Fausses licences sportives : l'incroyable histoire du « Bernard Tapie de l'Indre »
Le foot rendrait-il fou au point de risquer une peine de prison pour fausser la sincérité d'un Championnat amateur... de troisième division de district ? Éclabousser la réputation d'un village et de son maire ; se faire qualifier, pour de longues années encore, de « tricheurs » par tous ses adversaires ; voir ses bénévoles voués aux gémonies, se dégoûter du ballon rond, pressurisés par la police et la gendarmerie au point de ne plus en dormir... En 2015, le petit village de Saint-Août (Indre) a vécu un véritable cauchemar, chroniqué par les journalistes de la presse régionale, qui lui firent les honneurs de la Une de la Nouvelle République.
Équipes éliminées de toutes les compétitions, cadres du club forcés à la démission par la Ligue et menacés de poursuites pénales : l'histoire vient de trouver son apogée devant la Cour de cassation, laquelle a considéré, le 13 mai 2025, que la Fédération française de football s'était à raison constituée partie civile et qu'elle avait bel et bien subi un préjudice. Il existe deux récits de cette improbable histoire. Celui de la FFF et de la justice, selon lequel plusieurs joueurs de niveau supérieur auraient évolué pour le club de Saint-Août grâce à des pièces d'identité falsifiées, dans le but de faire du club un prétendant à la montée.
Et celui de l'entraîneur, Ludovic D., soupçonné d'usage de faux, d'après qui ces accusations sont à se « tordre de rire ». « Tout le monde était au courant », se défend-il encore aujourd'hui, dix ans après les faits ; assurant avoir fait un « boulot extraordinaire », notamment en venant en aide à des jeunes footballeurs d'origine africaine pour leur assurer un avenir. La triche, d'un côté. L'abnégation, la générosité, l'altruisme, de l'autre. Alors, qui croire ? Il n'y a qu'à se plonger dans l'aventure des saisons 2014-2015 pour tenter de comprendre de quoi il retourne.
Ludovic D. organise un match dans l'Indre... avec la sélection du Tchad
À l'époque, Saint-Août, en D3, cartonne. L'équipe est en grande progression, note la Nouvelle République, grâce à un nouvel entraîneur, Ludovic D., 54 ans, qui, précisent les journalistes, travaille avec la fédération de la République du Tchad. L'entraîneur exagère volontiers une amitié qui l'a lié, il y a des années, au sélectionneur du Tchad, le Français Emmanuel Tregoat. Une rencontre a certes bien eu lieu, dans l'Indre, en 2015, à l'initiative du coach de Saint-Août, entre des internationaux du Tchad résidant eu Europe et d'anciennes gloires sénégalaises. « Je recherchais des matches amicaux, et c'était une bonne occasion de faire de la détection sur des joueurs », se souvient Tregoat. Ludovic D. est arrangeant, organise des transports depuis Paris, trouve l'hébergement, le très beau domaine des Dryades.
Tregoat nie être un proche de Ludovic D. mais en garde un bon souvenir : « Après le match, on était passé chez lui avec Maurice Bouquet (joueur de Ligue 1 entre 85 et 95) pour boire rapidement un verre. Du peu que je le connaisse, c'était quelqu'un de respectable. Il n'a, de ce que je sais, jamais fait venir des joueurs pour les vendre. Il les utilisait pour son club de Saint-Août, pas pour un enrichissement personnel. » Le match vaudra tout de même au sélectionneur du Tchad (2014-2015 et 2019-2020) une brève convocation à l'hôtel de police de Lille, les gérants de l'hôtel des Dryades s'étant plaints de ce que deux joueurs trouvés par Ludovic D. et ayant participé à la rencontre aient apparemment vidé le minibar de leur chambre sans payer...
