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24 Heures
08-07-2025
- Science
- 24 Heures
Fils de coiffeur, cet ex-cadre de la pharma est devenu pêcheur
Docteur en neurosciences, Jean-Charles Bensadoun a tardé à avouer à son père sa reconversion sur le lac. Publié aujourd'hui à 10h59 Bilan du jour pour le pêcheur de Tannay: «Dix-huit perches… Ma recette équivaut à 40 francs.» LAURENT GUIRAUD En bref: La pêche du jour n'est de loin pas miraculeuse en ce lundi pluvieux de juin à Tannay . «Dix-huit perches dans mes filets et rien de plus, soupire Jean-Charles Bensadoun, 54 ans. C'est comme ça depuis des mois …» Revient le temps de l'époque bénie, 2022-2023, durant laquelle le pêcheur pouvait vendre certains mois pour plus de 20'000 francs de poissons: «Aujourd'hui, ma recette équivaut à 40 francs.» La gloire de son père À qui la faute? «Chacun y va de sa théorie», poursuit le professionnel debout depuis 3 h du matin. La surpêche, la chimie de l'eau, la nourriture, l'appétit des silures, des brochets et des cormorans («J'y crois peu»), la vidange du Rhône qui modifie les courants ou encore les aléas de la météo. Sous un ciel de cendre, le vent ride le lac et les précipitations dessinent des nuées de petits cercles. Au sec, dans sa baraque ripolinée comme un laboratoire médical, le Vaudois, élevé à La Gradelle, sort un couteau affûté et lève les filets de ses poissons zébrés aux nageoires orangées. «Mon père est mort en mars dernier à 97 ans. Né au Maroc dans une famille modeste, il a quitté l'école à 14 ans pour travailler et ramener de l'argent pour la famille (ndlr: cinq enfants) et est alors devenu coiffeur. Il a coupé des cheveux à Genève jusqu'à passé 80 ans. Vous savez, il écrivait merci avec un ç.» Privé d'études par nécessité, le patriarche était fier d'avoir envoyé son fils à l'université. «Mes notes, mes mentions, ma thèse, mon poste comme directeur dans la pharma, mon passage au Campus Biotech, à la Protection des animaux du canton de Vaud: tous les clients de mon père connaissaient mon CV par cœur. Alors, quand je me suis reconverti dans la pêche professionnelle en 2018, j'ai mis quelques années avant de lui avouer ce changement. C'était il y a deux ans. Finalement, il l'a bien pris.» Il faut dire que Joseph Bensadoun, le figaro de l'Opéra Coiffure à la place Neuve, savait depuis longtemps que le jeune Jean-Charles en mordait pour la poiscaille en tout genre: des petits alevins capturés au gobelet à Genève-Plage aux crevettes de l'Atlantique draguées à l'épuisette durant les vacances en Bretagne. «Mon père voulait que je m'essaie à l'équitation, sa passion avortée faute de moyens. Entre 8 et 12 ans, je montais à cheval, sans grande conviction, à Juvigny, en France voisine.» Poisson au goût de pétrole À deux pas du manège coule le Foron. «J'y ai chopé mes premières truites.» Un émoi de rivière rattrapé par une déception aux fourneaux: «La chair avait le goût de pétrole en raison de la pollution de ce cours d'eau. C'était immangeable.» Qu'à cela ne tienne, le gamin de Chêne-Bougeries sait que ce qu'il aime avant tout, c'est attraper des poissons. Pas les tuer. «Leur mort est silencieuse. Même si je dois les étourdir avec un bâton et les éviscérer, j'arrive à surmonter la portée de ce geste qui ne me pose pas de problème au fond. Mais je ne me vois pas forcément chasser et devoir achever un chevreuil blessé criant comme un bébé…» Le cri du batracien transpercé Un souvenir inconfortable remonte des profondeurs. «À environ 15 ans, je me promenais avec un ami à Vandœuvres. Au bord d'un plan d'eau, il y avait des grenouilles. Je savais que ma maman, française d'origine, en