
173 anciens hauts diplomates disent qu'il est temps de reconnaître l'État palestinien
Émilie Bergeron
La Presse Canadienne
« Le Canada a toujours été un fervent défenseur de l'État d'Israël. Toutefois, cela ne peut inclure une dispense lui permettant de renoncer à ses responsabilités en vertu du droit international humanitaire, de protéger les civils », peut-on lire dans une lettre envoyée à M. Carney et relayée mercredi aux médias.
Si le Canada emboîtait le pas à la France en annonçant qu'il reconnaîtra, dans l'immédiat, un État palestinien comme les plus de 140 autres pays qui l'ont déjà fait, cela « indiquerait clairement qu'Israël, dont le gouvernement actuel s'oppose activement à la création d'un État palestinien, n'a pas le droit de veto sur la reconnaissance de la Palestine », écrivent les signataires.
Parmi les auteurs, on retrouve Raymond A.J. Chrétien, ex-ambassadeur qui est également le neveu de l'ancien premier ministre Jean Chrétien.
D'anciens diplomates qui ont travaillé en Israël sont aussi du lot, comme Jon Allen et Lisa Stadelbauer.
La reconnaissance de la Palestine par le Canada renforcerait notre engagement soutenu pour le droit à l'autodétermination du peuple palestinien, et notre rejet de toute tentative de déplacement ou d'expulsion de Palestiniens. Elle créerait un espace politique nécessaire pour préparer le terrain à un processus sérieux de négociation bilatérale.
Extrait de la lettre
Les signataires insistent sur l'urgence qu'un cessez-le-feu soit instauré à Gaza et que l'entrée d'aide humanitaire soit menée sans entraves pour mettre fin à la famine et la malnutrition.
Pour accroître la pression sur le gouvernement israélien, les anciens hauts diplomates proposent des sanctions sévères, notamment que « le Canada notifie à Israël son intention de suspendre l'accord de libre-échange Canada-Israël si le pays continue de manquer à ses obligations en matière de droit international humanitaire ».
La France a été, la semaine dernière, le premier pays du G7 à annoncer qu'il reconnaîtra l'État palestinien en septembre. Face à des appels à faire de même venant notamment de membres de sa propre formation politique, le premier ministre britannique, Keir Starmer, a annoncé mardi que le Royaume-Uni fera de même si Israël ne répond pas à une série de critères.
M. Starmer demande au gouvernement israélien d'accepter un cessez-le-feu et de s'engager dans « un processus de paix à long terme qui aboutisse à une solution à deux États ».
M. Carney, qui rencontrera virtuellement, mercredi après-midi, son conseil des ministres, s'est entretenu avec M. Starmer la veille, notamment au sujet d'une éventuelle reconnaissance de l'État palestinien.
Mardi, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Anita Anand, s'est jointe à une déclaration avec des homologues qui appellent d'autres pays à s'engager à reconnaître l'État palestinien sans fixer d'échéance.
« Nous […] avons d'ores et déjà reconnu l'État de Palestine, avons exprimé ou exprimons la volonté de le faire, ou l'envisageons, ce qui est une étape cruciale vers la solution des deux États, et invitons l'ensemble des pays qui ne l'ont pas encore fait à se joindre au présent appel », peut-on lire dans le texte notamment signé par les ministres des Affaires étrangères de la France, de l'Australie et de l'Islande.
M. Carney a dit lundi qu'Ottawa collaborerait avec ses pairs à la reconnaissance d'un futur État palestinien « qui n'inclut le Hamas dans aucun rôle » et entreprendrait des démarches « au moment approprié ».
Son prédécesseur, Justin Trudeau, avait ouvert la porte à ce que la reconnaissance d'un État palestinien par le Canada se fasse avant l'instauration complète d'une solution à deux États. « Pas nécessairement comme dernière étape », avait-il dit.
Depuis que la France a signalé qu'elle irait de l'avant, dans l'immédiat, avec une telle reconnaissance, plusieurs élus libéraux ont pressé M. Carney à lui emboîter le pas, en plus du Nouveau Parti démocratique qui a réitéré ses appels en ce sens.
La guerre au Proche-Orient perdure depuis l'attaque du 7 octobre 2023 menée par le Hamas.
Les combattants du Hamas ont enlevé 251 personnes lors de cette offensive et en ont tué environ 1200 autres, principalement des civils.