Toujours est-il que sur la scène locale, Ludovic D. tire de cet événement prestige et aura. « Tombés avec les honneurs », écrit la Nouvelle République le 7 décembre 2015, alors que les Saint-Aygulphins, leaders de leur Championnat, viennent de se faire éliminer aux tirs au but face à Contres (PH) en Coupe du Centre, après avoir sorti une équipe de niveau régional au tour précédent. Les journalistes ne le savent pas encore, mais cela fait plusieurs semaines que les prestations du club étonnent chez les concurrents. « Un mec de la Châtre a été jaloux et a mis un flic sur l'affaire qui est venu et a fait une vérification des papiers de chacun (...) », se convainc Ludovic D. Qui ajoute : « Est-ce qu'on a triché ? Qu'est-ce qu'on a fait de mal ? Des jaloux ! »
« Un jour pour un match à Saint-Août, il y avait 10 blacks pour un blanc dans l'équipe »
Brahim I., jeune footballeur d'origine africaine qui jouait sous une fausse identité
En réalité, à en croire les procès-verbaux de l'enquête, les premières incompréhensions viennent de l'équipe elle-même. Devant les enquêteurs, la secrétaire du club s'étonne du nom des joueurs recrutés et de leur origine géographique. Entendu par les gendarmes de Neuvy-Saint-Sépulcre, un temps chargés des investigations, Brahim I., un des footballeurs africains régulièrement sur le terrain, renchérit : « Un jour, pour un match à Saint-Août, il y avait 10 blacks pour un blanc dans l'équipe ». Sur de nombreuses pelouses françaises, c'est une phrase qui ne choquerait pas, tant le football nous a habitués à la diversité. Mais en 2015, dans ce petit village rural de l'Indre de moins de 1 000 habitants, l'assertion sonne comme une anomalie.
Devant les enquêteurs, Brahim I. accable l'entraîneur de l'équipe, Ludovic D., qui a recruté à tour de bras des joueurs de bon niveau, d'origine africaine et évoluant en région parisienne. Les footballeurs sont plus ou moins en règle au niveau de leurs papiers d'identité, mais qu'importe : il les fait évoluer sous de fausses identités, de fausses licences sportives, leur permettant de jouer dans plusieurs Championnats, parfois enregistrés sur deux feuilles de match le même week-end, accuse-t-il. Brahim lui-même jouera entre 5 à 10 matches à Saint-Août sous la fausse identité « Ibrahim ». « Je n'étais pas d'accord, je savais que cela allait m'attirer des ennuis. Ludovic D. m'a dit qu'il n'y avait pas de problème. (...) Il m'a même déclaré que sa fille de 15 ans allait ajouter un "i" au stylo pour que ça fasse plus vrai car elle est jeune comme moi. »
C'est un possible délit mais aussi une violation des règles de l'équité : tout joueur évoluant dans une certaine division doit normalement obtenir une autorisation s'il souhaite jouer dans un niveau inférieur. Lorsqu'elle s'en aperçoit, la Ligue Centre-Val-de-Loire agit vite : « Saint-Août, le club de football suspendu », lit-on en Une de la Nouvelle République, le 16 décembre 2015. Brahim I. (sous le coup de deux cartons jaunes) est également soupçonné d'avoir joué sous une autre identité, Francisco M., transformé en Francisco F. pour l'occasion. Les soupçons d'usurpation et de falsification d'identité se portent sur six joueurs, selon la Nouvelle République. Interrogé à l'époque, le coach Ludovic D. affirme être un « simple intermédiaire bénévole » qui n'aurait pas les moyens de « détecter les tricheries ». Il n'est, soutient-il, pas à l'origine de la fraude.
Localement, l'affaire fait grand bruit, et cela bavasse tellement sur les zincs de l'Indre que le Renseignement territorial s'en mêle et mène une enquête parallèle. Quelques jours plus tard, en janvier 2016, le RT conclut à l'existence de nombreuses anomalies non seulement sur les passeports et licences sportives, mais également sur les certificats médicaux produits. En février 2016, la commission de discipline de la Ligue frappe fort : Anthony M., le président bénévole, est suspendu trois ans, comme le coach Ludovic D. (la sanction passera en appel à un an et demi pour le premier, cinq pour le second). Un autre dirigeant écope de 6 mois. Les footballeurs pour lesquels une fraude a été identifiée sont suspendus jusqu'à trois ans. L'équipe première reçoit interdiction de jouer pendant toute la saison 2015-2016.