mangeait.» Jean-Charles affûte alors une branche d'arbre. Il s'en sert pour transpercer aussitôt un batracien posé sur des herbes aquatiques. L'animal, meurtri par la flèche de fortune et délogé de son habitat, se met à émettre un son dans l'air qui glace le sang de l'adolescent: «Je ne m'attendais pas à entendre le bruit de la souffrance.» Le parcours scolaire puis universitaire du Genevois est un long fleuve tranquille. «J'étais consciencieux et j'avais une bonne mémoire.» Alors qu'il planche sur sa thèse en neurosciences au CHUV , au début des années 2000, le doctorant profite de toutes les occasions pour s'adonner, ici et ailleurs, à la pêche à la mouche. Une réussite. Les truites de l'Inn et des autres rivières limpides des Grisons n'ont pas le goût d'hydrocarbure du Foron de son enfance. Tout comme les salmonidés qu'il capturera ensuite en Autriche, en Russie, en Alaska et en Écosse. Côté professionnel, le jeune homme s'avère plus terre à terre. Jusqu'en 2010, il travaillera à l'EPFL au sein d'un laboratoire d'étude sur la neurodégénérescence avant d'entrer chez Merck Serono à Sécheron en tant que directeur d'un département de recherche. Après la délocalisation de la multinationale, il intègre, toujours en tant que cadre scientifique, le Campus Biotech à Genève. En 2006, Jean-Charles devient toujours plus vaudois en déménageant à Chigny, un village morgien de quelque 400 habitants. Dix ans plus tard, il entre dans l'Exécutif communal tout en travaillant deux ans à l'État aux affaires vétérinaires comme chef de la protection des animaux. Gros coup de gouvernail en 2018: il décide de vivre de la pêche. D'abord à Founex, puis, depuis 2023, à Tannay. «En 2011, avec ma femme, elle aussi biologiste, nous avons acheté un mazet près de Cavalaire-sur-Mer.» Autant dire que ce nouveau terrain de jeu aquatique occupe largement Jean-Charles Bensadoun et ses deux enfants en vacances: «Mon aîné est même devenu meilleur que moi. Vive internet!» Espadon de 1 mètre Le pêcheur sort son téléphone et montre ses enfants tenant à bout de bras tantôt un barracuda, tantôt une grosse pélamide ou un trio de bonites (sorte de petits thons). Après les clichés, les vidéos: «C'était en 2022, j'étais avec mon cadet et on a attrapé et relâché cet espadon de 1 mètre. C'est beau non?» Une prise qui contraste avec les 18 perches du jour. La douche froide. «Si je peux aller de l'avant, c'est parce qu'il y a eu des jours meilleurs et aussi grâce à ma femme. Maître d'enseignement et de recherche à l'Hôpital ophtalmologique Jules-Gonin à Lausanne, elle assure nos arrières.» La pluie a cessé. La fin du tam-tam aquatique laisse la place au bruit des voitures sur la route bordée de villas tapies derrière des thuyas détrempés. «C'est riche comme commune hein? Si vous saviez combien on me fait payer de loyer…» Il est midi. À ce propos, côté cuisine, la famille Bensadoun n'est pas du genre à se noyer dans un verre d'eau. La preuve en quelques recettes prises à la volée. La féra? «Je la prépare fumée et en mousse.» Les œufs de brochet? «J'en fais du caviar, fumé ou non.» Les filets de perches? «Classiques, poêlés avec du beurre.» Et quid des barracudas du sud de la France? «En tartare, c'est excellent.» Les quelques perches du jour. LAURENT GUIRAUD D'autres histoires de pêche Newsletter «La semaine vaudoise» Retrouvez l'essentiel de l'actualité du canton de Vaud, chaque vendredi dans votre boîte mail. Autres newsletters Fedele Mendicino est journaliste à la rubrique genevoise depuis 2002. Il couvre en particulier les faits divers et l'actualité judiciaire. Plus d'infos @MendicinoF Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.