Plus de 59 000 Palestiniens ont été tués pendant la guerre, selon le ministère de la Santé de Gaza. Ce décompte ne fait pas de distinction entre militants et civils, mais le ministère affirme que plus de la moitié des victimes sont des femmes et des enfants. L'ONU et d'autres organisations internationales considèrent cette source de données comme étant fiable.
Avec des informations de l'Associated Press
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21 minutes ago
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Nétanyahou réunit son cabinet de sécurité pour décider des suites de la guerre
Des soldats israéliens près de la frontière de la bande de Gaza, dans le sud d'Israël, le 6 août 2025. Nétanyahou réunit son cabinet de sécurité pour décider des suites de la guerre (Jérusalem) Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou réunit jeudi en fin d'après-midi son cabinet de sécurité pour décider des suites de la guerre dans la bande de Gaza, où l'extension des opérations de l'armée israélienne semble acquise, malgré les cris d'alarme des familles d'otages. Agence France-Presse « Poursuite du blocus ou conquête de Gaza », « Le moment de décider », résume jeudi la presse israélienne, qui donne pour acquis un élargissement des opérations de l'armée, jusqu'à une conquête totale du territoire palestinien. Le cabinet de sécurité, responsable des questions militaires, se réunira à 18 h locales (11 h heure de l'Est), selon la presse nationale. Le matin même, une vingtaine de proches d'otages ont pris place à bord d'au moins trois embarcations parties du port d'Ashkelon (sud d'Israël) et se sont symboliquement rapprochés des côtes de Gaza pour lancer un cri d'alarme : « Mayday ! Nous avons besoin de toute l'aide internationale pour secourir les otages », ont-ils supplié, jetant des bouées à la mer et criant les noms des captifs du Hamas. PHOTO AMIR COHEN, REUTERS Les familles des otages détenus à Gaza à bord d'un bateau pour rejoindre la frontière maritime de Gaza, afin de réclamer la libération immédiate des otages et la fin de la guerre, le 7 août 2025. Le cabinet de sécurité devrait discuter et approuver un plan visant « à conquérir l'ensemble de la bande de Gaza, y compris la ville de Gaza et les camps de réfugiés » situés dans la bande centrale du territoire, affirme ainsi la radio nationale Kan, qui estime que « l'opération durera cinq mois et nécessitera une mobilisation massive de réservistes ». « Kibbush » L'armée israélienne occupe ou opère actuellement au sol dans près de 75 % de la bande de Gaza, principalement depuis ses positions permanentes dans le territoire le long de la frontière. Elle bombarde partout où elle le juge nécessaire. Selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA), 87,3 % du territoire est militarisé par Israël et soumis à des ordres d'évacuation. Les zones non occupées sont aussi les plus peuplées : les villes de Khan Younès et Gaza, les camps de réfugiés de Deir al Balah, dans le centre du territoire. Après près de 22 mois d'une guerre dévastatrice déclenchée par une attaque sanglante du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, la bande de Gaza assiégée par Israël est menacée d'une « famine généralisée » selon l'ONU et est totalement dépendante de l'aide humanitaire, toujours distribuée en quantités largement insuffisantes selon les humanitaires. Quelque 2,4 millions de Palestiniens vivent au quotidien sous les bombes dans cet étroit territoire long de 41 kilomètres et large de six à 12 kilomètres, le long de la côte méditerranéenne. PHOTO DAWOUD ABU ALKAS, REUTERS Des Palestiniens inspectent le site d'une frappe israélienne nocturne sur une maison, à Gaza, le 7 août 2025. Israël avait déjà occupé Gaza en 1967 et implanté un ensemble de 21 colonies israéliennes. Ces colonies ont été démantelées en 2005 avec le retrait unilatéral décidé par le premier ministre d'alors, Ariel Sharon, après 38 ans d'occupation. Mardi, le premier ministre Nétanyahou a réaffirmé les objectifs de guerre fixés à l'armée : « vaincre totalement l'ennemi à Gaza, libérer tous nos otages et s'assurer que Gaza ne constituera plus une menace pour Israël ». « Il n'est pas du tout clair ce que le gouvernement de Benyamin Nétanyahou entend par 'occupation complète' », relève le Times of Israël, à quelques heures des discussions du cabinet de sécurité. « La terminologie hébraïque, utilisant