« Les représentants de la fédération constataient qu'au bénéfice de ces licences obtenues sous de fausses identités (...), certains des joueurs concernés avaient, à plusieurs reprises, joué deux fois le même week-end, voire deux fois le même jour à la même heure », lit-on dans l'arrêt de la Cour d'appel d'Orléans, rendu en avril 2024. Au moment des faits, tous les joueurs nient une quelconque fraude et assurent avoir remis en toute confiance leurs papiers d'identité à Ludovic D., afin qu'il puisse faire des photocopies et monter leurs dossiers de licence. À l'automne 2016, l'un d'entre eux, Francisco M., dépose plainte. Il assure s'être rendu à l'été 2015, avec deux footballeurs sénégalais, au domicile de Ludovic D., qui leur aurait assuré être le futur président du club de Blois, alors aux portes du National.
Selon son récit, Ludovic D. lui aurait fait miroiter un contrat au club de Blois et un autre pour un travail de magasinier dans sa propre entreprise dans le bâtiment. Francisco M. n'aura aucune nouvelle, ni de Blois ni de Ludovic D., jusqu'à ce qu'en décembre 2015, sa suspension d'un an lui soit notifiée. Pour le joueur, aucun doute : le coach de Saint-Août a utilisé des photocopies de ses papiers d'identité pour créer à son insu une fausse licence au nom de Francisco F. En septembre 2016, la Fédération française de football décide de marquer le coup et, par l'intermédiaire de son président Noël Le Graët, dépose plainte elle aussi. Elle dénonce des faits d'escroquerie, de faux en écriture privée et d'usage de faux.
Licences sportives basées sur des documents d'identité falsifiés et ordonnances médicales vierges
Trois mois plus tôt, le président bénévole du club, Anthony M., a décidé de passer à table, la pression étant trop forte. Le jeune homme, ardent supporter de l'OM et très impliqué dans la vie de son club, explique une affaire somme toute banale. Il raconte avoir fait des demandes de licences à la Ligue avec des documents préremplis du cachet du médecin, le Docteur T., par ailleurs ancien maire très respecté de la commune. Une pratique visiblement en vogue depuis des années et courante dans le football amateur, les bénévoles gérant les clubs étant souvent dépassés par les formalités administratives.
Le président reconnaît aussi avoir signé les demandes à la place des joueurs mais nie toute autre falsification : « L'entraîneur D. nous a amené à plusieurs reprises des copies de pièces d'identité et des photographies de joueurs de couleur qui n'étaient pas de Saint-Août. » À la Nouvelle République, des années plus tard, il observera : « On n'avait jamais vu du foot comme ça à Saint-Août, mais à quel prix ! » Sollicité, il n'a pas souhaité nous répondre.
L'enquête suivra son cours, triste, pathétique. Ludovic D. dira avoir voulu « apporter un peu de bonheur à des gamins en difficulté » et soutiendra n'avoir jamais fabriqué les faux documents. Il rejettera la faute sur un certain « Cissé », le « patron des joueurs », et émettra l'hypothèse de faussaires non identifiés en région parisienne. La commission supérieure d'appel de la FFF le considérera au contraire comme « l'instigateur de la fraude », ayant « abusé de la faiblesse [des joueurs] et de leur situation, leur promettant un travail, un club, etc », et tancera un comportement « totalement inacceptable », bafouant « l'éthique et la morale sportives ». Tout comme le tribunal correctionnel de Châteauroux qui le condamnera en avril 2019 à six mois de prison, au vu de son casier judiciaire bien fourni, son incapacité à assumer ses actes - « il semble avoir pris le parti de violer régulièrement la loi », noteront les juges.
