
Faire son temps, une brique à la fois
Derrière les clôtures en mailles de chaîne surmontées de fils barbelés de la prison de Sorel-Tracy, une initiative d'économie circulaire roule à fond de train.
Du matin au soir, des prisonniers travaillent à recycler des tonnes de briques. Surtout des rouges. Le tout grâce à une invention québécoise, une machine qui avale les briques pour ensuite les éjecter, prêtes à rebâtir des murs.
Marc-Antoine Desrosiers est incarcéré dans cet établissement de détention provincial de haute sécurité qui loge actuellement 345 contrevenants. Depuis un an, le jeune homme au regard lourd passe la plupart de ses journées dans un immense atelier où sont acheminés par camion des conteneurs remplis à ras bord. Il manipule jusqu'à 300 briques bardées de mortier à l'heure, cinq jours par semaine.
« Mon but premier en effectuant ce travail est d'être fatigué à la fin de la journée, de parvenir à dormir le soir venu », admet-il, avant de proposer une démonstration à La Presse.
Le jeune homme se considère comme privilégié de purger sa peine en travaillant dans la brique pour regagner sa liberté. Il fait partie d'une équipe de trois détenus triés sur le volet pour accomplir la besogne. Ils ont suivi une formation et reçoivent un petit revenu – 35 % de moins que le salaire minimum.
PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE
L'atelier de recyclage de briques de la prison de Sorel-Tracy
Leur pécule peut être dépensé en partie à la cantine de l'établissement et une portion est placée dans leur compte épargne. Une autre part est réinvestie dans un fonds de réinsertion sociale de l'établissement de détention.
Un outil de réinsertion
Le programme de recyclage de la brique permet aux personnes incarcérées d'acquérir des compétences et d'espérer des équivalences professionnelles, expliquent Josiane Gendron, directrice de l'Établissement de détention de Sorel-Tracy, et Danielle Darveau, directrice des services correctionnels professionnels.
PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE
Josiane Gendron, directrice de l'Établissement de détention de Sorel-Tracy
Ça permet également de contrer l'oisiveté, ça fait partie de leur réinsertion, ça va les aider, une fois à l'extérieur des murs, à se trouver un emploi.
Josiane Gendron, directrice de l'Établissement de détention de Sorel-Tracy
Les candidats choisis sont retenus pour leurs capacités à tenir une routine, à se lever tôt le matin. Ils ont le privilège de vivre dans un petit secteur à part de la prison, avec une aire de vie distincte. Un endroit où logent les détenus affectés aux cuisines, à la buanderie, à l'atelier de couture, à la réparation des matelas en cellule.
Rien n'est perdu
Marc-Antoine Desrosiers enfile de l'équipement de protection contre la poussière et des bouchons pour les oreilles avant de démarrer la bruyante machine.
PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE
La première étape est d'insérer la brique dans une portière coulissante, qui la balaie de lasers.
Il place d'abord la brique sur un étau à l'entrée d'une petite portière coulissante. La brique est balayée par des lasers et propulsée à l'intérieur. Le mortier qui entoure la brique est découpé de façon chirurgicale en quelques secondes.
Une fois propre, la brique est éjectée d'un coup sec. Avec une pince, le détenu la place sur une palette avec des centaines de briques prêtes à être réutilisées sur des chantiers. Rien n'est perdu, pas même le mortier.
PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE
Selon les calculs de Brique-Recyc, le réemploi de la brique sur un mur de 1000 pi2 permet d'éviter l'émission de près de 6 tonnes de dioxyde de carbone (CO 2 ).
L'inventeur de la machine baptisée Brique-Recyc se nomme Tommy Bouillon. L'entrepreneur est également président de Maçonnerie Gratton.
Il a eu l'idée de revaloriser la brique avec ses associés au détour de la pandémie, explique-t-il. Il a d'abord eu l'idée de recruter de la main-d'œuvre étudiante. Mais le travail est routinier, dur, et la rétention du personnel n'est pas une mince affaire.
