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Astrid Panosyan-Bouvet : «Il faut montrer que la compétence et le talent ne sont pas par défaut 'jeunes'»

Astrid Panosyan-Bouvet : «Il faut montrer que la compétence et le talent ne sont pas par défaut 'jeunes'»

Le Figaro4 hours ago
INTERVIEW - La ministre du Travail dévoile son plan pour l'emploi des seniors. Au programme : des mesures destinées à combattre l'âgisme, discrimination sur le marché du travail qui touche particulièrement les femmes.
Dans son bureau du ministère du Travail, déplacé temporairement avenue Duquesne (7e arrondissement de Paris), Astrid Panosyan-Bouvet nous reçoit pendant 30 minutes top chrono. À 53 ans, cette ancienne dirigeante d'entreprise devenue ministre en septembre 2024 enchaîne les rendez-vous. Au menu de son agenda du moment ? Son combat pour remettre les actifs de plus de 50 ans au cœur du marché du travail. Face à un retard français qu'elle qualifie de «gâchis humain et économique», elle déploie une stratégie en trois volets pour transformer en profondeur le rapport de la société française à l'âge au travail. Entretien.
Madame Figaro .- Le sujet de l'emploi des seniors revient beaucoup ces derniers temps. Quelle est l'ampleur du retard français ?
Astrid Panosyan-Bouvet.- Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Le taux d'emploi a certes progressé d'un point par an depuis les années 2000, à la faveur notamment des différentes réformes des retraites, et entre 55 et 59 ans, notre taux d'activité est désormais dans la moyenne européenne. Mais à partir de 60 ans, la situation se détériore très fortement : nous affichons un taux d'emploi de 35%, contre 60,1% en Allemagne et 70% en Suède. Nous avons tous dans notre entourage des personnes qui sentent qu'à partir de 50 ans, elles n'ont plus tout à fait leur place dans l'entreprise. Et c'est encore plus marqué pour les femmes, qui sont davantage invisibilisées. C'est un gâchis économique monumental parce que nous perdons en savoir-faire et en capacité productive et contributive. Mais c'est aussi un gâchis humain monumental avec des fins de carrières angoissantes.
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Pourquoi les femmes sont-elles plus touchées par cette invisibilisation ?
Il existe un double phénomène d'âgisme et de sexisme. L'âge constitue d'ailleurs, selon la Défenseure des droits Claire Hédon dans son rapport de décembre dernier, la première forme de discrimination sur le marché du travail. Sur cela, viennent se superposer d'autres discriminations plus classiques : les origines réelles ou supposées, le lieu de domiciliation, le genre... Pour les femmes, la question de l'âge est culturellement encore plus problématique.
Comment comptez-vous lutter contre ce problème ?
On pense souvent qu'un bon ministre est un ministre avec des crédits en hausse ; je pense plutôt que c'est un ministre qui se retrousse les manches pour trouver des solutions concrètes et utiles. Nous avons souhaité prendre le taureau par les cornes en construisant notre action autour d'un triptyque : changer la loi, changer les regards, changer les pratiques. Pour changer la loi, nous nous appuyons sur l'accord national interprofessionnel signé par les partenaires sociaux en novembre dernier. Les branches professionnelles et les entreprises de plus de 300 salariés devront désormais discuter du recrutement, de la formation et de la mobilité des plus de 50 ans. Nous instaurons également un entretien de mi-carrière à 45 ans, comprenant un bilan de compétences à 360 degrés et une visite médicale. L'objectif est d'anticiper la deuxième partie de carrière, qu'il s'agisse de reconversion, d'aménagement de poste ou de formation.
On peut avoir la meilleure stratégie, si la culture ne suit pas, c'est compliqué
Vous avez également créé un nouveau type de contrat. Concrètement, un candidat qui bénéficie de ce dispositif pourra désormais indiquer à son employeur, lors du recrutement, la date à laquelle il pourra prendre sa retraite à taux plein...
Exactement. Les partenaires sociaux ont imaginé ce contrat de valorisation de l'expérience pour les plus de 60 ans pour répondre à une inquiétude des employeurs qui ne savaient pas quand un salarié senior partirait à la retraite (potentiellement jusqu'à 70 ans, l'âge de départ d'office). Ce contrat leur donne de la visibilité sur la date de départ à taux plein et permet, si nécessaire, de se séparer du salarié avec des indemnités allégées.
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Au-delà de la loi, comment changer les mentalités ?
C'est l'objet de notre campagne de communication lancée en mai et juin : valoriser l'expérience face aux préjugés très français sur l'âge. Il faut montrer que la compétence et le talent ne sont pas par défaut «jeunes», et que l'expérience a de la valeur. Mais la bataille culturelle reste objectivement la plus difficile à mener. Peter Drucker, professeur de management, disait : «La culture mange la stratégie au petit déjeuner.» Ce que cette expression signifie, c'est qu'on peut avoir la meilleure stratégie, si la culture ne suit pas, c'est compliqué. Je crois néanmoins que la nécessité fera loi : un tiers des actifs ont déjà plus de 50 ans, ce sera 50% en 2050. Les entreprises ne pourront pas se passer de cette main-d'œuvre.
Concrètement, quelles pratiques doivent changer dans les entreprises ?
