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Une belle petite neige
Une belle petite neige

La Presse

time07-08-2025

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Une belle petite neige

Cette chronique a été publiée le mardi 7 janvier 2014, en page A5. Nous la republions sans altérer les mots que l'auteur a utilisés à l'époque. Devinez d'où j'arrive, drette là. Devinez où j'ai passé le temps des Fêtes. Mais non, pas au Luxembourg. C'est un peu décevant, le Luxembourg en hiver. Je n'étais pas en Floride non plus, ni dans quelque île exotique. Je vais vous le dire là, c'est trop difficile comme devinette : j'étais sur le toit. Parfaitement. Sur le toit de l'appentis à la grosse pluie battante. J'y cassais la glace avec la binette, la même binette qui me sert l'été à désherber les allées du jardin, cette binette-là, paf dans la glace du toit de l'appentis, paf, paf, et repaf jusqu'à ce que se détachent d'énormes plaques que j'allais jeter en bas du toit. Vous savez, les esclaves dans les films de Romains qui portent d'énormes pierres dans leurs bras pour faire les chemins, j'avais l'air de ça sur le toit avec mes plaques de glace. C'est ma fiancée qui me l'a dit : t'as l'air d'un esclave dans un film de Romains. Regarde mieux, mon amour, et tu vas voir que j'ai plutôt l'air d'un con qui s'est trompé de pays. Ai-je dit que c'est un toit grand comme la moitié d'un terrain de basketball et qu'il pleuvait à boire debout ? Tout ça a commencé par la fille de la météo à la radio qui nous a annoncé « une belle petite neige », il y a de cela deux ou trois semaines. Au lieu de la belle petite neige annoncée – cout'donc, sont toutes jovialistes dans ce métier-là ? – au lieu d'une belle petite neige, ici on a eu une sale petite pluie qui s'est tout de suite transformée en glace sur le toit de l'appentis, mais pas seulement : sur les arbres aussi, chaque branche, branchette, rameau, ramille pris dans une gaine de glace, la tête du genévrier au coin du garage a cassé la première, même les robustes vinaigriers ont craqué, et les têtes des bouleaux se sont penchées jusqu'à terre en révérences toutes cliquetantes de la verroterie de leurs milliards de petits glaçons. Ben oui, c'est beau. Sauf que les grands pins, eux, au contraire des grands bouleaux ne penchent pas, les grands cèdres non plus. Ils cassent. Ils font crac en s'abattant sur les fils électriques : plus d'électricité. Et même plus de téléphone. Plus d'eau. Plus de chauffage. Le message de l'Hydro disait que le courant reviendrait vers 23 h. À 23 h, le message précisait : dimanche. On était samedi. Le courant est revenu, puis reparti pour 24 heures encore. Les gars de l'Hydro avec leurs longues perches sont arrivés pour désengager les « breakers » en haut des poteaux. Ça va être long, monsieur ? Disons à midi ? On l'a eu à 6 h. Il faisait moins 22. Dimanche, on est allés dans le bois porter des pommes à notre couple de porcs-épics. On a eu l'impression d'un ouragan. Pins amputés de leurs bras, cèdres couchés, faux-trembles étêtés. Et même des érables. Un massacre. Une belle petite neige, avait dit la dame de la météo. Devinez d'où j'arrive, drette là ? Ah non, j'étais pas sur le toit. C'est fini, sur le toit. Depuis, je me suis fait un café, j'ai commencé cette chronique, et… et je suis ressorti. Drette là, j'arrive du garage qui n'abrite pas mon auto mais mon bois de chauffage. Devant les portes du garage, il y a de l'eau, un lac. Forcément, il pleut à boire debout et comme il y a de la glace dessous, l'eau reste là. Et comme il va geler à la fin de l'après-midi, si je n'écope pas l'eau avant qu'il gèle, je ne pourrai plus ouvrir les portes du garage avant la mi-avril. Si l'électricité vient à manquer – peut-être même avant la fin de cette chronique –, je ne pourrai pas aller chercher du bois pour le poêle. Non seulement je vais me geler, mais les tuyaux de l'évier aussi vont geler. Écope l'eau devant le garage avec une casserole. Verse dans le seau. Quand le seau est plein, va le vider de l'autre côté du chemin : 20 seaux, 30, 2350 ? Tiens, qu'est-ce que je vous disais, l'électricité vient de manquer. Devinez ce que j'ai dit en en allumant la bougie. J'ai dit pays de cul. Tiens, l'électricité vient de revenir. Pays de cul pareil. TRALALA MORTICOLE – Les revues de 2013 n'ont pas jugé bon de revenir sur cet évènement qui, moi, « a fait » mon année. L'histoire la plus tordue de l'année, celle de ce type qui s'étant fait passer pour un traducteur du langage des sourds, s'est retrouvé sur la scène où l'on rendait hommage à Mandela, à deux pas d'Obama et, pendant cinq heures, s'est livré à des gesticulations insensées. J'eusse trouvé la chose plus suave encore si, au lieu d'un halluciné, on avait eu affaire à un plaisantin, mais ça reste un sacré pied de nez pareil, non ? D'abord un pied de nez à la sécurité. Imagine ! Imagine les savants et rigoureux dispositifs mis en place dans les jours qui ont précédé la cérémonie, imagine les effectifs, le nombre de flics en civil dans la foule, sur les toits avec des fusils à lunettes, la tête penchée sur le côté pour parler au micro fiché dans le col de leur veston, tous reliés à une centrale au sous-sol du stade, imagine combien ça a coûté, 20 millions ? 50 ? Et voilà l'autre petit comique qui se pointe sur l'estrade. Tadam, tadam, salut, Barack… Un pied de nez aussi à – comment dire ? – à tout le tralala morticole qui durait depuis plus d'une semaine, ces hommages, ces prosternations… Comme si l'autre avait voulu traduire le dérisoire de tout cela. Mais paraît que les sourds ne l'ont pas trouvé drôle. Ah bon. En plus d'être sourds, ils n'entendent pas à rire ? Les chroniques de cette section spéciale ont été sélectionnées par le journaliste André Duchesne, ex-collègue et fidèle lecteur de Pierre Foglia.

