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Visages de milliardaires
Visages de milliardaires

La Presse

time38 minutes ago

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Visages de milliardaires

Lauren Sanchez, lors des célébrations entourant son mariage avec le fondateur d'Amazon, Jeff Bezos, à Venise, à la fin de juin La semaine dernière, entre une déclaration intempestive du président américain et des conseils sur les camps de jour, quelques restes du mariage vénitien du fondateur d'Amazon traînaient encore ici et là sur les réseaux sociaux, dans la presse people et même dans les grands médias. C'était souvent Champagne Showbizz, plus rarement hyper pertinent comme cette entrevue avec Dahlia Namian, auteure de l'essai La société de provocation1, à propos du mode de vie des milliardaires. Je vous en ai déjà parlé ici. Son analyse épingle un phénomène sensible de notre époque : la toute-puissance, l'outrecuidance, le sans-gêne absolu des ultrariches. Ils sont quelques dizaines à graviter dans un monde exclusif et à circonscrire, symboliquement et réellement, le monde où nous vivons tous. Leurs goûts, leurs actions, leurs décisions ont un impact sur nos vies. Pire, certains aspirent à leur ressembler. Il y a donc eu des restes de photos de mariage, puis de l'après-mariage. Lauren Sanchez et ses copines Kardashian crashant les défilés Haute-Couture à Paris. D'autres invités en ont profité pour prolonger leur séjour italien dans de somptueuses villas au lac de Garde, et poster des photos de leurs repas 12 services. Bezos a peut-être lancé une mode : se marier de façon ostentatoire en Italie… Mais, dans cette débauche de photos de mariage amazonien, ce qui a frappé mon imagination est le visage troublant de la plupart des invitées, à commencer par celui de Lauren, la mariée. Mâchoire sculptée, pommettes très hautes et rebondies, lèvres plus pulpeuses que celles d'une influenceuse, regard dur et tiré vers les tempes. Le visage est hyperdessiné, les seins bédéesques. Il se dégage de l'ensemble une impression de puissance et d'étrangeté. Comme si on avait caricaturé sa beauté, exagéré ses traits jusqu'à en faire un masque. Je m'aventure ici sur un terrain glissant. Celui de la chirurgie esthétique. Oui, les femmes ont le droit de faire de leur visage et de leur corps ce qu'elles veulent, si c'est consenti et voulu. D'un point de vue féministe, ça se défend et peut même être un outil d'empowerment. Mais ce que je décris, le visage de Sanchez, celui des Kardashian et de plusieurs des invitées du couple milliardaire, n'a plus rien à voir avec la volonté d'améliorer son apparence ou de lutter contre les signes du vieillissement. Pas plus qu'avec l'estime de soi. On est ailleurs, tant quantitativement que qualitativement. Ça ne relève plus de l'esthétique, mais du pouvoir. Ce n'est plus du lifting, mais de l'ultracapitalisme. Ces visages parfaitement sculptés qui se ressemblent tous dans leur fronde et leur agressivité sont de manière voulue des marqueurs de classe. Des machines de guerre. Car non seulement ces interventions chirurgicales coûtent très cher – ce qui n'est pas un enjeu pour le 1 % –, mais leur but n'est ni la beauté ni le rajeunissement. Les corps et les visages doivent clamer leur appartenance à la super élite et à ses standards corporels. Le visage signature de Lauren Sanchez suinte la satisfaction, l'artifice revendiqué. Il est, paradoxalement, après les yachts, les jets, le signe extérieur le plus intime de l'appartenance à l'élite financière de la planète. On aura donc constaté, lors de ce mariage, un marqueur jusque-là sous-estimé de la ségrégation entre les millionnaires et nous : ils sont faits d'un autre matériau. Leurs chirurgiens sont des extraterrestres qui fabriquent des visages de mutants. On est loin ici du lifting banalisé, qui aide des femmes à s'accepter, qui redonne confiance à plusieurs, qui leur permet de se « remettre sur le marché » du travail ou de la séduction. Très loin aussi de cette préoccupation générationnelle où de très jeunes femmes, souvent sous la pression des réseaux sociaux, se font refaire le visage. Ces interventions quasiment triviales appartiennent à une logique de conformisme, qui produit des visages lissés à la chaîne. L'écrivaine Nelly Arcan avait lumineusement parlé de chirurgie esthétique dans son livre Burqa de chair. Elle a toujours eu le courage intellectuel de s'exprimer sur l'idée du corps à la fois prison et étendard. Dans le texte intitulé La Robe, elle écrit : « Une femme, c'est être belle. C'est un sort atroce parce que la beauté est à l'abri de toutes les révolutions. Pour être libre, il faut faire la révolution. Les femmes ne sont jamais libres ». Les femmes ultrariches, les épouses de milliardaires, les femmes milliardaires elles-mêmes utilisent les artifices bien différemment de nous. Pour elles, la chirurgie esthétique n'est ni une consolation ni une prison, c'est le symbole de leur conquête du monde, affranchie et revendiquée. Les milliardaires font leur révolution, à coups de rhinoplasties et de botox. Mais ce n'est pas une révolution pour le bien commun. Ce monde dont leurs visages durs sont la vitrine, le signe de richesse indécente, l'oriflamme aveuglant, raconte une société cassée en deux, mais qui pourtant fait rêver. Nous n'aurons jamais accès à cette vie, mais nous y tendons candidement avec nos redrapages de paupières. Les milliardaires font baver les millionnaires, qui eux font saliver les quidams. Leur mode de vie ruisselle sur nous, leurs îles privées, leurs corps surréels s'imposent à nos imaginaires. Mais qu'on ne s'y trompe pas, leurs visages refaits sont des forteresses. Pour être libre, il faut faire la révolution, écrivait Nelly. En cela aussi, elle avait raison. Car oui, Lauren Sanchez est insolemment libre. Mais à quel prix ? 1. Lisez notre grande entrevue avec Dahlia Namian Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue

