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Refroidir les nuages (de données) avec l'eau du fleuve

Refroidir les nuages (de données) avec l'eau du fleuve

La Presse21-07-2025
Michael Garcia, gestionnaire du centre de données d'OVHcloud à Beauharnois, se déplace dans une allée de serveurs.
Refroidir les nuages (de données) avec l'eau du fleuve
Plutôt que l'air climatisé, c'est l'eau du fleuve Saint-Laurent qui refroidit les serveurs du centre de données d'OVHcloud à Beauharnois, en Montérégie. La Presse l'a visité pour démystifier le fonctionnement d'une technologie alliant deux ennemis naturels : eau et électronique.
« J'aimerais que les gens comprennent que le nuage, c'est très physique », lance d'emblée Isabelle Paiement, directrice du site.
Ici, à Beauharnois, l'immatériel devient matériel : on y trouve près de 90 000 serveurs qui bourdonnent sans arrêt, et on ambitionne d'en accueillir jusqu'à 360 000 d'ici 10 ans. C'est énorme, même à l'échelle mondiale. Énorme en superficie, avec 10 000 mètres carrés, mais aussi énorme en besoins énergétiques.
Traditionnellement, on emploie l'air climatisé pour refroidir les serveurs, processus très coûteux en électricité et dégageant beaucoup de gaz à effet de serre. Pas ici.
PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE
L'eau circule à même les serveurs dans ce module de cuivre monté sur place à Beauharnois.
« À l'époque où l'on a commencé à le faire, on nous regardait un peu bizarrement. Mettre de l'eau sur des serveurs, l'idée n'est pas intuitive », raconte Guillaume Gilbert, directeur des communications d'OVHcloud.
Environ 70 % des besoins en refroidissement sont comblés par l'eau. Cette méthode gagne tranquillement du terrain dans le monde de l'infonuagique, bien qu'elle demeure marginale.
Révolution liquide
De l'extérieur, le centre de données de la multinationale française a des allures de prison avec sa clôture d'une douzaine de pieds bordée de barbelés. Pour y entrer, les journalistes doivent décliner leur identité, être pris en photo, puis pesés, sécurité oblige.
« Mettez des bouchons. Des serveurs, ça fait du bruit », prévient Isabelle Paiement, avant même d'entrer dans la salle de serveurs. Elle avait raison : le vrombissement régulier de ce véritable « organisme vivant », comme aime l'appeler le gestionnaire du centre, Michael Garcia, est impressionnant.
Depuis les interminables rangées où des dizaines de milliers de serveurs – rappelant des boîtes à pizza – sont empilés les uns sur les autres jusqu'au plafond, un élément incongru sort du lot : des fils rouges et bleus en plastique connectés à même les serveurs.
« Les tubes bleus acheminent l'eau froide de la cuve vers les serveurs. Les rouges sortent l'eau réchauffée », explique Michael Garcia. « C'est ce qu'on appelle le refroidissement à l'eau », renchérit sa collègue Isabelle Paiement.
PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE
Michael Garcia, gestionnaire du centre de données, discute avec un employé aux abords d'une des cuves d'eau intérieures.
Autrement dit, ces tubes en plastique acheminent une eau à une température de 20 °C directement sur les serveurs. Résultat : le contact presque direct refroidit l'appareil.
Attention : l'eau ne circule pas partout sur le matériel informatique, mais bien dans un module en cuivre installé sur le processeur, la partie dégageant le plus de chaleur.
Ainsi, plutôt que de refroidir l'ensemble de la salle comme dans un centre fonctionnant à l'air climatisé, les efforts sont plutôt concentrés au point chaud, c'est-à-dire à même le cœur du serveur. Et c'est la circulation rapide de l'eau qui fait tout le travail.
Pourquoi l'eau et non pas l'air ? Imaginez que vous vous brûlez le bout du doigt. Si vous le plongez dans l'eau froide, il se refroidira plus vite que si vous l'exposez à l'air frais extérieur, et ce, même si l'air est plus frais que l'eau.
C'est le même principe pour les serveurs. L'eau est plus efficace. « L'équivalent d'un petit verre d'eau refroidit un serveur pendant 10 heures », illustre Michael Garcia.
Le tout se fait en boucle fermée, c'est-à-dire en réutilisant la même eau qui est réchauffée par les serveurs, puis refroidie à l'extérieur du bâtiment. En tout et partout, le centre de données est de 30 à 40 fois moins gourmand en énergie que la moyenne.
Dans la dernière année, les 78 centres de données sur le sol québécois ont consommé 150 mégawatts, soit l'équivalent de la consommation annuelle de 60 000 résidences. Avec une consommation de 9 mégawatts, le centre de Beauharnois est peu gourmand, compte tenu de sa grande taille. Des centres qui hébergent autant de serveurs, ailleurs dans le monde, consomment beaucoup plus d'énergie.
Le froid québécois rentabilisé
D'une tour de contrôle, des murs d'écrans affichent en temps réel l'état du réseau et la température de chaque serveur. Tout est surveillé au degré près et la moindre anomalie est signalée au duo de techniciens qui veille nuit et jour au bon fonctionnement du site.
Le choix de Beauharnois pour un centre de données n'est pas anodin et se résume en trois mots : emplacement, climat, hydroélectricité.
La multinationale française s'est installée dans l'ancienne aluminerie de Rio Tinto, à deux pas de la centrale hydroélectrique et aux abords du fleuve Saint-Laurent, précisément pour ces raisons.
La proximité de la centrale de Beauharnois, à quelques centaines de mètres, est un avantage non négligeable. Le site est alimenté par deux lignes électriques directes. Douze immenses génératrices assurent aussi un filet de sécurité, puisque le centre de données ne peut jamais arrêter de rouler.
PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE
La centrale hydroélectrique de Beauharnois, à quelques centaines de mètres du centre de données d'OVHcloud
Outre le refroidissement à l'eau, le reste des besoins énergétiques du centre sont comblés par l'air ambiant. Aucun air climatisé n'est nécessaire, même l'été. Une rareté dans ce genre d'installation.
Le climat québécois, froid et humide, est un précieux allié pour le refroidissement des données. À Beauharnois, la température moyenne annuelle est d'environ 6 °C, selon le ministère de l'Environnement.
« Sans air climatisé, on divise la facture énergétique en deux », affirme Michael Garcia. D'où l'intérêt grandissant de plusieurs entreprises d'hébergement de données pour cette technologie, qui allie protection de l'environnement et économies.
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