Bagdad à vélo
Bagdad à vélo

La Presse

time06-08-2025

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Bagdad à vélo

Cette chronique a été publiée le samedi 20 avril 2013, en page A18. Nous la republions sans altérer les mots que l'auteur a utilisés à l'époque. Si j'ai eu peur en Irak ? Très peur. Au moins une dizaine de fois, je me suis dit, ça y est ! C'est fini ! Je ne sors pas d'ici vivant. Adieu, chats, fiancée et autres bestioles de ma ménagerie. Al-Qaïda ? Pas du tout. Le vélo. Se promener à vélo à Bagdad, c'est à peu près ce que j'ai fait de plus dangereux dans ma vie. La moitié de Bagdad est fermée à la circulation pour des raisons de sécurité, pour aller à l'université, par exemple, c'est l'avenue Jadria ou rien, et l'avenue Jadria, c'est trois fois le boulevard Taschereau. Je ne savais pas un mot d'arabe il y a un mois, j'en sais quelques-uns : ôte-toi du chemin ! Débile ! Retourne donc à Saint-Armand ! J'ai appelé ma fiancée pour qu'elle prenne note de l'inscription que je voulais sur la petite boîte, si jamais : tué à Bagdad par une voiture même pas d'explosifs dedans. Aux postes de contrôle, ou bien les soldats me laissent passer bouche bée comme à la vue d'une apparition, ou le contraire : on me traîne à un officier qui n'a rien dans ses consignes sur les Kanadi à vélo, alors il en réfère plus haut par téléphone et attend, et attend. Il s'en est même trouvé un, exaspéré, qui a envoyé chercher un soldat qui parlait anglais : Ali, explique au monsieur, ici, que les seuls cyclistes que l'on croise à Bagdad sont les balayeurs de rue avec leur petite voiture en arrière pour porter leurs seaux et leurs balais, et ce ne sont même pas des Irakiens, ce sont des Bangladesh... On m'a traité de bien des affaires dans ma vie, c'est la première fois qu'on me traite de Bangladesh. Il y a eu cette journée magnifique où je suis allé rue Moutanabi, dans le vieux Bagdad, au moins 30 km aller-retour, par l'avenue Abou Nawas, qui longe les rives du Tigre. Entre la rive et l'avenue, un parc de quelques kilomètres, qui tient plus du dépotoir que du parc La Fontaine. Des centaines de joueurs de foot s'en contentent pourtant, des familles y pique-niquent près des manèges, une mémé qui s'est risquée sur une balançoire m'engueule quand je veux la photographier, des enfants se couraillent, maman, maman, Mohammed y m'a poussé. Mohammed, fous la paix à ta petite sœur. Les amoureux ne s'embrassent pas à pleine bouche, c'est à peine s'ils osent se tenir par la main. Celui-là s'est mis trop de gomina. Elle s'est mis trop de rouge, elle a dû se faire engueuler par sa mère pour ses jeans trop serrés : arrange-toi pour que ton père te voie pas là-dedans… Les restaurants de poissons ont allumé leurs brasiers où cuisent, embrochées, les célèbres carpes du Tigre (aujourd'hui d'élevage), 30 $ la carpe. En face, les grands hôtels « de guerre » de l'époque Saddam, le Sheraton de CNN, le Bagdad, le Palestine. Je logeais aussi dans le coin, une petite pension qui n'existe plus. Un flic vient m'avertir que je n'ai pas le droit de photographier le mur de béton qui protège le Sheraton. Plus loin, un autre flic m'avertira que je n'ai pas le droit de photographier le fleuve. Comme je n'ai pas le droit non plus de photographier les vieilles musulmanes qui font de la balançoire, au lieu d'un appareil photo, la prochaine fois, j'apporterai, je sais pas, un séchoir à cheveux ? Rue Moutabani, je me suis faufilé dans les jardins de l'institut culturel, où des poètes donnaient lecture