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Ce que la Suisse joue vraiment dans l'affaire Semenya

Ce que la Suisse joue vraiment dans l'affaire Semenya

24 Heuresa day ago
Le 10 juillet, la Cour européenne des droits de l'homme livrera un verdict historique dans l'affaire qui oppose la Suisse à l'athlète sud-africaine. Décryptage de la spécialiste Madalina Diaconu. Publié aujourd'hui à 18h31
L'athlète sud-africaine Caster Semenya se bat depuis des années dans les méandres de la justice sportive pour faire valoir ses droits. Le dernier round de son combat l'oppose à la Suisse.
IMAGO/BEAUTIFUL SPORTS
En bref:
Août 2009. Caster Semenya, jeune athlète sud-africaine, remporte le 800 mètres des Championnats du monde d'athlétisme à Berne. Mais sa victoire inattendue et son apparence physique déclenchent une controverse qui ne cessera jamais vraiment. Tests de genre, réduction artificielle de son taux de testostérone: les instances dirigeantes vont mettre en place une batterie de mesures pour limiter les avantages présumés des athlètes dites «intersexes» comme elle. Une intrusion dans son intimité que Caster Semenya ne va pas accepter. La défense de ses droits devient le combat de sa vie.
Jeudi, le dernier round de sa bataille qui dure depuis plusieurs années se terminera par le verdict de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Un moment historique pour le sport et les catégories de genre, mais également pour la Suisse et la justice sportive mondiale que le pays abrite. Spécialiste du droit du sport et professeur à l'Université de Neuchâtel, Madalina Diaconu décortique les enjeux d'une sentence qui, si elle était défavorable à la Suisse, pourrait être prise pour une nouvelle ingérence européenne.
Pour Madalina Diaconu, professeure de droit du sport à l'Université de Neuchâtel et spécialiste de l'arbitrage, le verdict de la CEDH pourrait bouleverser la justice sportive, dont le Tribunal arbitral du sport à Lausanne est l'organe suprême.
MARIE-LOU DUMAUTHIOZ Le sport binaire remis en question?
«Cet arrêt a déjà et aura des implications bien plus larges que la question des personnes intersexes ou hyperandrogènes. Il y a deux enjeux. D'abord, l'enjeu direct, soit l'éligibilité dans les compétitions féminines des athlètes qui présentent des différences de développement sexuel ou au niveau hormonal.
»Ces personnes n'entrent pas dans la catégorie des femmes dans le sens «traditionnel», ni dans celle des hommes. Le sport a toujours été emprunté avec ces personnes, qu'on appelait avant «hermaphrodites», et désormais «intersexes» ou «DSD» (Différences du développement sexuel). Le défi fondamental est de trouver le bon équilibre entre leur droit de participer aux compétitions – ce qui est évident – et le droit des femmes sans différences de développement sexuel, pour assurer des conditions équitables.
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»La question enflamme le débat public. Il suffit de se souvenir de la polémique qui a entouré la boxeuse Imane Khelif aux Jeux olympiques de Paris. Le sujet est sensible, il interpelle. La décision sur la réglementation de World Athletics, qui contraint les athlètes intersexes à prendre des hormones féminines pour participer à des compétitions, est la partie la plus visible de la décision à venir de la Grande Cour de la Cour européenne des droits de l'homme.» Vie privée violée
«En 2023, la Cour européenne de Strasbourg avait admis la requête de Caster Semenya sur plusieurs points très importants, comme le droit à la vie privée (art. 8, en conjoncture avec l'art. 14, qui interdit les discriminations) qui a été violé par le fait qu'on lui impose de prendre des hormones féminines pour baisser son taux de testostérone naturel, si elle souhaite participer aux compétitions.
»Si le verdict de jeudi confirme cette violation, les fédérations vont probablement devoir repenser leur réglementation (limites, etc.) ou offrir des garanties supplémentaires à ces athlètes, en créant, par exemple, de nouvelles catégories.»
À ce stade, vous trouverez des contenus externes supplémentaires. Si vous acceptez que des cookies soient placés par des fournisseurs externes et que des données personnelles soient ainsi transmises à ces derniers, vous devez autoriser tous les cookies et afficher directement le contenu externe. Le Tribunal fédéral suisse contesté
«Le deuxième enjeu concerne absolument l'entier du monde sportif, c'est-à-dire les athlètes, les fédérations, le Tribunal arbitral du sport, qui est l'organe suprême de la pyramide de la justice sportive situé à Lausanne, mais aussi le Tribunal fédéral suisse!
»En effet, le jugement de 2023 a également déclaré que la Suisse avait violé l'article 13 de la convention , qui stipule que chacun a le droit à un recours effectif, soit à une analyse complète, par une instance supérieure, d'une décision antérieure. C'est le cœur du problème. La Cour de Strasbourg a estimé que Caster Semenya n'avait pas bénéficié d'un recours effectif en Suisse dans le cadre de la justice sportive. Certes, elle a eu la possibilité de saisir le Tribunal fédéral contre la décision du TAS qui l'avait écartée des compétitions. Mais le système arbitral sportif, mis en place en Suisse, qui oblige un grand nombre d'athlètes du monde à venir à Lausanne en cas de problèmes juridiques, n'est pas satisfaisant.» Justice sportive incomplète
«L'arbitrage a été créé pour soustraire certains litiges au système étatique et à ses procédures très longues et parfois peu adaptées. Le TF en est la dernière instance, y compris dans le monde du sport international. En ce qui concerne les décisions du TAS, les pouvoirs d'examen du TF sont très limités par la loi fédérale sur le droit international privé. Concrètement, le TF ne peut procéder qu'à un examen essentiellement procédural, sans pouvoir réexaminer les aspects de fond.