Son casier judiciaire compte pas moins de 14 condamnations
Car ce fut aussi la stupéfaction à Saint-Août et dans les rédactions locales quand les journalistes apprendront que Ludovic D., cet entraîneur que l'on voyait jusqu'alors comme audacieux, proche des joueurs, disponible et ne comptant pas son temps, devait être jugé dans le cadre d'une autre affaire pour une kyrielle d'infractions. Une procédure dans laquelle, selon les magistrats, il s'était présenté lui-même comme le « Bernard Tapie de l'Indre ». Son casier judiciaire, impressionnant, porte en effet trace de quatorze condamnations : complicité d'escroquerie, travail dissimulé, introduction volontaire d'animal interdit dans le milieu naturel (un sanglier), menace de mort, violence par conjoint, dénonciation calomnieuse, conduite sans permis, faux en écriture privée, travail dissimulé, emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail, ou encore opposition au paiement d'un chèque.
Dans l'affaire de Saint-Août, il ne comparaîtra pas à ses procès mais utilisera toutes les voies de recours à sa disposition au point de faire casser par la Cour de cassation un arrêt de la cour d'appel de Bourges rendu le 11 février 2021. Il est aujourd'hui définitivement condamné mais continue de nier, dix ans plus tard, avoir commis la moindre infraction : « Tout d'abord, il faut savoir que je n'ai pas perdu, nous confie-t-il. C'est un peu comme ce qui se passe en Iran avec Israël : tout le monde dit qu'il a gagné. (...) J'ai eu gain de cause. On a voulu expliquer que j'étais le pourvoyeur de faux documents. Mais faut pas pousser mémé dans les orties ! La cour de cassation a dit qu'il n'y avait aucune preuve. »
« Tout d'abord, il faut savoir que je n'ai pas perdu (en justice, ndlr). C'est un peu comme ce qui se passe en Iran avec Israël : tout le monde dit qu'il a gagné »
Ludovic D., condamné à 6 mois de prison pour usage de faux, mais relaxé par la cour d'appel des chefs de faux
Ce point est partiellement exact. La cour d'appel d'Orléans l'a condamné en avril 2024 pour usage de faux, les juges notant sa « propension à se jouer des règles sociales en adoptant des comportements malhonnêtes ». Mais sur les faits de falsification en eux-mêmes, la cour d'appel a en revanche botté en touche : « Il existe de réelles présomptions à l'encontre de Ludovic D. d'avoir agi personnellement et directement dans la falsification des documents. (...) Toutefois la preuve n'est pas suffisamment rapportée. »
Ludovic D. saisira une nouvelle fois la Cour suprême judiciaire française, qui l'a débouté de ses demandes en mai dernier. Le club de Saint-Août, lui, a repris son existence : « C'était dur, on en entend toujours parler. Les clubs disaient : tiens, voilà les tricheurs !, nous confie l'actuel président, déjà au club à l'époque des faits, mais qui n'a pas été inquiété par la justice. Aujourd'hui, c'est une équipe de copains. Une grande famille. »
Contacté, Me Benjamin Peyrelevade, avocat de la FFF, réagit sur cette longue procédure judiciaire : « Cette affaire est révélatrice de l'absence de conscience de certains dirigeants de clubs qui, pour obtenir la qualification d'un joueur, sont parfois prêts à faire usage de faux documents. Voire même à en établir. Utiliser une licence obtenue grâce à la production d'une copie de pièce d'identité modifiée par logiciel, ou d'un faux certificat médical de non contre-indication à la pratique sportive, ce sont des infractions pénales. Les auteurs, dans l'espoir d'une gloire toute relative, risquent donc, au-delà des sanctions disciplinaires et sportives, de devoir répondre de leurs actes devant le Tribunal correctionnel. Car la FFF dépose systématiquement plainte puis, devant les juridictions, se constitue partie civile. Non seulement pour préserver la sincérité et la régularité de ses compétitions, mais aussi pour protéger les acteurs du jeu, qui à défaut d'avoir une licence en règle, risquent de ne pas bénéficier d'assurance en cas d'accident. Ici, les faits sont encore plus troublants car les joueurs étaient nombreux, que leur niveau était bien supérieur à celui du club et qu'ils n'étaient pas établis dans la région. On a laissé faire cet individu, dont les méthodes étaient manifestement critiquables, dans un but difficile à comprendre. »
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