
Jamais assez des Belles-sœurs
Que reste-t-il à dire au sujet des emblématiques belles-sœurs de Michel Tremblay, qui a rejoint les interprètes sur scène, mercredi soir, à la salle Wilfrid-Pelletier ? Peut-être faut-il commencer par préciser que cette version symphonique n'apporte pas grand-chose à l'exceptionnelle comédie musicale créée il y a 15 ans par René Richard Cyr et Daniel Bélanger. Que ce n'est pas bien grave non plus : avec ou sans grand orchestre, cette prise de parole demeure forte et émouvante.
On n'imagine plus, aujourd'hui, le choc provoqué par Les belles-sœurs à sa création, en 1968, au Rideau vert. Ceux qui y étaient sont de moins en moins nombreux. Ceux qui n'y étaient pas ne connaissent de cette grande commotion que ce qu'on en dit encore à l'école ou ce que révèlent les archives de l'époque. On reconnaît encore en ces femmes des tantes qui ne sont plus aujourd'hui que des souvenirs d'enfance, mais on a désormais une distance avec le propos de la pièce et son contexte. Avec sa langue, aussi.
On ne parle d'ailleurs plus vraiment de « joual » pour désigner notre façon de parler français, même si on se reconnaît toujours dans ces mots-là. Ce joual, celui de Tremblay, n'est-il pas de toute manière une construction littéraire ? Une invention ou, au minimum, une extraordinaire réinvention, évoquant toute une classe sociale sinon un peuple entier ?
Tout ça pour dire que, malgré tout ce qui nous sépare désormais de Germaine Lauzon, de ses sœurs, de ses belles-sœurs et de ses voisines, toutes réunies pour un party de collage de timbres primes qui vire mal, cette nouvelle production inspirée de la comédie musicale résonne encore très fort.
Que même si le monde a changé – pas complètement, mais quand même – l'œuvre n'a rien perdu de sa part comique ni de sa part tragique. De sa portée, en somme.
Des femmes
René Richard Cyr était dans la salle, mercredi, tout près de Michel Tremblay, mais c'est Lorraine Pintal qui dirige cette nouvelle version symphonique de Belles-sœurs, dirigée par la cheffe Dina Gilbert. Notons d'emblée que de voir une femme au pupitre, dirigeant l'Orchestre symphonique de Trois-Rivières, a valeur de symbole puisque le spectacle met en scène une distribution 100 % féminine. À une exception près : l'auteur et dramaturge Simon Boulerice était aussi sur scène dans un rôle de « maître de cérémonie » devant aider le public peu familier avec la pièce à ne pas perdre le fil de l'histoire.
PHOTO DANAHÉE PLOUFFE-DUBÉ, FOURNIE PAR GSI MUSIQUE
Michel Tremblay fait le baise-main à Marie-Denise Pelletier après la première de Belles-sœurs symphonique, mercredi, à la salle Wilfrid-Pelletier.
C'est d'ailleurs lui qui apparaît le premier pour mettre la table : il peint le portrait du « petit Michel » de la rue Fabre, fasciné par les livres et enivré par la lecture, entouré des femmes de sa famille, qu'il écoute sans qu'elles ne s'en rendent compte, emmagasinant des histoires, une manière de parler et des élans théâtraux qui lui serviront plus tard dans son œuvre. Sans être complètement inintéressante, cette introduction est écrite et livrée d'une manière si infantilisante que c'en est presque gênant. On sait pourtant ce dont Simon Boulerice est capable, même dans l'hommage : ce qu'il avait écrit il y a deux ans pour Beau Dommage, qui recevait le prix Artisan de la fête nationale, était inspiré et éloquent.
La grande différence entre cette production symphonique et la précédente, qui date de 2014, est qu'elle ne s'appuie sur une majorité de femmes connues d'abord comme chanteuses et non comme actrices. Marie-Denise Pelletier mène le spectacle dans le rôle de Germaine Lauzon, entourée entre autres de Luce Dufault, Marie Michèle Desrosiers, Joe Bocan, Judi Richards, Natalie Choquette, Catherine Major, Lulu Hugues et quelques autres. De la comédie musicale de 2010, il ne reste plus que Kathleen Fortin qui prête sa voix exceptionnelle à Des-Neiges Vermette, la demoiselle esseulée.
Des imperfections gommées par la beauté
La première de mercredi ne fut pas de tout repos. Le spectacle a été perturbé par des problèmes de sonorisation qui empêchaient de savourer les textes. Il est en effet arrivé plus d'une fois qu'une interprète commence à chanter alors que son micro-casque n'avait pas été allumé… Alerte au pupitre, Dina Gilbert a travaillé très fort à faire le lien entre l'orchestre et les chanteuses, de manière éviter les décalages tout en donnant les élans nécessaires aux arrangements de Simon Leclerc. Elle a réussi, pour l'essentiel, à donner une belle cohésion à l'ensemble.
PHOTO DANAHÉE PLOUFFE-DUBÉ, FOURNIE PAR GSI MUSIQUE
Luce Dufault (au centre) brille dans le rôle de Pierrette Guérin, la « fille de mauvaise vie ». À gauche, sa fille Lunou Zucchini (Lise Paquette) et Laetitia Isambert-Denis (Linda Lauzon).
Marie-Denise Pelletier a donné du corps à sa Germaine Lauzon, portant avec adresse Gratis, le premier solo de la soirée, une chanson pas si facile à chanter. Dorothée Berryman a perdu le fil durant La noce, une chanson impossible faite d'une énumération de noms, mais elle s'est bien rattrapée et le morceau a levé rendu au chœur. Et bien que ce genre de spectacle repose d'abord sur la force de l'ensemble, on ne peut pas ne pas souligner l'interprétation de Luce Dufault, en pleine maîtrise jusque dans la fragilité. Quelle voix et quelle interprète !
La mise en scène de Lorraine Pintal, assez minimale, était habile dans les circonstances, mais ne pouvait pas égaler les tableaux géniaux créés par René Richard Cyr au Théâtre d'Aujourd'hui dont on garde encore des images fortes – sa version cinéma aussi est pétillante, si vous n'avez pas encore le plaisir de la voir. Enfin, il faut souligner l'apport inestimable de la vedette discrète de la soirée : Daniel Bélanger et ses mélodies. Quinze après la création de Belles-sœurs, titre officiel de la version « théâtre musical », on savoure encore ses trouvailles, l'adresse avec laquelle il passe de la mélancolie au sourire en coin, s légèreté colorée et son sens du drame. On reste habité par les thèmes musicaux de ce spectacle-là longtemps après avoir quitté la salle Wilfrid-Pelletier.
Jusqu'au 2 août à la salle Wilfrid-Pelletier, puis du 28 au 30 août au Grand Théâtre de Québec
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