24 Heures
07-07-2025
- Business
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Qui est ce pêcheur qui veut restaurer carpes et silures dans nos assiettes?
Julien Monney s'agace de la mauvaise réputation d'espèces boudées par les consommateurs. Rencontre avec un professionnel à contre-courant. Publié aujourd'hui à 11h59 À Versoix, à Port-Choiseul, le pêcheur Julien Monney montre sa carpe du jour. GEORGES CABRERA En bref: Julien Monney nous avertit à sa manière: «Je ne suis pas un «causard.» Chiche? Aux premières questions, le pêcheur, méfiant, ne mord pas à l'hameçon. On ne se décourage pas, car à 41 ans, ce père de deux enfants travaille dans deux pêcheries, une à Versoix, l'autre à Hermance, et sur son stand au marché de Rive, le samedi: il a donc forcément des choses à raconter sur un métier qui lui «mange» 80 heures par semaine. Sur les murs de son local de Port-Choiseul, inutile de chercher une photo de sa bouille barbue et réjouie ou de lui tenant fièrement une grosse prise à bout de bras: «Je n'aime pas le côté trophée de la pêche et encore moins la vantardise.» Lors de notre passage dans son antre silencieux, l'homme venait juste de terminer de sortir ses filets. Le butin est aussi mince que lui: cinq perches. «Je ne vais même pas salir mon couteau et les écailler. Cela me coûterait trop cher en savon... Pas grave, je vais les donner tout à l'heure au héron.» Un héron peu farouche Au héron? Oui, depuis des années, l'échassier cendré lui tient compagnie. Julien Monney a documenté quelques visites du volatile peu farouche sur son téléphone. On y voit la bête engloutir en un clin d'œil un poisson tout frais du jour. Le héron, compagnon du pêcheur installé à Versoix, a englouti l'entier de la maigre pêche du jour. DR Dans la même galerie de photos, on distingue «un énooooooorme silure». «Je l'ai pêché au début de l'année. Il était plus grand (ndlr: près de 2 mètres) et gros que moi. Je pèse 54 kilos et j'ai eu de la peine à le remonter sur le bateau.» Mais ce genre de gros mastard de fond, c'est bon? Aïe, la question qui fâche… Depuis des années, le professionnel s'échine à faire comprendre à sa clientèle qu'il n'y a pas que les filets de perches dans la vie. «Il y en a même de moins en moins dans le lac et cela va de pair avec l'invasion de la moule quagga .» Face à cette pénurie, le professionnel propose des filets de silure , un monstre à moustache à la réputation gustative aussi douteuse que la carpe ou la tanche. «Non, ça ne sent pas la vase», dit-il un brin las avant de dérouler une explication fluide et rodée: «La carpe, par exemple, était élevée par le passé dans des étangs tièdes et limoneux. Donc, on devait les faire dégorger pour enlever ce mauvais goût.» Mais en eaux claires, ces poissons, à la piètre renommée, sont excellents, dit-il. La preuve aux fourneaux On le croit sur parole. Mais on demande à voir. Et à goûter. Ni une ni deux, l'homme se dirige vers son stock vendu en libre-service devant sa pêcherie bordée de roseaux ondoyants. Il pioche dans la glacière un morceau tout blanc, du silure, et un autre rouge sang, de la carpe. Il dégaine une poêle. Un filet d'huile et une tombée de sel plus tard, la dégustation débute. En apparence, on dirait un suprême de cabillaud et un pavé de thon. Le premier a un goût délicat de noisette dû à sa cuisson: «À la vapeur, ça n'a pas beaucoup de saveur.» Le second est plus relevé: «Il est plus gras.» Sans recourir à l'esbroufe d'un beurre citronné ou d'une crème au vin blanc, le résultat s'avère exquis et bluffant. Le filet de silure (en blanc) et le morceau de carpe (en rouge). FEDELE MENDICINO Le ventre plein, une clope fraîchement roulée au bec, l'homme nous fait le tour du propriétaire. La machine à écailler, celle à