Les entreprises qui réussissent sont celles qui envisagent une diversité de réponses pour la dernière partie de carrière. Certains salariés veulent transmettre, d'autres souhaitent passer à temps partiel pour s'investir dans une association ou s'occuper de leurs proches. D'autres encore veulent s'investir à fond, libérés des contraintes familiales. Il faut sortir de la vision condescendante qui cantonne les seniors au mécénat de compétences. Et surtout, il faut former les recruteurs mais aussi les managers, qui peuvent être réticents à intégrer des personnes plus âgées dans leurs équipes. Nous avons mobilisé au travers d'événements dans chaque région de France plus de 2000 entreprises sur ce sujet, avec le concours très actif de l'ANDRH (Association Nationale des DRH), de France Travail et l'APEC et du collectif les entreprises s'engagent. La prochaine étape, c'est 101 Job Dating et les événements pilotés par France Travail et les services de l'État organisés dans chaque département de France. 10.000 entreprises sont attendues.
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Les chiffres montrent que les femmes de plus de 50 ans ont encore moins accès à la formation...
C'est exact. Globalement, l'accès à la formation chute de moitié après 55 ans. Du côté des plus de 50 ans, seulement 28% des femmes y ont accès, contre 35% en moyenne. Or, c'est un cercle vicieux : moins de formation, moins d'actualisation des compétences, plus de difficultés à se maintenir en emploi ou à retrouver du travail.
Les femmes cumulent plusieurs handicaps : elles ont souvent eu des carrières hachées, interrompues, et ont donc besoin de travailler plus longtemps pour avoir une retraite décente.
35% des seniors sont en chômage de longue durée. Quelles solutions proposez-vous pour celles et ceux qui sont demandeurs d'emploi ?
Le drame, c'est qu'après 55 ans, la durée moyenne de chômage atteint 600 jours – globalement deux fois plus que la moyenne. Nous avons donc créé avec France Travail un dispositif d'accompagnement individuel et collectif, «Boost 50+», de 8 à 12 semaines, qui sera expérimenté dans plusieurs régions dès 2025 et déployé partout en France en 2026. Parce que l'accompagnement collectif est crucial pour briser l'isolement et reconstruire l'estime de soi. Nous développons aussi des formations courtes de 4 mois, suivies de 4 mois d'immersion en entreprise dans le cadre d'un dispositif de spécialisation ou reconversion, «Atout senior», expérimenté en Île-de-France en 2025 et déployé en 2026. Avec des taux de retour à l'emploi de 85%. Et enfin, ce sont les 101 Job Dating organisés partout en France à compter d'octobre dont j'ai parlé à l'instant où nous attendons 10.000 entreprises. Ce sont des actions très concrètes et qui changeront la donne.
Selon l'Insee , 60% des 45-65 ans qui n'ont pas d'emploi et ne sont pas non plus à la retraite sont des femmes. Comment expliquer cette surreprésentation ?
Les femmes cumulent plusieurs handicaps. Elles ont souvent eu des carrières hachées, interrompues, et ont donc besoin de travailler plus longtemps pour avoir une retraite décente. Paradoxalement, ce sont elles qui ont le plus de mal à retrouver un emploi. On observe aussi une grande diversité de situations. Il y a les femmes qui ont occupé des métiers physiquement usants (métiers du soin et du lien, caissières...) et qui n'ont pas toujours la capacité physique à continuer après 55 ans. Et puis, on trouve aussi des femmes cadres marginalisées par la culture du «up or out» (ndlr : le fait qu'à chaque étape de carrière, un employé doit soit être promu - «up» -, soit invité à quitter l'entreprise - «out» -) des entreprises.
Comment accompagner ces reconversions nécessaires ?
Nous avons considérablement simplifié les dispositifs de reconversion. Prenez l'exemple de l'accord entre Monoprix et Korian : des caissières peuvent devenir aides-soignantes grâce à une période de reconversion où leur contrat est suspendu le temps de la formation. Si la période d'essai est concluante, elles sont embauchées chez Korian. Sinon, elles retournent chez Monoprix. C'est une reconversion sécurisée, sans passer par la case chômage.
Avec l'allongement des carrières lié à la réforme des retraites, comment protéger les femmes qui touchent déjà des retraites inférieures à celles des hommes ?
Il faut agir sur plusieurs leviers. D'abord, sur la structure même de l'emploi : moins de 20% des métiers sont réellement mixtes. Les femmes sont surreprésentées dans les emplois moins bien payés et plus souvent à temps partiel. Même à compétences et temps de travail égaux, il reste 4 à 5% d'écart. C'est de la discrimination pure. Nous travaillons avec Élisabeth Borne (ministre de l'Éducation nationale) sur l'orientation des jeunes femmes vers des métiers mieux rémunérés, notamment scientifiques et techniques. Il faut aussi revaloriser les métiers du soin et du lien, trop souvent sous-payés au prétexte qu'ils reposeraient sur des «qualités féminines naturelles». Au cœur de tout cela, il y a la question de l'indépendance économique. Il s'agit de garantir aux femmes, à chaque étape de leur vie, l'autonomie financière pour ne jamais la subir. C'est un enjeu de société, de dignité et de liberté.
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