Bezos, Musk et l'indécence des riches
Bezos, Musk et l'indécence des riches

La Presse

time06-07-2025

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Bezos, Musk et l'indécence des riches

Dahlia Namian, professeure de travail social à l'Université d'Ottawa et autrice de La société de provocation S'il y a un enseignement à tirer du récent mariage somptueux de Jeff Bezos à Venise, au-delà des diverses controverses suscitées par cet évènement délirant, c'est que les provocations des milliardaires ne sont pas terminées. L'évènement nous a fait oublier pendant un bref moment celles d'Elon Musk. Mais nous ne perdions rien pour attendre. Car le grand patron de Tesla a trouvé de nouvelles façons de faire la manchette, notamment en continuant de tenir tête à Donald Trump et en promettant de créer un nouveau parti politique. J'ai sollicité l'avis de Dahlia Namian sur les récents développements dans l'univers des milliardaires. Car cette professeure de travail social à l'Université d'Ottawa a publié il y a deux ans un petit essai lapidaire sur « l'obscénité des riches », intitulé La société de provocation. À son avis, le mariage du fondateur d'Amazon est « un cas exemplaire » de ce qu'elle a tenté de démontrer avec son livre. « On est dans une ère où les 1 % des mieux nantis, au lieu de dissimuler leurs privilèges, ce qui serait une marque d'un minimum de décence, vont au contraire les exhiber de façon complètement ostentatoire, sans complexe », explique-t-elle. Au bout du fil, elle rappelle brièvement tout ce que ce mariage a impliqué. Elle évoque par exemple le déferlement de yachts (dont celui de Jeff Bezos, qui fait 127 mètres et qui vaut 500 millions de dollars américains), d'hélicoptères et de jets privés (environ un pour deux personnes) utilisés par les mariés et leurs invités de prestige. PHOTO MARCO BERTORELLO, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE Kris Jenner prend une photo de ses filles Khloé et Kim Kardashian (elle-même milliardaire) sur un bateau-taxi à Venise. L'évènement aurait coûté plusieurs dizaines de millions de dollars. « C'est vraiment une mise en scène de la puissance. Une démonstration que l'argent achète tout et qu'on peut aujourd'hui s'afficher sans retenue », dit-elle. Ce qui est d'autant plus choquant, c'est qu'on est dans une période frappée par tout un ensemble de crises. Dahlia Namian, autrice de La société de provocation Ce mariage spectaculaire est, résume-t-elle, « un message qui nous dit : regardez ce qu'on peut faire, rien ne nous est interdit, peu importe nos folies et les conséquences ! ». L'évènement, lui dis-je, m'a rappelé les résultats d'une étude sur les émissions de CO 2 des milliardaires publiée l'an dernier par Oxfam. L'organisme a calculé que 50 d'entre eux « produisent plus de carbone par leurs investissements, leurs avions privés et leurs yachts en 90 minutes qu'une personne moyenne ne le fait pendant toute sa vie ». La professeure réplique du tac au tac, avec un exemple précis. Le yacht de Jeff Bezos génère à lui seul 7000 tonnes de CO 2 par année, dit-elle. Soit l'équivalent « de plus de 400 voitures à essence et l'empreinte carbone de plusieurs villages ». PHOTO STEFANO RELLANDINI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE Le yacht du milliardaire américain Bill Miller, l'Arience, à son arrivée à Venise, fin juin « L'élite économique, c'est l'élite pollueuse. De par son mode de vie, elle contribue grandement au péril climatique », souligne la sociologue. Mais revenons un instant à Elon Musk, puisqu'il aura occupé une place démesurée dans l'actualité au cours de la dernière année. D'abord en s'acoquinant avec Donald Trump et ensuite en obtenant une place de choix au sein de l'appareil