le mot 'kibbush', permet plusieurs interprétations, allant d'un contrôle militaire à court terme de l'ensemble de la bande, dont environ 75 % sont actuellement tenus par l'armée, à une domination militaire israélienne à long terme et à un possible retour des colonies juives », décrypte le quotidien. Ce qui est relativement clair en revanche pour les médias israéliens, ce sont les réserves, voire l'opposition du chef d'état-major de l'armée à un tel plan d'occupation. « Mort et destruction » Si le lieutenant-général Eyal Zamir, nommé en mars dernier par Nétanyahou, ne s'est pas exprimé publiquement, la presse n'a de cesse ces derniers jours de relayer ses mises en garde à l'exécutif contre le « piège » que serait une occupation totale de Gaza, et le danger qu'elle ferait peser sur la vie des otages. L'armée israélienne devra « exécuter » les décisions politiques, a balayé à ce propos mercredi le ministre de la Défense, Israël Katz. L'opinion israélienne s'alarme toujours plus du sort des 49 otages encore retenus à Gaza, dont 27 sont déclarés morts par l'armée. La diffusion par le Hamas et le Djihad islamique de vidéos de propagande montrant deux d'entre eux, très affaiblis et amaigris, ont suscité colère et émotion en Israël, mais aussi à l'étranger. Le Forum des familles, principale organisation représentant ces familles, en a appelé solennellement au chef d'état-major Zamir avant la réunion de ce soir : « ne contribuez pas au sacrifice des otages ! », alors que « 80 % de la population est favorable à un accord global » en échange du retour des otages, a affirmé cette organisation. Du côté palestinien, une extension des opérations de l'armée « signifie plus de destruction et de mort », s'inquiète Ahmad Salem (45 ans), résident du camp de réfugiés de Jabalia, interrogé par l'AFP. « Nous vivons chaque jour avec anxiété et peur de l'inconnu. […] Il n'y a aucun endroit sûr à Gaza. Si Israël commence et étend ses opérations terrestres à nouveau, nous serons les premières victimes […] Nous ne pouvons pas en supporter davantage ». Dans Gaza, un porte-parole de la Défense civile, Mahmoud Bassal, a fait état de la mort de 33 personnes tuées depuis l'aube par des frappes ou des tirs israéliens, dont huit qui attendaient de l'aide dans le corridor de Moraj, dans le sud.


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Une association de pompiers demande la création d'une agence nationale de coordination
L'année 2025 pourrait passer à l'histoire comme étant l'une des pires au chapitre des feux. (Ottawa) Ottawa doit cesser d'étudier l'idée d'une agence nationale de coordination en cas d'incendies de forêt et doit passer à l'action, croit l'Association canadienne des chefs de pompiers. Émilie Bergeron La Presse Canadienne « Nous appellerons ça comme ils le veulent. Nous avons seulement besoin que ce soit mis en marche », lance en entrevue le président de l'organisation, Ken McMullen. L'Association canadienne des chefs de pompiers (ACCP) souhaite que le Canada s'inspire d'une composante de l'agence américaine de gestion des catastrophes, connue par son acronyme FEMA, plutôt que d'en reproduire l'entièreté. « FEMA est une grosse, grosse, grosse machine qui administre des centaines de millions de dollars et programmes. […] Notre modèle est beaucoup plus simple, moins coûteux », dit M. McMullen. Plus précisément, l'ACCP demande à ce que le gouvernement fédéral se dote d'un bureau d'administration des feux, soit une version canadienne du « US Fire Administrator ». Ce bureau, qui pourrait être composé d'une à deux personnes, s'assurerait que la dispersion de personnel et d'équipement est appropriée partout au pays dans l'éventualité d'incendies de forêt. Ce bureau permettrait aussi aux services de sécurité et incendies d'être à la table de discussion au sujet de politiques gouvernementales qui peuvent, indirectement, avoir un impact sur les incendies. M. McMullen donne en exemple la volonté d'Ottawa d'accélérer la construction de logements. « On entend des choses comme 'Nous devons construire davantage, nous devons construire plus vite et à moindre coût'. Ce que nous n'entendons pas, nous, les chefs de pompiers, c'est que nous devons construire de façon à réduire les risques », déplore-t-il. Le gouvernement canadien étudie depuis plus de deux ans la possibilité de créer une agence d'intervention ou de coordination en cas de