
Plainte en diffamation contre des élus opposés aux salles de shoot : «Le débat est devenu impossible»
François Diot est thérapeute, spécialiste des conduites addictives . Il a notamment dirigé un centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud), un centre d'aide pour les toxicomanes.
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Paris, juillet 2025. Alors que le groupe d'opposition municipale «Changer Paris» lançait une campagne sur les réseaux sociaux pour alerter sur un possible maillage étendu des structures dites Haltes Soins Addiction, communément appelées salles de shoot, la Fédération Addiction a répliqué par une plainte pour diffamation. Cette initiative illustre tristement ce qu'est devenue la politique des drogues en France : un champ miné où le débat est confisqué, où toute remise en question devient suspecte. En effet, la libre expression démocratique sur une question de santé publique, doublée d'une question d'ordre sécuritaire, semble paralysée par la peur des représailles : celle du couperet idéologique et de la sentence du juge.
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Derrière cette polémique se pose une question de fond : peut-on encore débattre sereinement de la politique de soin en addictologie sans risquer la judiciarisation ? Peut-on encore interroger la place réelle du soin, de la désintoxication , de l'abstinence, sans être aussitôt accusé de stigmatisation, de moralisation, voire de populisme électoraliste ?
La plainte en diffamation déposée par la Fédération Addiction contre une campagne politique — fondée sur des vœux votés au Conseil de Paris, des échanges avec l'ARS et des documents administratifs publics — soulève un paradoxe troublant. Lorsqu'un sujet relève à ce point de la santé publique, ne devrait-il pas faire l'objet d'un débat transparent, pluraliste, contradictoire, et non d'une réponse judiciaire ? Laisser entendre que toute critique des dispositifs en place constituerait une attaque contre les professionnels est une stratégie de dissuasion, non une réponse démocratique.
La réduction des risques a été un progrès sanitaire majeur. Grâce à elle, des vies ont été sauvées. Les overdoses ont reculé, les contaminations par le VIH ont été contenues
Le droit au débat, à la contestation, à l'évaluation fait partie intégrante de la démocratie. La vérité, lorsqu'elle est documentée, ne peut être diffamatoire. Et le débat sur les politiques publiques ne peut être bâillonné au nom de la sensibilité du sujet.
Il faut le dire clairement : la réduction des risques a été un progrès sanitaire majeur. Grâce à elle, des vies ont été sauvées. Les overdoses ont reculé, les contaminations par le VIH ont été contenues. Elle a permis de sortir d'une vision uniquement répressive de la toxicomanie. Mais ce progrès est aujourd'hui devenu, dans certains discours, une fin en soi. Or, réduire les risques ne doit pas signifier renoncer à soigner. Au Canada comme aux États-Unis, des salles de consommation supervisée ferment, incapables de répondre à l'urgence sanitaire de la crise du fentanyl. Le soin et la désintoxication sont remis au premier plan.
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Aujourd'hui, en France, moins de 10 % des personnes fréquentant les CAARUD (Centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues) sont orientées vers des CSAPA (Centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie). Les Haltes Soins Addictions (HSA), présentées comme des structures de lien et d'écoute, n'engagent que très rarement les consommateurs de drogues dans une démarche de sevrage et d'abstinence. Elles normalisent l'usage de drogue. La désintoxication n'est plus un objectif assumé, mais un choix marginal, parfois même perçu comme archaïque. L'idée même de vouloir sortir de l'usage de drogue est jugée suspecte, comme si elle trahissait un refus du réel ou un idéalisme mal placé.
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Et pourtant, la science, les témoignages, les pratiques à l'international convergent : lorsqu'un centre de traitement propose, au même endroit, une désintoxication, un accompagnement à l'abstinence, un soutien psychologique, de la thérapie de groupe, les chances de rétablissement durable augmentent. Alors pourquoi ces modèles ne sont-ils pas davantage développés en France ?
Il existe déjà, dans d'autres pays, des structures qui articulent soins et réduction des risques : centres de sevrage progressif, hôpitaux de jour, cliniques communautaires...
Le véritable débat n'est pas entre les «pro-soin» et les «pro-réduction des risques». Ce clivage est artificiel, stérile et profondément contre-productif. Il dissocie là où il faudrait associer. Il divise là où il faudrait construire ensemble. Ce dont nous avons besoin, c'est d'un modèle d'addictologie intégratif, qui assume de protéger sans renoncer à soigner, de réduire les risques tout en proposant une voie de sortie, de respecter la personne sans renoncer à l'espérance d'un rétablissement.
Il existe déjà, dans d'autres pays, des structures qui articulent ces deux approches : centres de sevrage progressif, hôpitaux de jour, cliniques communautaires qui offrent des traitements de substitution tout en accompagnant vers une désintoxication possible. Ces modèles montrent que l'humanisme ne s'oppose pas à l'ambition thérapeutique. On peut croire au rétablissement sans être dans le déni. On peut accompagner sans capituler.
Ce que révèle la polémique actuelle, c'est l'urgence d'un changement de cap. Ni retour à la répression pure, ni maintien dans une logique palliative figée. Une autre voie est possible. Elle suppose plusieurs ruptures courageuses. Il faudrait d'abord réaffirmer que le soin, le sevrage, l'abstinence sont des horizons légitimes, qu'ils doivent être rendus accessibles et visibles. Il faut faire de l'évaluation indépendante des dispositifs existants une norme, pour dépasser les récits auto-justifiés. Il s'agirait de favoriser les structures mixtes, capables de proposer à la fois de la réduction des risques et de vrais parcours de soins. Il est également important de respecter les riverains et les citoyens, en ne leur imposant pas des implantations perçues comme brutales et aux effets négatifs. Pour cela, il faut commencer par rétablir le débat démocratique concernant cette question de santé publique.
Nous n'avons pas à choisir entre compassion et exigence, entre pragmatisme et espérance. Nous devons refuser cette alternative binaire. Car soigner les consommateurs de drogues, c'est faire en sorte qu'un autre avenir soit possible pour eux. Et débattre, c'est le premier pas vers cette espérance.
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