
Trump a aussi ses vaches sacrées
Dans une corrida, le toréro qui agite sa cape devant un taureau en colère doit s'attendre à ce que la bête gratte furieusement le sol avant de foncer droit sur la cible.
Le Canada ne l'a peut-être pas réalisé, mais il a brandi ce genre de cible devant Donald Trump en adoptant, en juin dernier, le projet de loi C-202 qui interdit d'ouvrir davantage le marché canadien du lait, de la volaille et des œufs à la concurrence étrangère.
Pressé par le Bloc québécois, le gouvernement Carney s'est lié les mains avant même de commencer à négocier. Ah ! non, pas question de toucher à la gestion de l'offre ! Peu importe le prix à payer pour le reste de l'économie !
Maintenant, on ne peut pas s'étonner que le président américain fasse monter les enchères en attaquant nos agriculteurs à coups d'arguments fallacieux, pour obtenir davantage de concessions ailleurs.
Il vient encore de reprocher au Canada de faire payer « jusqu'à 400 % » de droits de douane aux producteurs laitiers américains. C'est faux. Mais c'était spécifiquement écrit dans son insolente lettre menaçant le Canada de droits de 35 % tous azimuts à partir du 1er août.
Ce que Donald Trump se garde bien de dire, toutefois, c'est que les États-Unis ont aussi leurs vaches sacrées.
Quand on prend un pas de recul, on s'aperçoit que le soutien aux producteurs agricoles est à peu près équivalent au Canada (8,5 % des recettes brutes de l'industrie) et aux États-Unis (8,1 %).
Oui, le Canada couve son industrie des œufs, de la volaille et du lait avec la gestion de l'offre.
Mais de leur côté, les États-Unis protègent allègrement leur industrie du sucre raffiné en restreignant les importations. Au-delà de quotas très limités, des droits de douane de 482 $ la tonne sont imposés sur le sucre étranger, alors que le Canada applique des droits de seulement 31 $ la tonne 1.
Ces mécanismes de contrôle du marché font en sorte que les consommateurs paient plus cher. Pour le sucre américain, le soutien indirect représentait 42 % des recettes brutes agricoles, en 2021-2023. Pour le lait canadien, le soutien équivalait à 27 %. Quand même beaucoup moins2.
Mais il faut avouer que le Canada paraît anachronique, alors que la plupart des pays abandonnent la gestion de l'offre.
Cette protection contre la concurrence étrangère sonne faux de la part d'un pays comme le nôtre qui se veut un apôtre du libre-échange sur la scène mondiale et qui est un grand exportateur de toutes sortes d'autres produits agricoles, comme le porc.
Vestige des années 1970, la gestion de l'offre est l'inverse du libre marché. Les agriculteurs doivent respecter des quotas de production établis en fonction de la demande intérieure ; les prix de vente sont fixés selon les coûts de production ; et des droits de douane limitent les importations, au-delà d'un certain seuil (que les producteurs laitiers américains n'ont jamais dépassé).
Au final, on s'organise pour qu'il n'y ait pas trop de surplus au Canada, mais on exporte très peu. Fair enough.
Mais Donald Trump ne l'entend pas ainsi.
Aux États-Unis, les programmes d'aide gouvernementale alimentent la surproduction. Quand il y a trop de lait, les Américains misent sur l'exportation pour écouler leur marchandise. Et ils voient le Canada comme un marché potentiel… alors que nos politiques publiques sont conçues pour limiter les surplus et les exportations.
Bref, les deux systèmes sont en contradiction, ce qui explique les tensions constantes.
Dans un camp comme dans l'autre, les politiciens restent campés sur leur position, par crainte de perdre les précieux votes des agriculteurs.
Même si les États-Unis sont affligés par la surproduction et la volatilité des prix, blâmer le Canada est une stratégie moins risquée sur le plan électoral que de proposer des réformes en profondeur dans leur propre industrie, explique l'ouvrage L'Amérique d'abord, le Canada ensuite3.
De même, pour les politiciens canadiens, il est plus facile de se poser en défenseur absolu de la gestion de l'offre que d'admettre que le système mériterait d'être revu et corrigé.
L'idée n'est pas de livrer nos filières du lait, des œufs et de la volaille en pâture à la concurrence étrangère, sans considération pour notre souveraineté alimentaire ou l'occupation du territoire.
Mais on peut poursuivre ces objectifs avec des moyens causant moins de distorsion que le système actuel qui fausse les règles du marché et fait augmenter les prix pour les consommateurs, comme le souligne l'OCDE.
L'organisme estime qu'une révision de la gestion de l'offre permettrait « des gains d'efficience et une diversification de la production en privilégiant les produits à plus grande valeur ajoutée ». Cela encouragerait les filières du lait, des œufs et de la volaille à être plus réactives et innovantes.
Nous y reviendrons plus en détail dans un autre éditorial.
Il aurait été préférable de discuter de tout cela entre nous, dans le cadre d'une réflexion collective avec tous les intéressés. Mais faute de volonté politique, nous sommes maintenant confrontés aux menaces tarifaires de Washington.
Donald Trump veut mettre fin à la gestion de l'offre, sans reconnaître que les États-Unis font eux-mêmes preuve de protectionnisme alimentaire. Il veut gagner, sans rien perdre. Et il ne se gêne pas pour envoyer paître le Canada.
1. Lisez le compte-rendu de la Politique canadienne sur le sucre réalisé par l'Institut canadien du sucre
2. Consultez le rapport « Politiques agricoles : Suivi et évaluation 2024 », de l'OCDE
3. Frédérique Verreault, L'Amérique d'abord, le Canada ensuite, Les Presses de l'Université de Montréal, 2024, 235 pages
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