catastrophes. La réflexion a commencé dans la foulée de la saison record des incendies de forêt survenue à l'été 2023. L'année 2025 pourrait aussi passer à l'histoire comme étant l'une des pires au chapitre des feux. « C'est prévisible et c'est possible de faire de la prévention de façon différente. Alors nous devons faire un meilleur travail et il n'est pas question de mener des études. L'information est déjà là. Nous devons seulement nous activer et prendre des décisions », tranche M. McMullen, qui est aussi pompier en chef à Red Deer, en Alberta. Selon lui, la tenue des récentes élections fédérales et l'entrée en scène d'un nouveau premier ministre qui a formé, il y a à peine quelques mois, son gouvernement, ont entraîné des délais. L'ACCP n'a pas encore rencontré la nouvelle ministre de la Gestion des urgences, Eleanor Olszewski, mais a échangé avec son bureau. Le ministère de la Sécurité publique a déclaré à La Presse Canadienne que la ministre Olszewski « collaborera étroitement avec ses collègues du cabinet pour explorer et faire avancer des options visant à améliorer la coordination et la capacité d'intervention au niveau fédéral ». Au cours des deux dernières années, Ottawa a étudié divers modèles qui existent dans le monde et a rencontré des experts en gestion des urgences, a-t-on indiqué. « Ces discussions préliminaires ont révélé que toute solution doit refléter les réalités de la fédération canadienne, notamment le leadership des provinces, des territoires, des collectivités locales et des gouvernements autochtones quant à la gestion des situations d'urgence, peut-on lire. Les travaux réalisés à ce jour permettent de définir l'approche développée par le gouvernement actuel. » Sous l'ancien gouvernement de Justin Trudeau, M. McMullen a pu échanger à maintes reprises avec l'ex-premier ministre et des membres de son équipe, mais il note que « ça n'est pas arrivé du jour au lendemain ». « Ça prend beaucoup de temps pour développer des relations », estime-t-il. Or, il a senti que M. Trudeau avait la volonté d'acquiescer à la demande de l'ACCP de créer un bureau national d'administration des feux. « Dire que nous avions espoir à la fin de 2024, c'est probablement un euphémisme. Nous étions extrêmement optimistes », résume le président de l'ACCP. Or, la démission de M. Trudeau, sa prorogation du Parlement, la tenue d'élections, puis la formation d'un nouveau gouvernement ont mis le projet sur la glace, a-t-il raconté. M. McMullen espère que le dossier avancera dès cet automne, avec la reprise des travaux parlementaires.


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Première peine adaptée aux criminels racisés
La juge Magali Lepage a imposé une peine plus clémente à Frank Paris après avoir lu une « évaluation de l'incidence de l'origine ethnique et culturelle ». Je résume la nouvelle de La Presse qui a fait sourciller beaucoup de gens, mercredi : un homme noir a reçu une peine plus légère parce que les Noirs font l'objet d'obstacles systémiques qui n'affligent pas la moyenne des Québécois. Titre de l'article de Thomas Emmanuel Côté : « Une première peine adaptée aux criminels racisés au Québec1 ». Frank Paris, défendu par le criminaliste Andrew Galliano, a plaidé coupable à des accusations de trafic de cannabis et de haschich : il en postait dans le Grand Nord pour une clientèle inuite, dans des villages où la dépendance fait des ravages. La juge Magali Lepage lui aurait normalement imposé une peine de 35 mois de prison. Mais elle a ramené ça à 24 mois d'emprisonnement après avoir lu une « évaluation de l'incidence de l'origine ethnique et culturelle » de Frank Paris, une EIOEC. Les EIOEC nous viennent de Nouvelle-Écosse, où l'importante communauté noire a historiquement vécu toutes sortes de formes de racisme. C'est dans la province atlantique que les juges ont commencé à s'inspirer des EIOEC pour déterminer des peines. L'idée : prendre en compte l'appartenance d'un coupable à sa communauté historiquement discriminée avant de décider de la peine à lui imposer. Frank Paris est noir, les Noirs vivent du racisme dans ce pays : cela devient un critère dans l'établissement de sa peine de prison. Rien n'oblige les juges à utiliser le filtre des EIOEC. La juge Magali Lepage a été la première magistrate québécoise à le faire. Je note que le gouvernement Trudeau, en 2021, a soutenu la propagation de cet outil