L'option de s'associer à une prison est venue tout bonnement, il y a quelques années, lors d'une discussion avec une professionnelle de la sécurité publique.
Le plus gros défi, explique M. Bouillon, a été de trouver une façon de transporter la brique à coût nul. Il a réussi à conclure une entente avec une entreprise de camionnage. Au lieu de revenir avec une remorque vide après une livraison, les camionneurs se chargent de ramasser des conteneurs de Brique-Recyc pour les acheminer à la prison de Sorel-Tracy.
PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE
Tommy Bouillon, entrepreneur en maçonnerie, a inventé la machine baptisée Brique-Recyc.
Au centre de détention de Sorel-Tracy, il y aura bientôt une deuxième machine pour valoriser les briques provenant de chantiers de démolition. Quand Marc-Antoine Desrosiers aura recouvré sa liberté, un autre détenu prendra sa place. Il espère former la relève.
« Je veux donner au suivant », dit-il.
La brique recyclée se vend entre 2,50 $ et 3 $ l'unité par l'entreprise. C'est plus cher que la neuve, mais il n'y a pas de frais d'enfouissement (sorte d'écofrais). Et c'est de l'économie circulaire.
Selon les calculs de Brique-Recyc, le réemploi de la brique sur un mur de 1000 pi2 permet d'éviter l'émission de près de 6 tonnes de dioxyde de carbone (CO 2 ).
L'entreprise a conclu récemment un partenariat avec la cimenterie Lafarge pour recycler le mortier. Quand la brique passe à travers la machine, le mortier tombe dans un récipient en dessous. La substance ressemble à de l'argile.
Elle est emballée dans des sacs et acheminée aux installations de la cimenterie, entre autres à Saint-Constant, sur la Rive-Sud de Montréal. Le mortier redevient donc ciment.
Consultez le site de l'entreprise Brique-Recyc
Consultez un aperçu de la réinsertion sociale au Québec
Hashtags

Essayez nos fonctionnalités IA
Découvrez ce que Daily8 IA peut faire pour vous :
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment...
Articles connexes


La Presse
3 minutes ago
- La Presse
Les ministres de la CAQ témoigneront la semaine prochaine
La ministre des Transports du Québec, Geneviève Guilbault Les ministres de la CAQ témoigneront la semaine prochaine La commission Gallant reprendra ses travaux la semaine prochaine avec une séquence toute politique durant laquelle témoigneront l'actuelle ministre des Transports, Geneviève Guilbault, et son prédécesseur François Bonnardel. Après deux mois de pause estivale, l'enquête publique sur les ratées du virage numérique de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) reprendra ses travaux lundi prochain à Montréal. Les anciens ministres des Transports libéraux, Laurent Lessard et André Fortin devraient être les premiers à venir témoigner. Suivront leurs deux successeurs de la Coalition avenir Québec. Des membres de leurs cabinets respectifs sont également appelés à donner leur version des faits. Le commissaire Denis Gallant avait déjà entendu au printemps les anciens ministres Sylvain Gaudreault et Robert Poëti.