gouvernemental américain, pendant quelques mois. Ça, Dahlia Namian ne l'avait pas prédit. Mais elle n'a pas non plus été étonnée outre mesure par la tournure des évènements. C'est une suite logique. La conséquence d'une accumulation extrême de la richesse. Une démonstration que l'argent achète le pouvoir. Dahlia Namian, autrice de La société de provocation « Mais c'était plus une alliance stratégique de part et d'autre qu'un mariage vraiment idéologique », estime-t-elle. « Ce qu'il voulait, c'était acheter le pouvoir pour que ça puisse profiter à ses propres intérêts. Derrière sa philosophie et celle d'autres gens très riches qui proviennent de la Silicon Valley, il y a cette utopie un peu libertarienne de dire : on veut vivre dans un monde où il n'y a pas de règles, rien qui puisse empêcher notre accumulation [de richesses] », ajoute cette experte, qui s'intéresse depuis longtemps aux inégalités sociales. J'avance une hypothèse : et si, ces derniers mois, certains milliardaires étaient allés trop loin ? La popularité d'Elon Musk, aux États-Unis, est en baisse. Le mariage de Jeff Bezos, comme je le soulignais, a soulevé la polémique. Et le cynisme fut aussi au rendez-vous quand l'une des fusées de ce milliardaire a fait grimper six femmes dans l'espace, en avril dernier, dont sa conjointe et la chanteuse Katy Perry. « Personne ou presque ne se scandalise outre mesure de leurs lubies. On en redemande, même », a écrit Dahlia Namian dans son essai. Mais si, depuis, on avait atteint un point de bascule ? C'est possible, reconnaît-elle. « Je pense que, depuis, ce discours critique envers les riches est plus présent dans l'espace public. Et la colère aussi », affirme celle qui participe actuellement au développement d'une série documentaire inspirée de La société de provocation. Mais ni les hommes les plus riches du monde ni les politiciens qui les soutiennent n'ont dit leur dernier mot, ajoute-t-elle. Elle fait remarquer que les solutions potentielles, comme taxer davantage les plus riches et lutter contre les paradis fiscaux, sont « extrêmement difficiles à mettre en place ». Le gouvernement canadien vient d'ailleurs d'annuler la taxe sur les services numériques, qui visait justement des géants comme Amazon. Et on apprenait au même moment que l'impôt minimal mondial de 15 % sur les multinationales, adopté par les pays de l'OCDE pour favoriser la justice fiscale, ne s'appliquera plus aux entreprises américaines. Des reculs majeurs et décevants. Il reste que le discours public semble en train de changer au sein de nos sociétés. Ce qui rend possible le succès de politiciens comme Zohran Mamdani, socialiste et candidat démocrate à la mairie de New York, qu'elle évoque en entrevue. « On a pu dire jusqu'ici qu'au Québec ou ailleurs, on devrait être fiers du fait qu'on a des milliardaires parce qu'ils contribuent de diverses façons à l'économie, à la société. Mais il y a un autre discours qui dit que c'est le symptôme d'un échec politique s'il y a des milliardaires. Un échec de l'État qui, clairement, ne répond pas à son rôle de redistribution des richesses », explique Dahlia Namian. Et ce discours est désormais jugé plus « légitime dans l'espace public » et n'est donc « plus réservé à une espèce de marxistes grabataires de l'UQAM » ! Qui est Dahlia Namian Née à Toronto en 1979. Elle obtient son doctorat en sociologie à l'UQAM en 2011. Elle devient professeure à l'École de travail social de l'Université d'Ottawa en 2012. Elle publie son essai La société de provocation en 2023, récompensé un an plus tard par le Prix des libraires du Québec dans la catégorie essais. Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue

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