avec une subvention annuelle modeste (1,6 million). Je ne trouve pas saugrenu que le parcours de vie d'une personne coupable d'un crime fasse partie des critères – je n'ai pas dit soit LE critère – pris en compte quand une juge prononce une sentence. Donc, j'ai lu l'EIOEC consacrée à Frank Paris par les assesseures Natalie Hodgson, Barb Hamilton-Hinch et Nicole Mitchell*… Et ça faisait longtemps que je n'avais pas lu quelque chose d'aussi mal foutu ! Nous sommes devant un fourre-tout socioculturel, criminologique et psychologique – malgré les nombreuses références à des études savantes – donnant l'impression d'un charabia plus ésotérique que scientifique. Le rapport s'attarde d'abord sur le quartier où Frank Paris a grandi, Côte-des-Neiges. C'est un quartier pauvre, violent et ce quartier a « sans aucun doute » forgé la trajectoire de vie de M. Paris, nous apprennent les autrices. Bon, jusqu'ici, on peut comprendre… Cependant, nous apprend le rapport, M. Paris était bon élève, il excellait à l'école. Pourquoi n'a-t-il pas fini son secondaire ? Je cite : « Il n'a pas eu de succès pour réussir son cours de français obligatoire. Cela l'a poussé à prendre une année de congé, et il a fini par être impliqué dans la vente de drogues, et le résultat fut qu'il a été en prison. » Ce qui m'a frappé ici, ce sont les mots choisis. Notez comme la forme est passive : he ended up getting involved in selling drugs. Pas « il a vendu de la drogue », non : il a fini par être impliqué dans la vente de drogues. Le reste du rapport est à l'avenant : les revers judiciaires de M. Paris, pour les autrices de cette EIOEC, ne semblent jamais être le fruit de ses mauvaises décisions, mais uniquement le fruit d'une société raciste qui l'a poussé – malgré lui, on le devine entre les lignes – à devenir un dealer. Restons dans la forme passive, où Frank Paris semble devenir criminel malgré lui, comme quand les autrices qui ont éclairé la juge Lepage soutiennent qu'il n'a pas « récidivé », non, non, il a plutôt eu « des expériences préalables de récidivisme » ! Autre exemple d'un choix de mots bien commode pour décrire la difficulté de Frank Paris à conserver un emploi : « En 2013, M. Paris a fait un séjour en prison qui a perturbé sa trajectoire d'emploi. » Aux autrices de l'EIOEC, Frank Paris le dit : il était bon à l'école. Un ami témoigne : le meilleur de sa classe ! Mais bon, ce foutu cours de français l'a empêché d'avoir son diplôme de secondaire V. Qu'importe, alors qu'il était en prison, il a terminé son secondaire V. Et il a commencé des cours au cégep Marie-Victorin, toujours de la prison. En maison de transition, Frank Paris suit même des cours au collège Dawson, mais il finit par abandonner, n'aimant pas son programme. Qu'importe : les autrices de l'EIOEC décrivent quand même Frank Paris comme un décrocheur (drop out)… Et elles nous abreuvent de statistiques sur le fait que les jeunes Noirs canadiens sont surreprésentés chez les décrocheurs. Ce qui est vrai, ce qui est un problème. Mais permettez cette question plate : si M. Paris a fini son secondaire, s'il a commencé des cours de cégep en prison, s'il en a suivi d'autres en dehors de la prison… peut-il être considéré comme un décrocheur ? Je pensais qu'un décrocheur, selon la définition admise, concernait le décrocheur du secondaire. Pas dans ce rapport ! Quant à l'école, le rapport le dit en toutes lettres : le jeune Frank Paris a apprécié son école secondaire (et son école primaire). Il avait des camarades noirs, des profs noirs et un directeur noir : « Il nous a dit ne pas avoir vécu de racisme ni au primaire ni au secondaire. » Bonne expérience, donc ? Que nenni ! M. Paris a dit aux assesseures qu'avant son entrée au secondaire, il avait entendu parler de tensions raciales à la Northmount High School, école de Côte-des-Neiges aujourd'hui disparue : « Il nous a dit qu'avant son arrivée à l'école secondaire, nombre d'élèves blancs avaient quitté l'école et que c'était devenu un établissement à prédominance noire. Il présume que les élèves blancs ont quitté l'école pour s'éloigner des élèves noirs. » Le rapport cite un article du journal The Gazette à l'appui de cette explication – que des élèves blancs auraient quitté la Northmount High School pour s'éloigner des élèves noirs. Or, je suis allé lire l'article de la Gazette2, publié en 2019… Et rien n'y indique que l'école Northmount s'est