
«Face à Trump, l'Afrique doit changer de méthode»
Jemal Taleb est avocat de l'État de Mauritanie.
À découvrir PODCAST - Écoutez le club Le Club Le Figaro Idées avec Eugénie Bastié
Ils étaient cinq. Cinq chefs d'État africains à avoir répondu, début juillet, à l'invitation du président américain Donald Trump pour une rencontre organisée à la Maison-Blanche. Le Liberia, la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée-Bissau et le Gabon étaient représentés au plus haut niveau. L'événement, censé renforcer les liens diplomatiques et économiques entre les États-Unis et certains pays d'Afrique subsaharienne, a suscité nombre de commentaires. Non pas tant pour le fond des discussions – dont peu d'éléments ont filtré – mais pour la forme, ou plutôt, pour l'absence manifeste de formes diplomatiques.
Publicité
L'image a fait le tour des réseaux sociaux. On y voit Donald Trump, assis derrière son bureau dans le Bureau ovale, entouré de cinq présidents africains debout, comme figés dans un protocole inversé. À cela s'ajoutent d'autres gestes et propos qui ont dérouté les observateurs : la remarque sur la maîtrise de l'anglais du président libérien Joseph Boakai – alors même que l'anglais est la langue officielle de son pays depuis 1847 –, l'interruption impromptue du président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani alors qu'il s'exprimait.
Certains ont crié à l'humiliation. D'autres ont dénoncé la posture docile de dirigeants africains restés impassibles. Et comme souvent, les procès en indignité ont fusé : trop d'empressement à répondre à l'appel du «maître du monde», pas assez de fierté dans l'attitude. Mais ces critiques passent à côté d'un fait essentiel : la responsabilité première incombe à celui qui invite. Et en l'espèce, c'est bien Donald Trump, président atypique, qui a une fois encore imposé son style brutal.
L'Afrique doit sortir du piège de l'émotion immédiate et se doter des instruments de son affirmation : diplomatie économique, influence culturelle, alliances sélectives
Fallait-il alors s'attendre à un autre comportement vis-à-vis des dirigeants africains ? Probablement pas. Mais il y a, derrière ces maladresses protocolaires, un message implicite que les pays africains doivent prendre au sérieux. Il ne s'agit pas seulement d'un manque de savoir-vivre, mais d'un révélateur d'un changement plus profond : celui d'une reconfiguration des rapports Nord-Sud. Les États-Unis – et plus largement les grandes puissances – ne cachent plus leur préférence pour des relations fondées sur l'intérêt pur, et ne cherchent plus à masquer leur indifférence aux convenances diplomatiques dès lors que cela sert leur agenda stratégique.
Dans ce contexte, les États africains doivent revoir leurs postures. Il ne devrait plus s'agir de quémander une audience ou d'attendre un geste de bienveillance. Le temps des rapports paternalistes, qu'ils soient condescendants ou bienveillants, touche à sa fin. Ce qui se joue désormais, ce sont des partenariats durs, dictés par des logiques d'influence. Et c'est sur ce terrain que les pays africains doivent affirmer leur voix.
Face aux provocations, la tentation est grande d'opter pour le coup d'éclat : répondre publiquement à l'affront, dénoncer haut et fort les manquements, claquer la porte. Mais la diplomatie est aussi l'art du temps long et du sang-froid. Le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani en a offert une illustration remarquable. Interrompu sans ménagement, il n'a pas réagi à chaud, n'a pas riposté en public. Son mutisme a été critiqué, perçu à tort comme de la passivité. Ghazouani est connu pour sa pondération, sa sobriété, sa méfiance des postures excessives. «Affable, à l'écoute, profondément réfractaire à la violence», disait de lui l'opposant mauritanien Ethmane El Yessa. Son homologue sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, a été pointé du doigt pour une attitude jugée trop conciliante. Sa proposition, sur le ton de la plaisanterie, de construire un terrain de golf au Sénégal pour accueillir Donald Trump, a été interprétée par certains commentateurs comme une tentative maladroite de flatter un hôte notoirement insensible aux formes diplomatiques classiques.
À lire aussi Aide humanitaire, droits de douane, immigration... L'Afrique, cible facile de Donald Trump
Publicité
Il est légitime d'attendre du respect. Mais il est tout aussi stratégique de savoir ne pas réagir à chaque offense. À condition, bien sûr, que le silence soit habité, et qu'il s'accompagne d'une défense ferme des intérêts nationaux. L'Afrique doit sortir du piège de l'émotion immédiate et se doter des instruments de son affirmation : diplomatie économique, influence culturelle, alliances sélectives. Il ne s'agit pas d'accepter l'humiliation. Il s'agit de comprendre que la scène mondiale est un théâtre de jeux de pouvoir, où les formes comptent moins que les résultats. Et dans cette arène, les dirigeants africains gagneraient à adopter une diplomatie d'influence, patiente, méthodique, et moins soucieuse de posture que d'impact.
L'épisode de la Maison-Blanche aura donc eu au moins un mérite : rappeler que la courtoisie n'est pas toujours au rendez-vous des puissants, mais que la maîtrise de soi peut être une arme redoutable. Trump, fidèle à lui-même, a «fait du Trump». Aux Africains, désormais, de faire de cette discourtoisie un révélateur – et un levier – pour repenser leur place dans le monde.
Hashtags

Essayez nos fonctionnalités IA
Découvrez ce que Daily8 IA peut faire pour vous :
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment...
Articles connexes


