
Borodianka, après l'horreur
À une quarantaine de kilomètres de Kyiv, la ville de Borodianka a connu l'une des pires destructions de la guerre en Ukraine, en mars 2022. La commune a été le théâtre des pires horreurs commises lors de l'invasion. Sur place, trois ans après, les envoyés spéciaux de La Presse ont rencontré des habitants qui ont vécu l'occupation russe. Encore traumatisés, certains dénoncent une reconstruction qui traîne.
Texte : Paul Boyer
Collaboration spéciale
Photos : Pierre Terraz
Collaboration spéciale
Les bruits des pelleteuses recouvrent le chant des oiseaux. Les chantiers se succèdent pour reconstruire chaque maison, brique par brique, dans cette banlieue de l'oblast de Kyiv. Assis sur un tas de gravats, trois jeunes profitent des vacances d'été pour gagner de l'argent.
Roman, 15 ans, déblaie une route de 8 h à 17 h pour 1000 hryvnias par jour : l'équivalent de 32 $ CAN. « En mars 2022, j'ai dû partir en Pologne avec ma mère et ma sœur car les Russes arrivaient, déballe-t-il, les dents serrées. On est revenus en septembre 2023. J'ai honte d'avoir été chassé par l'ennemi. »
Roman, comme la totalité des 15 000 habitants de Borodianka, a dû faire un choix kafkaïen : fuir face à l'invasion des troupes russes ou rester et subir l'occupation.
PHOTO PIERRE TERRAZ, COLLABORATION SPÉCIALE
Roman, 15 ans (au centre), et ses amis sont volontaires sur le chantier de Borodianka pendant leurs vacances scolaires.
La Presse s'est rendue à Borodianka, qui a été occupé du 26 février au 1er avril 2022. La ville a connu les plus grandes destructions de la région de Kyiv. Des frappes aériennes ont pulvérisé huit immeubles d'une dizaine d'étages. Au total : 500 maisons et 32 immeubles ont été détruits. Au moins 200 personnes ont été tuées.
Après la libération de la ville, en avril 2022, le président Volodymyr Zelensky a déclaré que la situation à Borodianka était « bien plus horrible » par le nombre de morts qu'à Boutcha. Aujourd'hui, moins de la moitié des 15 000 riverains seraient retournés en ville, selon les chiffres officiels.
PHOTO PIERRE TERRAZ, COLLABORATION SPÉCIALE
Immeuble résidentiel bombardé dans le centre-ville de Borodianka, le 6 avril 2022. La ville a été occupée six semaines par les troupes russes et détruite à 80 % par les bombardements.
Bien que la plupart des habitants aient choisi l'exode, certains ont préféré rester. Sur la place Taras-Chevtchenko, du nom du célèbre poète romantique ukrainien, un homme de 70 ans a été témoin des destructions et exactions. Lorsque les chars entrent dans la ville, Valentin Moïsseïenko ne peut fuir. Sa femme, malade et handicapée, ne peut pas se déplacer. Aucun véhicule n'est en état de marche. Il décide de rester.
Je ne pouvais pas laisser ma femme. J'ai survécu, les Russes sont venus dans l'appartement, il n'y avait rien à prendre. Ma femme est morte de faim et de fatigue.
Valentin Moïsseïenko
Le souffle court, Valentin replonge dans ces journées de mars 2022. Il affirme qu'aucun militaire ukrainien n'était présent pour les défendre, mais seulement une poignée de volontaires. « J'ai compté 45 courageux jeunes hommes qui ont résisté, heure après heure, avec uniquement des armes de poing et des grenades. Ils n'ont pas fait le poids. »
PHOTO PIERRE TERRAZ, COLLABORATION SPÉCIALE
Valentin Moïsseïenko, 70 ans, a documenté l'occupation russe dans la ville de Borodianka en prenant en cachette des photos et des vidéos.
Aujourd'hui, presque trois ans après cet enfer, alors que le pays vit toujours sous les bombardements russes, l'heure est à la reconstruction. Considérée comme l'une des localités les plus détruites du pays, la ville a des allures de chantier à ciel ouvert. Les usines de matériaux, de métaux et de zinc remplacent les boutiques. Des bâtiments préfabriqués ont remplacé les maisons traditionnelles. Là où gisait un immeuble éventré, un bâtiment flambant neuf est sorti de terre. Ici et là, des panneaux placardés où il est écrit « Urgent : nous recherchons des ouvriers ».
Les ouvriers s'activent d'arrache-pied pour installer de nouvelles canalisations. Les systèmes d'évacuation d'eau et les égouts n'ont pas été reconstruits en intégralité. Ivan Cherchnov est chef d'un groupe de 25 artisans. Régulièrement appelé pour travailler à Borodianka, il affirme être étonné par la lenteur des reconstructions.