mettre sous vide, les couteaux pour lever les filets, le frigo, le congélateur, tout y est. À l'extérieur, les filets de pêche sèchent dans la brise tiède du matin. On découvre alors un minipotager sur pilotis: dans les jardins suspendus, tapissés de compost maison et d'écailles de carpes, poussent de beaux plants de tomates, de robustes feuilles de rhubarbe, un tapis d'herbes aromatiques (livèche, persil, thym citronné), de l'ail et de l'oignon. Un mur envahi de fraisiers exhibe des dizaines de fruits rougissant face au lac. Le Genevois monte sur son bateau surnommé Quatre pattes en 2015. Un hommage à l'époque où son fils, «encore bébé», marchait ainsi: «Il aime bien venir à la pêche avec moi.» Julien Monney, lui, n'est pas «un fils de»: «Mon père était gardien de prison, il ne m'a pas appris la pêche. Ma mère, enseignante à l'école primaire, non plus.» Enfance au bord de l'eau douce Jusqu'à l'âge de 10 ans, la famille a vécu aux Eaux-Vives à Genève, à deux pas du Léman. «Je me revois avec mon cousin et mon voisin tenter de prendre des poissons avec un fil de chanvre et un hameçon.» Les choses sérieuses commencent lorsque les Monney déménagent à Hermance. «J'ai passé mon adolescence à remonter des brochets, des féras, des truites et des ombles. Le reste du temps, je l'occupais avec des amis en forêt et au bord de la rivière. On faisait tout le temps du bivouac et j'étais inscrit aux scouts. Bref, je comprends vite que j'ai besoin de ce lien avec la nature.» Et les vacances? «Deux fois au bord de la mer, à Sète, je crois. Ma grand-mère avait une maison en Ardèche. J'y ai pêché des gardons, des spirlins et de la perche soleil.» Mais le climat s'avère trop sec pour le Genevois rompu aux fraîcheurs humides de nos latitudes: «Je ne mange pas de poissons de mer et je consomme local.» Pourtant, sa chemise bariolée, de style «afro» comme ses rideaux, révèle un goût certain pour l'exotisme: «Ma belle-famille est du Burkina Faso. J'ai acheté un terrain là-bas et j'ai fait construire un puits. Peut-être qu'un jour, j'irai y faire pousser mes légumes.» L'appel de l'Afrique Mais avant cela, Julien Monney veut aller au bout de son rêve de pêcheur. Face à la pénurie des poissons très courus, il envisage de développer ce qu'il a très bien fait durant notre visite: des dégustations de produits méconnus. On verra bien. «Quoi qu'il en soit, je dois garder un métier qui me laisse un rapport avec le vivant. Ici ou ailleurs.» Soudain, il revient, intarissable, sur sa passion de l'Afrique: «Je joue du balafon», «On m'a ramené du miel burkinabé», «Je suis attiré par le vaudou», «Là-bas, les gens s'étonnent de voir qu'un Suisse pêche des poissons au lieu d'être banquier ou avocat.» Il sourit: «Ma belle-sœur et mon beau-frère me disent d'ailleurs que je suis plus burkinabé qu'eux…» En sortant de son embarcation, Julien Monney marche sur une grosse poignée de moules remontées par ses filets: «Cette quagga n'en finit pas de faire des dégâts. Imaginez: une seule moule produit 1 million de larves. Cette espèce est en train de coloniser tout le lac. C'est vertigineux. J'ai commencé à lire de la littérature sur le sujet, notamment sur leur prolifération aux États-Unis. C'était trop déprimant, j'ai arrêté d'approfondir.» L'entretien prend fin. Alors pas causant le pêcheur? Pas si sûr… Le silure pêché cette année par le Genevois. DR Nos articles sur le lac Léman Newsletter «La semaine genevoise» Découvrez l'essentiel de l'actualité du canton de Genève, chaque semaine dans votre boîte mail. Autres newsletters Fedele Mendicino est journaliste à la rubrique genevoise depuis 2002. Il couvre en particulier les faits divers et l'actualité judiciaire. Plus d'infos @MendicinoF Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.