
Mésopotamies
Au regard des cartes et de l'histoire, le parallèle entre la Mauricie et la Mésopotamie antique est, vous en conviendrez, évident. Le Saint-Maurice et le Saguenay, le Tigre et l'Euphrate, des mégalopoles rivales établies le long de leurs rives, des rois et des reines dirigeant des Royaumes millénaires… Les airs de famille sont si criants que je n'insiste pas davantage ; j'ai quasiment envie de vous dire que je n'invente rien.
Joël Bégin
Auteur et professeur de philosophie, collaboration spéciale
Introduisons-nous un instant dans le mince filet de réel qui subsiste quand on superpose le Québec et l'Irak. Approchons-nous, oui, de la plus prodigieuse cité que le monde ait connue, là où les rois paradent dans des chariots tirés par des bêtes fabuleuses (regardez passer le maire Joseph Edmond Thibodeau – je n'invente rien !), ville de toutes les splendeurs et de l'arrogance qui vient avec, capitale universelle du péché et de la luxure… je parle, bien entendu, de Shawinigan (ou de son équivalent mésopotamien, Babylone ; ou serait-ce plutôt Shawibylone, voire Babynigan ?).
Tendons l'oreille : dans un appartement ouvrier de l'avenue Broadway, un grand-père s'apprête à raconter la naissance du monde à ses petits-enfants.
IMAGES TIRÉES DE GOOGLE EARTH
À gauche, le Saint-Maurice et le Saguenay, au Québec. À droite, l'Euphrate et le Tigre, en Irak, dans une région qui s'appelait autrefois la Mésopotamie.
« Au commencement, tout était plat, dit-il.
C'était bien avant les centrales et les usines de coton, les tavernes et les foires d'exposition ;
Avant que le frère Marie-Victorin ne fonde le jardin botanique suspendu ;
Avant que le premier roi ne meure et qu'on vide les carrières de Lanaudière pour lui faire un tombeau gigantesque, vous savez, la montagne coiffée d'une grande croix qu'on peut voir, par temps clair, jusqu'à Sorel ;
C'était même avant ma naissance à moi, figurez-vous donc. »
PHOTO FOURNIE PAR LE FONDS D'ARCHIVES RENALD BORDELEAU
« Là où les rois paradent dans des chariots tirés par des bêtes fabuleuses… » Joseph-Edmond Thibodeau, maire de Shawinigan de 1915 à 1917.
Les yeux des enfants s'agrandirent, parce que c'était inconcevable : leur grand-père était au moins aussi vieux que le chemin.
« C'était si plat, reprit Pépère, que l'eau savait pas dans quel sens couler. Les deux grandes rivières s'étaient pas encore couchées dans leur lit, elles gigotaient sur le roc comme de gros vers de terre, si bien qu'on pouvait s'endormir les pieds dans l'eau et se réveiller les cheveux mouillés.
« Les dieux finirent par se tanner de planer au-dessus du vide. Ils façonnèrent les humains à partir de gadoue printanière pour leur propre amusement. Ils les regardaient s'aimer et se trahir comme ils le faisaient eux-mêmes. Parmi l'assemblée du ciel, deux jeunes dieux, saint Tite et sainte Thècle, brûlaient d'un amour secret et interdit. Pendant un souper de Noël, on les prit en train de… »
Mémère sortit la tête du cadre de porte et fit un regard mauvais à Pépère, qui voulait dire de surveiller son langage et pis ses images.
« … on les prit à se gratter les oreilles, compléta Pépère. La parenté était en beau joualvert, comprenez-vous. Alors le couple prit la fuite. Saint Tite échappa sa tuque au-dessus de l'Euphrate : mille ans plus tard, on fonda une cité juste à côté. Il pogna la grippe et mourut, au bout de sa fièvre, dans un champ. »
« Morale de l'histoire, cria Mémère de la cuisine, garder son foulard jusqu'en mai. »
Sainte-Thècle, elle, s'allongea à côté du corps de son amoureux et pleura : ses larmes formèrent autant de lacs où on peut maintenant pêcher la truite et de beaux p'tits ménés. On leur fit des églises et on s'installa sur le perron : l'histoire du monde, elle commence ici.
À partir de ce moment-là, tout l'entre-fleuve s'est couvert de villages : ils s'appelaient Matawin, Shannon, Alma, Mékinac.
Parmi eux se mirent à briller des joyaux : les villes, avec leurs palais, leurs temples dorés, leurs marchés aux puces légendaires. Elles devinrent si grosses qu'elles se pétèrent les bretelles et, oups, leurs culottes tombèrent, révélant leurs entrailles obscènes.
Elles devinrent si gigantesques qu'elles finirent par se croire invincibles et immortelles. On construisit la tour de Babel et le barrage de la Gabelle, on fit fumer nuit et jour les cheminées de la Belgo et de Rio Tinto ; les rois et leurs royaumes s'entrechoquaient et remuaient les frontières comme les grands fleuves d'antan, ce qui fait qu'aujourd'hui encore, même si Babynigan ne bouge pas d'un poil, on peut être canayen le matin, canadien le midi, et pis américain le lendemain.
Mais les petits-enfants n'étaient à ce moment-là pas plus shawibyloniens ou babyniganais que Jean Chrétien, parce qu'ils dormaient comme des bûches, accotés les uns contre les autres.
Ils dépassaient rarement le bout du listage des villages et ne se rendaient jamais à la fin, jusqu'à la vraie morale de l'histoire, c'est-à-dire au déluge du Saguenay, châtiment divin pour notre démesure et notre arrogance (vous voyez bien que je n'invente rien).
Pépère, lui, continuait de parler à son public endormi, enivré par le plaisir démiurgique de raconter une fois de plus l'histoire du monde et, surtout, de bercer leurs rêves, des rêves qui, à la manière de notre grand pays lavé par les eaux, seraient oubliés au petit matin.
Qui est Joël Bégin ?
Joël Bégin est né à Louiseville. Après plusieurs années à Québec et à Saguenay, il retourne en Mauricie pour enseigner la philosophie au cégep de Trois-Rivières. Il est l'auteur, chez VLB, de Plessis (prix Robert-Cliche du premier roman 2022 ; finaliste au Rendez-vous du premier roman 2022-2023, Prix des nouvelles voix de la littérature 2024 du Salon du livre de Trois-Rivières). Il aime la philosophie du langage, la littérature de genre et l'histoire politique du Québec, savoirs et influences qu'il tente de fondre en de nouveaux alliages au creuset de la fiction.
1. Lisez la chronique « L'école de la 55 » de Mathieu Bélisle
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