vidée d'élèves blancs craintifs face aux élèves noirs, dans les années 1980. On y mentionne que la composition démographique du quartier avait changé, que la moitié des élèves du quartier étaient de descendance caribéenne… Ce que l'article de la Gazette dit aussi, mais que les autrices de l'EIOEC omettent commodément de dire (c'était pourtant dans le paragraphe même qu'elles citent !), c'est que si le profil démographique de l'école Northmount avait changé, c'était à cause de la loi 101, qui avait forcé des élèves à aller se scolariser en français… dans d'autres écoles. Mais qu'à cela ne tienne : Frank Paris pense que des élèves blancs ont quitté son école secondaire pour ne pas fréquenter des élèves noirs, donc pour les autrices de l'EIOEC, cela devient un « fait ». Et ce « fait » a nui au jeune Paris, notent les autrices avec empathie : « Cela a teinté sa perspective sur la façon dont la société voit les personnes noires. » Il y a aussi des passages proprement bizarres dans l'EIOEC citée par la juge Lepage. On se demande ce que certains détails foutent là… On s'égare sur la disparition tragique du petit Montréalais Ariel Jeffrey Kouakou, 10 ans, le 12 mars 2018, pour montrer que les disparitions d'enfants noirs sont traitées avec légèreté par la police canadienne… Sans citer de preuves statistiques. On cite des preuves américaines. On décrit Frank Paris comme un homme à femmes, ce qui a indisposé sa fiancée, avec laquelle on sympathise, bien sûr, mais… Mais que fait ce détail dans un rapport destiné à une juge qui doit établir une peine de prison ? On décrit aussi Frank Paris comme un homme toujours prêt à aider sa communauté. La preuve ? « Il est souvent capable de mettre les gens en lien avec ce dont ils ont besoin (recommandation de garages pour des réparations, de restaurants…). » Je n'invente pas ça : les autrices de cette « évaluation de l'incidence de l'origine ethnique et culturelle » ont pris la peine de souligner que M. Paris est généreux de ses recommandations pour des garages et des restos ! M. Paris a raconté aux assesseures Natalie Hodgson, Barb Hamilton-Hinch et Nicole Mitchell qu'une des belles périodes de sa vie fut autour de 2002, quand il avait un studio où il faisait de la musique dans la Petite-Bourgogne. Un studio portes ouvertes où les enfants venaient expérimenter avec cette récente invention, l'internet : il redonnait ainsi à la société, disent les autrices de l'EIOEC consacrée à Frank Paris. La suite du paragraphe est hallucinante de déresponsabilisation : « Bien que M. Paris ait cru qu'il servait sa communauté d'une façon positive en donnant une tribune aux artistes et l'accès à l'internet, il y vendait aussi des substances illicites. En rétrospective, M. Paris croit qu'il aurait dû cesser de vendre de la cocaïne à cette époque… » Et c'est comme ça sur 44 pages, cette « évaluation de l'incidence de l'origine ethnique et culturelle », j'en passe et des meilleures : tout est la faute de la société, rien n'a jamais été, rien n'est et ne sera jamais la faute de Frank Paris. S'il commet des crimes, si la récidive lui tombe dessus à répétition, c'est parce qu'il est noir dans une société anti-black. Et handicapé, mais ça me prendrait une autre chronique pour vous expliquer cette intersectionnalité fascinante qui pousse aussi M. Paris à la criminalité. Bref, je ne sais pas si les « évaluations de l'incidence de l'origine ethnique et culturelle » nées en Nouvelle-Écosse sont toujours de la bullshit, mais celle de M. Frank Paris, la première utilisée par une juge au Québec, m'apparaît comme ça et juste ça : de la bullshit pur jus. * Barb Hamilton-Hinch, vice-rectrice adjointe à la diversité et à l'inclusion de l'Université Dalhousie, et Natalie Hodgson sont rattachées à l'African Nova Scotian Justice Institute, une organisation qui offre du soutien juridique à la communauté noire de la Nouvelle-Écosse et a développé une spécialité dans les EIOEC. Nicole Mitchell est affiliée au Viola Desmond Justice Institute, qui offre aussi des EIOEC et dont l'objectif est de contribuer à l'émergence d'un système de justice « équitable et libre de toute discrimination ou racisme envers la communauté noire ». 1. Lisez l'article « Une première peine adaptée aux criminels racisés au Québec » 2. Lisez l'article « History Through Our Eyes: April 7, 1979, Northmount High School » de la Montreal Gazette (en anglais)