« Madeleines de Proust sonores »
Les souvenirs peuvent être liés de manière très profonde aux sons. À ceux qu'on n'entend plus aujourd'hui et qui nous renvoient à des moments du passé. La Presse s'est interrogée sur l'effet nostalgique de ces « madeleines de Proust sonores ».
Bruits de télécopieurs, de téléphones à roulette, de cassette qu'on rembobine… Des sons partent, d'autres arrivent dans notre quotidien au fil des innovations. L'avancement technologique, la belle fautive, n'est pas que synonyme de rapidité d'opération ou de designs plus fins. Il range chaque fois dans le passé plusieurs sons et crée de la nostalgie.
« Les sons disparaissent de plus en plus. Je me rappelle encore de nombreux bruits du passé qui n'existent plus », témoigne Dominique Derrier, expert en cybersécurité qui travaille en informatique depuis plus de 25 ans. Pour lui, la nostalgie est probablement due au fait de sentir les mécanismes de nos objets s'activer sous nos doigts, notamment par le signal des sons qu'ils émettent.
Tout était très mécanique. Pour les ordinateurs, il y avait des interrupteurs sur lesquels il fallait appuyer, on entendait les tubes cathodiques chauffer en s'allumant, les ventilateurs qui tournaient pendant l'utilisation.
Dominique Derrier, qui travaille en informatique depuis plus de 25 ans
Les claquements des claviers étaient aussi plus sonores, car ils activaient les interrupteurs en dessous. Le lecteur de disquette émettait un bruit de moteur, un petit ronflement. « Tout ça s'est perdu tranquillement avec la modernisation, dit Dominique Derrier. On ne veut plus que ça fasse du bruit, on s'arrange pour qu'il y en ait de moins en moins. Et il n'y a plus de partie mécanique à l'intérieur de nos objets. »
Lisez aussi notre article « Les sons qu'on n'entend plus »
L'expert se demande si c'est pour amenuiser les bruits que l'on a diminué les mécaniques ou le contraire. « C'est la question de la poule ou de l'œuf, dit-il. Mais dans tous les cas, on a fiabilisé les outils en enlevant la partie mécanique. Moins de choses s'abîment ou tombent en panne. »
Et puis, dit-il, il est plus agréable d'utiliser nos outils sans qu'un son trop intense nous incommode. Il y a toutefois des preuves concrètes de la nostalgie ambiante, ajoute Dominique Derrier. Comme ces internautes qui déposent sur YouTube des pièces de musique qu'ils ont inventées en assemblant des sons de composants informatiques de notre passé.
Souvenirs positifs et négatifs
Selon Isabelle Peretz, professeure de psychologie de l'Université de Montréal, spécialisée en neuropsychologie cognitive, il existe des « madeleines de Proust, mais sonores », soit des déclencheurs de souvenirs chargés d'émotions positives et négatives. Comme des bruits familiers de la maison dans notre enfance quand on revenait de l'école : la télé avec les dessins animés, la préparation d'une collation avant les devoirs… « De plus en plus, on a affaire à des sons artificiels, souligne l'experte. On peut toutefois penser que les sons biologiques, de la nature, sont encore plus importants. Mais on peut associer des bruits artificiels à des évènements agréables. »
Ou négatifs évidemment. Une personne qui a été exposée à la guerre pourrait être très troublée par un son qui ressemble à celui d'une explosion, qui lui évoquerait des souvenirs traumatisants.
L'ouïe aurait une importance majeure pour la réminiscence. Isabelle Peretz s'intéresse particulièrement à la cognition musicale.
Des études montrent que les souvenirs associés à la musique sont souvent bien plus intenses que ceux que l'on pourrait provoquer avec un repas, par exemple.
Si notre exercice se concentre principalement sur les bruits que des objets technologiques de notre passé nous évoquent comme souvenirs, pour la spécialiste, il y a encore plus de mémoire liée à des sons naturels, comme celui de l'orage, « qui réveille des émotions très fortes chez les enfants ».
Mais au-delà de l'ouïe, ce sont probablement les odeurs qui réveilleraient chez les humains les souvenirs les plus vifs. « C'est très primitif, très émotionnel, c'est quelque chose que l'on partage avec les animaux », évoque Isabelle Peretz. La spécialiste croit également qu'il y a des différences individuelles. Pour certains, l'évocation d'un souvenir ou d'une émotion liée à des sons pourrait être bien plus forte, par exemple pour des individus sur le spectre de l'autisme, « qui peuvent avoir une mémoire très, très vive d'un évènement sonore positif ou négatif ».
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