La Presse
3 minutes ago
- La Presse
La Cour d'appel écorche un juge pour avoir outrepassé « largement » sa compétence
Un juge de la Cour du Québec n'avait pas le pouvoir de se prononcer de son propre chef sur la validité constitutionnelle d'une réforme de la langue française. Dans un jugement très critique, la Cour d'appel reproche au juge d'avoir outrepassé « largement » les limites de sa compétence. Un retour en arrière s'impose. En mai 2024, le juge Dennis Galiatsatos déclenche une tempête politique et judiciaire en rendant inopérante dans une cause criminelle une disposition clé de la Charte de la langue française : l'obligation de traduire « immédiatement et sans délai » en français les jugements rendus en anglais. Cette disposition, qui est entrée en vigueur le 1er juin 2024, représente un pan majeur de la réforme de la langue française du ministre Simon Jolin-Barrette. Mais selon le juge Galiatsatos, cette disposition risquait d'avoir de graves conséquences. « Les accusés anglophones seront moins bien traités que les accusés francophones, puisqu'ils devront attendre plus longtemps pour connaître leur sort », écrivait-il, en mai 2024. Dans sa décision de 35 pages rendue mardi, la Cour d'appel du Québec ne se prononce pas sur la constitutionnalité de cette disposition de la Charte de la langue française. Cet arrêt porte uniquement sur la décision du juge Galiatsatos de se saisir de cette question constitutionnelle, de surcroît contre la volonté de toutes les parties. Sans aucun doute, le juge Galiatsatos n'avait pas le droit d'agir ainsi, selon la Cour d'appel. Le juge a « forcé la main » des parties en imposant « envers et contre tous » cet enjeu, alors qu'il n'en avait pas le pouvoir. L'accusée n'avait d'ailleurs aucunement l'intention de se lancer dans un tel débat, à la veille de son procès. « Peut-être y avait-il ici matière à débat constitutionnel en bonne et due forme sur l'applicabilité de l'article en matière criminelle. On peut légitimement se le demander. Mais amorcer, conduire et résoudre ce débat, unilatéralement, et par anticipation, comme le Juge a tenté de le faire ici, outrepassait largement les limites de sa compétence », a conclu la juge Cour d'appel. Le plus haut tribunal de la province écorche aussi le juge Galiatsatos sur son « insistance » à trancher rapidement cet enjeu complexe. En effet, le juge a livré un jugement de 33 pages et de 116 notes de bas de page, moins de 24 heures après avoir reçu l'argumentation écrite étoffée des représentants de l'État. « La procédure suivie ici laissait trop à désirer. On ne tranche pas de cette façon, à partir de pures hypothèses, dans un cadre procédural déficient et sans l'éclairage d'un contexte bien documenté, une question comme celle sur laquelle le Juge s'est prononcé », ont conclu les juges Yves-Marie Morissette, Patrick Healy et Lori Renée Weitzman. Cet enjeu constitutionnel a éclipsé la cause criminelle dont elle émane, soit le procès de Christine Pryde. Cette Montréalaise de 33 ans a été reconnue coupable par le juge Galiatsatos en octobre 2024 d'avoir tué une femme en conduisant avec les facultés affaiblies en 2021. L'automobiliste a fauché une cycliste de 50 ans, Irène Dehem, alors qu'elle roulait à vélo sur le chemin de l'Anse-à-l'Orme, à Senneville, dans l'ouest de Montréal. Christine Pryde n'aurait pas dû prendre le volant, car elle avait pris un médicament pouvant entraîner l'insomnie. De plus, elle n'avait rien mangé depuis 40 heures. Les observations sur la peine sont prévues en septembre prochain au palais de justice de Montréal.


La Presse
3 minutes ago
- La Presse
La FIQ consulte ses membres
La consultation des membres de la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) a lieu en ligne jusqu'au 14 septembre. La FIQ songe à constituer un fonds de grève. Elle vient de lancer une consultation à ce sujet auprès de ses 80 000 membres. Lia Lévesque La Presse Canadienne La consultation des membres de la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) a lieu en ligne jusqu'au 14 septembre. La FIQ explique que, depuis sa fondation, elle consulte ses membres après chaque période de grève, afin de mesurer leur intérêt à constituer un fonds de grève. Ses membres : infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques, avaient débrayé durant quelques jours à l'automne 2023. Depuis sa création, la FIQ a recours à un « pacte de solidarité » plutôt qu'à un fonds de grève. Elle explique que la procédure d'un pacte de solidarité est enclenchée dès le début d'une négociation. Il s'agit d'un engagement, pris par l'ensemble des membres, de répartir équitablement les répercussions financières d'une grève. Mais il suppose d'attendre la fin de la négociation pour en déterminer les paramètres, percevoir les cotisations et indemniser les membres qui ont subi une perte salariale plus importante.