Le Parisien
42 minutes ago
- Le Parisien
Les ministres de la Défense et de l'Environnement du Ghana meurent dans un accident d'hélicoptère
Il avait décollé d'Accra vers 9 heures, heure locale. Ce mercredi matin, l'armée ghanéenne a signalé la disparition d'un hélicoptère militaire transportant cinq passagers et trois membres d'équipage, sans en préciser l'identité. Quelques heures plus tard, la présidence a annoncé la mort d'Edward Omane Boamah, le ministre de la Défense, et d'Ibrahim Murtala Muhammed, le ministre de l'Environnement. Ils se trouvaient à bord de l'appareil et ont péri dans un accident au sud du pays. Toutes les personnes à bord ont été tuées, ont confirmé les autorités, tandis que les médias ghanéens ont rapporté que l'hélicoptère se rendait à un événement sur l'exploitation minière illégale, un problème environnemental majeur dans ce pays d'Afrique de l'Ouest. Parmi les victimes figurent également Alhaji Muniru Muhammad, coordinateur adjoint de la sécurité nationale et ancien ministre de l'Agriculture, ainsi que Samuel Sarpong, vice-président du parti Congrès national démocratique (NDC) du président John Dramani Mahama. La chaîne de télévision locale Joy News a diffusé plus tôt dans la journée des images filmées par un téléphone portable sur les lieux de l'accident, montrant des débris fumants au milieu d'une zone fortement boisée. « Le président et le gouvernement adressent leurs condoléances et leur solidarité aux familles de nos camarades et des militaires tombés lors de leur service pour la Nation », a déclaré Julius Debrah, le chef de cabinet du président, précisant que les drapeaux seraient mis en berne. La présidence a également indiqué que John Dramani Mahama avait suspendu toutes ses activités officielles pour la journée. Des ministres aux missions importantes Nommé en début d'année, Edward Omane Boamah dirigeait le ministère de la Défense à un moment où l'activité djihadiste à la frontière nord du Ghana avec le Burkina Faso connaît une recrudescence. Bien que le Ghana ait jusqu'à présent échappé à la propagation de l'insurrection djihadiste qui sévit dans le Sahel, contrairement à ses voisins le Togo et le Bénin, des experts alertent sur l'augmentation du trafic d'armes et l'infiltration de groupes du Burkina qui utilisent le territoire ghanéen comme base arrière. Le Ghana renforçant ses relations diplomatiques avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger, désormais dirigés par des juntes militaires en rupture avec la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), Edward Omane Boamah avait conduit une délégation à Ouagadougou en mai dernier. Il s'apprêtait à publier un ouvrage intitulé « Un homme de paix dans une démocratie africaine », consacré à l'ancien président John Atta Mills, décédé en 2012. Médecin de formation, Edward Omane Boamah a occupé plusieurs postes au sein du gouvernement ghanéen, notamment celui de ministre des Communications lors du précédent mandat de John Dramani Mahama (2012-2017). À lire aussi Au Ghana, les ravages écologiques et humanitaires des vieux vêtements occidentaux De son côté, Ibrahim Murtala Muhammed, le ministre de l'environnement, était en poste à un moment où le pays lutte contre le fléau de l'exploitation illégale et informelle de l'or, qui ravage les terres agricoles et contamine les eaux.


Le Figaro
an hour ago
- Le Figaro
Guerre en Ukraine : après leur rencontre, Vladimir Poutine et Steve Witkoff préservent les apparences
Réservé aux abonnés Le maître du Kremlin a reçu cordialement l'envoyé personnel de Donald Trump, sans afficher de résultats tangibles. Drôle de ballet diplomatique ce mercredi, entre la Russie et les États-Unis. D'un côté, l'émissaire américain Steve Witkoff débarquait dans la capitale russe, accueilli avec un sourire et un « Welcome » par un Vladimir Poutine, qui ne peut se permettre de « perdre » totalement Washington. L'envoyé de Donald Trump aurait, avant son arrivée au Kremlin, dégusté un « tchébourek » (beignet à la viande) dans un restaurant moscovite, comme le rapportait l'agence RIA Novosti. Dans le même temps, de l'autre côté de l'Atlantique, Trump passait à l'offensive contre Moscou en mettant à exécution sa récente menace de nouvelles sanctions indirectes contre la Russie. Par décret présidentiel, voilà l'Inde, deuxième importateur en volume de pétrole russe, frappée par 25 % de droits de douane supplémentaires (50 % au total) contre ses exportations vers les États-Unis. New Delhi est sanctionné pour n'avoir « que faire », selon Trump, des « victimes civiles en Ukraine ». À 18 heures…


Le Figaro
an hour ago
- Le Figaro
L'armée soudanaise affirme avoir détruit un avion émirati transportant des mercenaires colombiens
L'armée de l'air soudanaise a détruit un avion des Émirats arabes unis convoyant des mercenaires colombiens à son atterrissage dans un aéroport contrôlé par les paramilitaires dans la région du Darfour (ouest), ont rapporté mercredi la télévision d'État et une source militaire. L'appareil «a été bombardé et complètement détruit» lors de son atterrissage à l'aéroport de Nyala, dans le Darfour-Sud, a déclaré à l'AFP la source militaire, sous couvert d'anonymat. Cet aéroport a récemment été visé à plusieurs reprises par des frappes aériennes de l'armée soudanaise, en guerre contre les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) depuis avril 2023.