PHOTO PIERRE TERRAZ, COLLABORATION SPÉCIALE
Le chantier de reconstruction de l'avenue Tsentralna, qui a débuté en avril 2025 et qui fait polémique auprès des riverains, qui se demandent pourquoi reconstruire des routes « que les Russes pourraient réemprunter », alors que certains habitants dorment encore sans fenêtres.
« Avant le début des travaux, les gens vivaient dans des conditions désastreuses, dans des maisons sans chauffage ni vitres. C'était inhumain », atteste-t-il près de l'église Saint-Michel. Un panneau indique que les constructions de l'avenue Tsentralna ont débuté en avril 2025, avec une fin prévue pour décembre 2026.
Ces reconstructions ont fait couler beaucoup d'encre. En cause ? La lenteur des travaux pour certains, la volatilisation d'une partie des financements pour d'autres. De nombreuses ONG, ainsi que l'État ukrainien, y ont alloué des budgets. Certains chantiers qui devaient finir fin 2024 sont toujours en cours. Néanmoins, sur les 825 infrastructures endommagées ou détruites, 592 ont déjà été restaurées.
Borodianka, avant et après la reconstruction PHOTOS PIERRE TERRAZ, COLLABORATION SPÉCIALE En haut : un rond-point dans la ville de Borodianka, le 6 avril 2022, quelques jours après le départ des troupes russes. En bas : le même rond-point, trois ans plus tard, le 22 juillet 2025.
PHOTOS PIERRE TERRAZ, COLLABORATION SPÉCIALE En haut : la place Taras-Chevtchenko, en hommage au poète ukrainien, dans le centre de Borodianka, le 6 avril 2022. En bas : la même place rénovée, trois ans plus tard, le 22 juillet 2025.
PHOTOS PIERRE TERRAZ, COLLABORATION SPÉCIALE En haut : une dame devant son immeuble bombardé dans la ville de Borodianka, le 6 avril 2022. En bas : le même immeuble, trois ans plus tard, le 22 juillet 2025.
PHOTOS PIERRE TERRAZ, COLLABORATION SPÉCIALE
En haut : un homme erre dans les rues de Borodianka à la recherche de son neveu, qu'il a perdu de vue en fuyant les bombardements, le 6 avril 2022. En bas : le même endroit trois ans plus tard, le 22 juillet 2025.
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Adossée sur un banc, Oksana, 68 ans, profite des quelques rayons de soleil du mois de juillet. Son visage s'illumine lorsqu'elle montre une photo de Tomas, son chat, qu'elle a retrouvé après l'invasion.
« Il s'était sûrement caché au fond du jardin, c'est un survivant », s'amuse-t-elle. La maison d'Oksana a été partiellement reconstruite après qu'un char ennemi eut tiré à deux reprises sur l'un des murs de son salon. « J'étais dans mon jardin, je n'ai rien eu, balaie-t-elle rapidement. Mais je suis immédiatement partie par l'unique corridor humanitaire mis en place. »
Lorsqu'elle rentre, 30 jours plus tard, elle découvre effarée que sa porte d'entrée a été forcée. Les soldats du Kremlin ont saccagé toutes les pièces et volé des objets tels qu'un téléviseur et un réfrigérateur.
Oui, un réfrigérateur… Je suis chanceuse, j'ai reçu de l'argent de l'État, mais des voisines n'ont rien eu et dorment toujours avec des trous dans les murs.
Oksana
PHOTO PIERRE TERRAZ, COLLABORATION SPÉCIALE
Travaux en cours sur la route principale de Borodianka, devant un bâtiment résidentiel portant les stigmates des bombardements de 2022
La plupart des habitants rencontrés dénoncent une incohérence, que l'État s'attelle en priorité à rebâtir les axes routiers plutôt que les logements des particuliers. « Si les Russes reviennent, ils emprunteront de nouveau ces routes ! », grimace un passant.
Durant l'occupation, le centre culturel de la place Taras-Chevtchenko faisait office de QG des soldats. Notamment la librairie. Encore très émue, Alla, la libraire, accepte d'ouvrir les portes. Le 1er mars 2022, elle fuit en emportant seulement un sac d'habits. Lorsqu'elle revient, le 22 avril 2022, tout est saccagé : les livres gisent par terre, plein de boue et d'excréments, d'autres sont brûlés ou déchirés.
PHOTO PIERRE TERRAZ, COLLABORATION SPÉCIALE
Alla, 44 ans, dans sa librairie occupée et saccagée par les troupes russes en 2022, à Borodianka
Les Russes ont vécu ici. Ils ont utilisé mes livres pour allumer des feux pour se réchauffer, c'était l'hiver.