devant un parterre d'officiels qui s'ennuyaient largement. Je n'en ai pas vu bâiller, mais j'en ai vu plusieurs se gratter les couilles, signe qui ne trompe pas. Dans toutes les cultures, l'homme qui se gratte les couilles est en train de se demander ce qu'il fait là. Les poètes avaient des têtes sympathiques, celui-là s'accompagnait au luth. Anne Hébert m'est venue en tête, ce serait drôle si je leur récitais du Anne Hébert, les petites gares à la retraite/Roses et violettes comme des bouquets fanés, ou plus bagdadien, L'épouvante a des pattes de velours/Tapie aux quatre coins de la chambre… En plus des 100 librairies qui ont pignon sur la rue Moutabani, les vendredis, 100 marchands de livres se répandent sur les trottoirs. Un vieux communiste qui parlait français a voulu me vendre les souvenirs de voyage de Khrouchtchev, 1350 pages, je lui ai plutôt acheté Le rouge et le noir. Si vous m'en achetez un autre, m'a tenté le libraire, je vous donne Candide gratuitement. Il faut bien être à Bagdad pour se faire donner Voltaire en prime, alors j'en ai pris un autre : Oliver Twist. Le café Shabandar est à la rue Moutabani ce que le Flore est au boulevard St-Germain, plein d'écrivains, de poètes, mais surtout plein de badauds qui pensent qu'il est plein de poètes et d'écrivains. Le journaliste Kanadi y est une espèce rare, on se tassera pour lui faire une place, on lui paiera le thé, bien sûr… En échange, il leur fera un petit cours sur le Québec, il leur dira que les Québécois sont un peu les chiites d'Amérique, sans les voitures piégées, majoritaires dans leur pays, mais minoritaires au Canada, comme les chiites sont majoritaires en Irak, mais minoritaires dans le monde musulman. Et puis, pour mettre un peu d'animation dans la conversation, il inventera que les Québécois sont bordéliques comme les chiites… Bordéliques ? Voilà toute la tablée à chercher comment on dit bordélique en anglais et en arabe. On n'a pas trouvé. Je suis revenu par des rues de traverse et même des ruelles défoncées où des rats qui n'avaient jamais vu de vélo en sont restés idiots, comme les vaches dans les prés quand passe un train. Une rumeur que je reconnaissais bien descendait des balcons – la description d'un match de quelque chose à la télé, sûrement du foot. J'ai fini par me glisser dans une échoppe, y'avait Chine-Irak à la télé, les Chinois venaient de compter, l'épicier m'a cédé son tabouret, il m'a fait signe de ne pas bouger, il est revenu cinq minutes après avec un jeune homme, son neveu, qui parlait anglais. Sauf qu'il avait rien à dire, et moi non plus. J'étais un peu fatigué. Plus tard, le jeune homme m'a fait un brin de conduite pour me remettre sur le chemin de mon hôtel. As-tu une blonde ? Il s'est soudain animé. Elle s'appelle Kuthar. Tu vas chez elle ? Es-tu fou ! Elle vient chez vous ? Es-tu fou ! Son père est de la vieille école, on n'ose même pas se promener dans la rue, s'il apprend qu'elle est venue chez nous, il va lui donner la volée de sa vie. Vous vous parlez comment, alors ? Facebook. Des fois, on triche, je l'attends à la sortie de l'école. On va manger une crème glacée au Na3na3, elle est folle de crème glacée. Elle prend toujours au kiwi. Qu'est-ce que tu vas écrire sur l'Irak ? Ça. Que j'ai rencontré un gars amoureux d'une fille folle de crème glacée au kiwi. Les chroniques de cette section spéciale ont été sélectionnées par le journaliste André Duchesne, ex-collègue et fidèle lecteur de Pierre Foglia.

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