
Diva divine, Grace Jones a avalé tout cru le Montreux Jazz
Samedi, la chanteuse de 77 ans a fait de la Scène du Lac son église et son bordel, dans un son de folie et un show foutraque à souhait. Publié aujourd'hui à 15h49
Grace Jones et son casque de mort. «J'ai fait la fête plus que personne, c'est un p… de miracle que je sois encore en vie!»
Thea Moser
La nature des divas est de se faire désirer, et Grace Jones en est sacrément une, de diva. Culte! Intouchable, bien que la suite prouvera que non. Mais pour l'heure, qui tourne, le public de la Scène du Lac attend le lever de rideau en tapotant du pied dans une excitation circonspecte: la reine de la nuit des Seventies, l'icône des Eighties qui brilla au Montreux Jazz lors de ses nombreuses visites – mais la dernière remonte à huit ans déjà –, celle qui bouffait des voitures dans des publicités télévisées en a-t-elle encore sous le capot? Yseult la rebelle
Car niveau de sortie de route, ce samedi avait commencé dans le décor. Celui, toc au possible, d'Yseult se la jouant vilaine fille avec un brassard à clous de carnaval et des velléités punks parce que, n'est-ce pas, comme elle se croit obligée de l'expliquer, «le punk, c'est l'anarchie et la liberté d'être ce qu'on est vraiment», en gros. Seule sur scène, sur des bandes enregistrées de mauvais metal évoquant bien moins Slayer que Billy Idol, la rebelle issue de «Nouvelle star» a ainsi fait durant nonante minutes des grimaces et des doigts d'honneur aux caméras, dans un exercice d'égotisme en résilles et de vulgarité racoleuse plus digne d'une candidature à l'Eurovision que de la grande scène du Jazz. L'an prochain, Afida Turner à Montreux?
Yseult est sapée «punk». Sa musique, moins.
Lionel Flusin
Revenons aux choses sérieuses. Grace Jones derrière le rideau. Qui, enfin, tombe comme une guillotine – mais pas touche à la reine! Celle-ci est assise sur un grand trône et toise 5000 sujets derrière un masque de mort. Bienvenue dans son temple de la nuit, la procession peut commencer au tempo reggae d'un «Nightclubbing» plus jamaïcain que jamais mais poisseux au possible, le synthé griffant l'espace comme des ongles en pointe lacéreraient un thorax.
Grace Jones sur son trône. Impériale.
Thea Moser
Alors que «Private Life» continue dans une même ambiance de ruelle mal famée, le masque se relève enfin et révèle des yeux brûlants et une langue agile. À 77 ans, Grace Jones a conservé ses tics de provoc sans filtre – une vraie punk, pour le coup –, ce fond de folie indomptée qui l'a sans doute empêchée d'atteindre en tant que chanteuse le succès durable et vaste auquel sa voix peut prétendre. Ses grandes heures furent celles des jeunes années 80, quand elle inventait en Jamaïque un trio de disques fusionnant la force du reggae roots et la frappe du clubbing postpunk.
Elle en fume un gros spliff , revenant des coulisses soudain affublée de gigantesques dreadlocks pour honorer «My Jamaican Guy», qu'elle chante vautrée sur son trône. Les sept musiciens derrière elle, dont une batteuse et deux choristes, sont impeccables de précision, redoutables de groove. La basse de Malcolm Joseph tabasse la nuit, la Fender de Louis Eliot la découpe comme un couteau Bowie. Le guitariste a une pose si aristocratique qu'on ne sera même pas surpris d'apprendre plus tard qu'il est une sorte de duc britannique vivant dans un château. Grace Jones n'a-t-elle pas été anoblie par le gouvernement jamaïquain?
Sur la place du Marché, 5000 personnes heureuses.
DR
Heureusement, c'est bien connu, les monarques sont tous des dépravés. La cour de Jones s'enfonce plus profondément dans la moiteur d'une boîte de nuit interlope, dégoupille le tempo trouble de «Libertango», pousse haut le groove sur un funk inédit, «The Key», totalement old school mais absolument imparable, «un truc de mon prochain album mais je ne sais pas quand il va sortir!» Le public entre dans la danse, que Jones interrompt un peu vite, se servant du vin ou partant en coulisses à la recherche d'un chapeau ou d'un quelconque truc en plumes. Des petits détails qui rendent le show moins solide mais en retour plus attachant, tout comme sa diva.
Laquelle ne pouvait quitter Montreux sans ôter le bas, d'abord pieds nus et en robe, puis en simple maillot, dévoilant un corps toujours suffisamment agile pour assurer six minutes de hula-hoop sur «Slave to the Rythm» et assez ferme pour tenir bien calé sur les épaules d'un heureux monsieur de la sécurité, sur lequel Grace se hisse afin de parader dans la foule au son infernalement compact de «Pull Up to the Bumper». Collé au parechoc… Les mains se tendent vers la chanteuse, l'effleurent, la saluent, elle se marre, fait un aller-retour sur la place bondée puis gratifie d'un bisou double son chevalier servant. Il rosit de plaisir. Nous aussi.
Retours du Montreux Jazz
François Barras est journaliste à la rubrique culturelle. Depuis mars 2000, il raconte notamment les musiques actuelles, passées et pourquoi pas futures. Plus d'infos
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