Alla
Début 2023, elle reçoit grâce à des cagnottes de donateurs anonymes des fonds pour racheter presque l'intégralité des livres perdus. « On a même de nouveaux ouvrages, de la littérature anglaise », sourit-elle en feuilletant ses livres.
Depuis l'invasion, elle a été sur tous les fronts, jusqu'à recevoir l'artiste britannique mondialement connu Banksy en novembre 2022, qui a peint une œuvre dans la ville. Comme la plupart des habitants, Natalia a fui en croisant les Russes, de très près.
« Ils étaient devant moi. Je ne les ai pas regardés, je me suis concentrée sur les cadavres sur le trottoir. » Son regret est de n'avoir pas réussi à convaincre sa nièce de partir. « Je ne sais pas à quel point ils lui ont fait du mal. Elle ne peut toujours pas en parler. »
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PHOTO PRÉSIDENCE UKRAINIENNE, FOURNIE PAR AGENCE FRANCE-PRESSE Sur cette photographie, prise et diffusée par le service de presse présidentiel ukrainien le 4 août 2025, Volodymyr Zelensky (à gauche) serre la main d'un soldat ukrainien blessé dans un hôpital de Kharkiv. Vladimir Poutine, qui a toujours rejeté les appels à un cessez-le-feu temporaire, a affirmé vendredi qu'il souhaitait la paix, mais que ses exigences pour mettre fin au conflit lancé en février 2022 restaient inchangées. La Russie exige que l'Ukraine lui cède quatre régions partiellement occupées (Donetsk, Louhansk, Zaporijjia, Kherson), en plus de la Crimée annexée en 2014, et qu'elle renonce aux livraisons d'armes occidentales et à toute adhésion à l'OTAN. Des conditions inacceptables pour Kyiv, qui veut le retrait des troupes russes et des garanties de sécurité occidentales, dont la poursuite des livraisons d'armes et le déploiement d'un contingent européen.


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Les menaces russes, crédibles ou non, ont alimenté d'intenses discussions en Europe sur la manière de maintenir une dissuasion nucléaire crédible. L'incertitude entourant l'engagement du président américain Donald Trump envers l'OTAN et sa volonté éventuelle de répondre militairement à toute attaque contre un pays membre de l'alliance a forcé plusieurs États à envisager une solution de rechange. Le président français Emmanuel Macron a avancé dans ce contexte la possibilité que l'arsenal nucléaire de son pays serve de bouclier pour l'ensemble de l'Union européenne. Je veux croire que les États-Unis seront à nos côtés, mais il nous faut être prêts si tel n'était pas le cas. Le président de la France, Emmanuel Macron L'Allemagne avait appelé de ses vœux un tel scénario. La Pologne a indiqué de son côté qu'elle serait disposée à recevoir sur son territoire des armes nucléaires provenant de la France. Une telle réorganisation nécessiterait de complexes discussions stratégiques pour définir quels intérêts devraient être défendus et de quelle manière la décision d'utiliser les armes devrait être prise. Si le projet allait de l'avant à la suite d'un retrait américain de l'OTAN, la dissuasion devrait s'exercer avec un nombre considérablement réduit d'ogives nucléaires, puisque la France en compte quelques centaines comparativement à 3700 au total pour les États-Unis. Même en intégrant l'arsenal du Royaume-Uni, le nombre d'ogives disponibles ne serait que d'environ 500. Lawrence Freedman note que cette force nucléaire limitée pourrait, en cas de conflit nucléaire avec Moscou, permettre d'infliger des dommages considérables en Russie et exercerait à ce titre un pouvoir non négligeable de dissuasion. Selon le chercheur, la question se pose pour l'heure avec moins d'acuité puisque les États-Unis ont durci récemment le ton envers la Russie et obtenu avec satisfaction que les pays de l'OTAN rehaussent leurs dépenses militaires, ce qui réduit les risques de retrait. Corée du Sud et Japon PHOTO AHN YOUNG-JOON, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS Un tir de missile nord-coréen est diffusé lors d'un bulletin de nouvelles télévisé, à la gare de Suseo, dans le centre de Séoul, en 2021. Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, qui avait tenu deux rencontres avec le président américain Donald Trump durant son premier mandat sans rien céder sur le programme nucléaire de son pays, continue de développer son arsenal. Il dispose déjà, selon les experts, de plusieurs dizaines d'ogives et a investi considérablement dans son programme de missiles, suscitant les inquiétudes de plusieurs pays voisins, dont la Corée du Sud. 