»Or la Cour a estimé que cette logique, créée pour l'arbitrage commercial, n'était pas adaptée pour les litiges concernant les droits des athlètes. En quelque sorte, les athlètes sont privés d'un étage de la justice. Ce que les faits semblent confirmer. En quarante-cinq ans, le TF n'a admis qu'un seul recours contre une sentence du TAS, hors vices de procédure (ndlr: la décision du TAS contre le footballeur brésilien Matuzalém) ! Pour que ce soit le cas, il faut que la sentence du TAS viole l'ordre public; en d'autres termes, qu'elle soit tellement choquante ou absurde qu'elle heurte tout sentiment de justice.» Le TAS devra-t-il déménager à l'étranger?
«Le TAS est entre le marteau et l'enclume, menacé dans son rôle, mais ce n'est pas la première fois. Le problème du monopole détenu par Tribunal fédéral sur l'examen des décisions du TAS avait déjà été identifié. Des propositions ont été faites pour y remédier. L'objectif était que la justice sportive s'adapte avant que l'Union européenne ou une autre instance ne lui tape sur les doigts.
»Si, le 10 juillet, le verdict est favorable à la Suisse, qui a porté l'affaire devant la Grande Chambre , cela va probablement limiter les velléités d'une adaptation du système. En revanche, si elle perd, la justice sportive devra trouver une solution, car même si les décisions de Strasbourg n'obligent pas directement, elles montrent que le système viole les droits fondamentaux.» Suisse contrainte à changer sa loi
«Plusieurs pistes existent pour corriger la situation. La plus «locale» serait de modifier la loi fédérale sur le droit international privé (ndlr: ce qui est du ressort du parlement) en élargissant le pouvoir d'examen du TF lorsque cela concerne le TAS et les contentieux disciplinaires des athlètes.
»Il y aurait aussi la possibilité de prévoir des fors alternatifs hors de Suisse, comme l'a prévu partiellement, par exemple, l'UEFA, qui laisse le choix aux parties, dans certaines conditions, de contester une sentence arbitrale en Suisse ou à Dublin. Cet exemple pourrait être élargi à tout le mouvement sportif, du CIO à la FIFA en passant par toutes les autres fédérations. Le for alternatif permettrait d'éviter que le TAS ne déménage à l'étranger.
»La troisième option serait que la Suisse conclue un accord international avec l'Union européenne qui, sans bouger quoi que ce soit, permettrait aux parties d'attaquer les sentences du TAS devant la Cour de justice de l'UE ou devant un autre tribunal européen.
»Enfin, il y a l'option plus drastique du déménagement complet du Tribunal arbitral du sport à l'étranger. Cela me paraît toutefois difficile et ce serait dommage. Car le monde du sport a aussi choisi de s'installer en Suisse parce que son droit est flexible, pragmatique et simple. Je ne pense pas qu'un déménagement serait une bonne solution. Nous ferions un bond de quarante-cinq ans en arrière.» Souveraineté suisse attaquée?
«Lorsqu'une décision externe critique notre système, il est naturel d'avoir un réflexe de défense. Il varie toutefois en fonction de la coloration politique. Alors oui, certains pourraient y voir une ingérence. Reste que jusqu'à présent, à chaque fois que la Cour européenne a critiqué la Suisse, cette dernière a réagi de manière positive en corrigeant ce qui était reproché.
»Après, si l'on ne veut plus de ce système, la seule voie serait de sortir du système de la Convention européenne des droits de l'homme, ce qui, à mes yeux, serait un très mauvais message à l'international. Ceux qui en sortent, en ce moment, sont des pays comme la Russie. Et est-ce que l'on veut faire partie des pays qui ne reconnaissent pas les droits de l'homme sur leur territoire, dans leur dimension européenne?
»Le public entend souvent parler négativement de la Cour européenne. Mais il ne mesure pas toujours ses avantages. La Cour est là pour tenter de corriger ce qui est réellement problématique au niveau des droits fondamentaux.
»Reste que si la Suisse perd contre Caster Semenya, cela va faire du bruit. Ce sera peut-être présenté comme une volonté de s'en prendre à la souveraineté de notre pays, ce qui, à mon avis, est réducteur et faux.»
La justice sportive et les athlètes intersexes, une polémique sans fin Newsletter
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Patrick Oberli est journaliste à la cellule enquête de Tamedia depuis juin 2023. Auparavant, il était rédacteur en chef adjoint de Sport Center à Lausanne, fonction qu'il a également occupée à L'Express/L'impartial, L'Hebdo et PME Magazine. Il est lauréat du Prix Dumur 2016. En 2021, il a reçu un Special Awards for Investigation de l'Association de l'Association internationale de la presse sportive. patrick.oberli@tamedia.ch Plus d'infos
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