bruit, est-ce que vous l'entendez beaucoup ? » Je sais bien, ça ne changerait rien. Et pourtant ça changerait tout.
Tout cela se tient. Les camions. Les BPC. Saint-Jean. La scierie. Tout cela trahit le même choix de société. Des jobs, des taxes, du développement, des services. Presque plus d'individus, mais des millions d'usagers.
Tout cela participe de la même insensibilité. De la même civilisation sans civilité. De la même société techniquement très évoluée mais d'où est absent tout art de vivre.
Quand M. Bourassa (et M. Parizeau) laissent entendre qu'ils vont donner plus de pouvoir et plus de budget au ministère de l'Environnement, je les trouve aussi pathétiques que M. Bush lorsqu'il croit lutter contre la drogue en payant 8 milliards d'heures supplémentaires à ses flics.
L'art de vivre ne s'achète pas. Ça s'invente avec beaucoup de guts.
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