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Tant Tokyo que Séoul devraient surmonter des « obstacles importants » pour construire une bombe atomique et auraient besoin d'un « temps considérable » s'ils décidaient d'aller de l'avant, prévient le chercheur. Inde et Pakistan PHOTO ATUL LOKE, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES Des membres de la Force indienne de sécurité des frontières se recueillent lors d'une cérémonie rendant hommage à l'un des leurs tué durant un échange de tirs avec des militaires pakistanais, à Jammu, capitale d'hiver du Jammu-et-Cachemire, le 12 mai. La possibilité d'une escalade nucléaire entre l'Inde et le Pakistan était dans tous les esprits en avril après qu'un commando terroriste a tué 26 touristes dans la partie du Cachemire sous contrôle indien. 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Ganguly, a adopté après avoir développé l'arme nucléaire une doctrine spécifiant qu'elle ne l'utiliserait qu'en réponse à une attaque nucléaire, mais les propos de plusieurs hauts responsables au cours des dernières années suggèrent que cet engagement « n'est plus aussi ferme » qu'il l'était par le passé. Le Pakistan n'a jamais pris d'engagement clair quant à la manière dont il entend utiliser son arsenal nucléaire. Un scénario dans lequel une bombe atomique serait utilisée en sol pakistanais pour contrer l'avancée de troupes indiennes n'est notamment pas exclu. Le conflit récent a compliqué plus encore les relations entre les deux pays, augmentant la probabilité de nouveaux affrontements à haut risque. « Le Pakistan a un dirigeant militaire connu pour son hostilité envers l'Inde et l'Inde a un premier ministre qui rejette toute forme de dialogue avec le Pakistan. C'est une terrible combinaison », note M. Ganguly. Le chercheur ne croit pas à la possibilité que les deux pays se rallient « dans un avenir prévisible » au Traité de non-prolifération nucléaire et renoncent à leur arsenal respectif. Iran et Israël IMAGE ARCHIVES REUTERS Cette image satellite fournie par Maxar Technologies montre le complexe nucléaire souterrain de Fordo après les frappes américaines. Après des années de tergiversations, les États-Unis ont lancé en juin une attaque aérienne contre les installations nucléaires iraniennes que le gouvernement israélien de Benyamin Nétanyahou réclamait avec insistance. Le président américain Donald Trump s'est rapidement félicité de la portée de l'opération, assurant que les capacités nucléaires de Téhéran avaient été « pulvérisées ». Des bilans contradictoires ont cependant été mis de l'avant depuis par les services de renseignements américains. L'Iran a reconnu que ses installations avaient subi des dommages majeurs tout en insistant sur son droit de continuer à enrichir de l'uranium. Ali Vaez, un analyste de l'International Crisis Group, note que l'Iran a conservé son savoir-faire en matière nucléaire, du matériel fissile enrichi à haut niveau ainsi que des centrifugeuses susceptibles de poursuivre le processus jusqu'au niveau requis à des fins militaires. L'attaque menée par les États-Unis et Israël n'a pas permis à ce titre de priver l'Iran d'« un chemin vers la bombe » et a peut-être même amplifié le risque en convainquant certains dirigeants iraniens de la nécessité d'aller de l'avant pour se protéger. Des voix s'élèvent pour dire que le coût pour le développement de la bombe a déjà été payé et que ce serait absurde de ne pas aller jusqu'au bout dans ces circonstances. Ali Vaez, analyste de l'International Crisis Group La décision n'a probablement pas encore été prise, ajoute le chercheur, parce que les hauts dirigeants iraniens craignent de se réunir physiquement après avoir vu Israël éliminer par des frappes précises plusieurs hauts responsables du programme nucléaire. « Ils veulent éviter de nouvelles fuites d'informations qui seraient susceptibles de mener à de nouvelles attaques israéliennes ou américaines », relève le chercheur. L'Iran va parallèlement négocier pour garder le plus grand nombre d'options ouvertes en laissant planer une ambiguïté sur ses intentions qui est susceptible d'alimenter les inquiétudes de plusieurs pays voisins. L'Arabie saoudite a déjà clairement fait savoir qu'elle ferait tout ce qu'il faut pour se doter de l'arme nucléaire si jamais le régime islamique iranien allait de l'avant. « Ils ne seraient pas à l'aise de se retrouver avec un Iran nucléaire à leurs portes, et ils ne feraient pas confiance aux États-Unis pour assurer leur sécurité », dit M. Vaez. La Turquie, sous la gouverne du président Recep Teyyip Erdoğan, a aussi déjà manifesté son intérêt pour l'arme nucléaire et serait motivée à aller de l'avant si Téhéran franchit le Rubicon.