
Pierre Steinmetz : « Après sa décision sur la loi Duplomb, le Conseil constitutionnel doit redevenir sage »
Membre du Conseil constitutionnel entre 2004 et 2013, Pierre Steinmetz a aussi été directeur général de la gendarmerie nationale et directeur de cabinet de Jean-Pierre Raffarin à Matignon.
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Le 7 août, le Conseil constitutionnel a invalidé partiellement la loi Duplomb en son article 2. Cette décision a soulevé des réactions passionnées, inspirées par les intérêts ou les convictions plus que par la logique juridique et institutionnelle. Ce n'est certes pas la première fois qu'une décision du Conseil constitutionnel suscite la polémique, mais, chaque nouvelle querelle se nourrissant de la précédente, nous en arrivons, en ce qui concerne son rôle, à des excès oratoires. Pour en débattre sérieusement, il est temps de revenir aux « fondamentaux », c'est-à-dire aux finalités même de nos institutions démocratiques.
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Celles-ci se fondent sur un principe simple : la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce directement, par la voie du référendum ou par ses représentants. Bien évidemment, cet exercice du pouvoir souverain doit s'accomplir dans le respect de la Constitution. C'est le rôle du Conseil constitutionnel d'y veiller. S'agissant du Parlement, cette mission de contrôle était relativement simple lorsqu'elle se limitait à vérifier le respect des articles mêmes de la Constitution, qui traitent pour l'essentiel de règles de procédure et de séparation des domaines de la loi et du règlement.
Elle est devenue infiniment plus délicate lorsque le Conseil a de son propre chef, en 1971, étendu son contrôle au « bloc de constitutionnalité », en y incluant le préambule de la Constitution, et partant, la Déclaration des droits de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 et les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». S'y est ajoutée en 2004 la Charte de l'environnement. S'agissant de textes très généraux (et généreux), il était inévitable de passer du contrôle procédural à l'interprétation des principes, et de glisser de l'interprétation des principes à la création normative. Et ce d'autant plus qu'au respect des exigences portées par les textes s'ajoutait la nécessaire conciliation entre ces exigences, souvent concurrentes, voire contraires (liberté individuelle et ordre public, liberté d'entreprise et protection des travailleurs, etc.).
Il y a certes une contradiction originelle entre l'affirmation de ce principe absolu qu'est la souveraineté du peuple et le contrôle de sa mise en œuvre par un organe extérieur au souverain et qui n'en émane pas (en clair : qui n'est pas élu). Mais ce sont les occasions et les modalités de ce contrôle (la pratique) qui font que l'on peut passer d'une « tension supportable », car contribuant à l'exercice régulier des pouvoirs publics, à l'usurpation unilatérale d'un pouvoir autonome, dépourvu de légitimité démocratique.
Le Conseil constitutionnel n'étant lui-même soumis à aucun contrôle, une tension supportable ne peut être trouvée que dans la retenue qu'il s'impose. Rien ne va plus s'il ne sait pas faire preuve de prudence dans l'exercice de son pouvoir. Il en était parfaitement conscient lorsque la saisine parlementaire a fait de lui (en 1974) le maître du jeu. Aussi a-t-il entendu se prémunir de ses propres tentations en adoptant un « considérant » de principe, constamment répété mais de moins en moins observé, qui devrait rester, à ce jour, le fondement de sa jurisprudence : « Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ».
C'est à cette aune que doit être appréciée la décision du 7 août 2025. Le Conseil rappelle d'abord l'article 1er de la Charte de l'environnement et le droit de chacun « de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », non pas, comme il l'avait déjà fait, pour constater que le texte attaqué ne lui est pas contraire, mais pour en faire le point de départ d'un raisonnement conduisant à la censure, lui conférant ainsi une pleine portée normative. Nous sommes à la limite du « droit créance ».
Formulées à partir de principes aussi vagues que ceux de l'article premier de la Charte de l'environnement, ses injonctions forment un faisceau de contraintes qui pourraient progressivement brider l'action publique comme les initiatives privées Pierre Steinmetz
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Dans un deuxième temps, le Conseil rappelle, comme pour mémoire, la nature limitée de ses pouvoirs. Il aurait alors pu constater, conformément à sa jurisprudence, qu'il n'y avait pas de violation manifeste de l'article premier de la Charte de l'environnement et, compte tenu de son pouvoir limité, valider. Il aurait pu aussi juger (par une réserve d'interprétation qui n'aurait pas été « directive ») qu'il appartiendrait au décret, sous le contrôle du juge, de fixer les mesures d'application de la loi (cultures, usages, durée des dérogations) de façon à limiter au strict nécessaire (la survie des exploitations) les risques de l'emploi d'une substance néonicotinoïde pour la santé et l'environnement. Mais il a préféré se livrer à un contrôle technique approfondi des dispositions qui lui étaient soumises. Il a ainsi listé les « manques » de la loi et donc, a contrario, les mentions qu'il aurait fallu y faire figurer pour qu'elle soit constitutionnelle. Ce faisant, le Conseil manie non seulement la gomme (la censure), mais aussi la plume pour un éventuel futur texte dont il dicte par avance la teneur.
Les conséquences de telles audaces jurisprudentielles sont graves. D'un point de vue pratique d'abord. Les injonctions du Conseil sont autant de règles de valeur constitutionnelle qui s'imposeront au législateur comme au gouvernement. Formulées à partir de principes aussi vagues que ceux de l'article premier de la Charte de l'environnement, et pourquoi pas du droit des générations futures (déjà dégagé par lui dans une décision du 27 octobre 2023), elles forment un faisceau de contraintes qui pourraient progressivement brider l'action publique comme les initiatives privées. On peut rêver mieux au moment où l'on prétend libérer les énergies et la créativité pour préserver notre modèle social…
À lire aussi La loi Duplomb, ou l'éternel conflit entre le citoyen et le consommateur
D'un point de vue démocratique ensuite et surtout. Le Conseil constitutionnel n'est pas élu ; il n'a de compte à rendre à personne ; ses pouvoirs sont considérables. Son rôle de régulateur de la vie politique est essentiel, surtout dans une période où l'absence de majorité parlementaire peut conduire à toutes les dérives. Pour qu'il puisse le remplir, ses décisions doivent être incontestables et, pour le moins, comprises et admises. Il lui faut donc se garder de compromettre son autorité en tranchant des différends politiques derrière un habillage juridique. La nocivité de tel ou tel insecticide et les modalités admissibles de son utilisation sont des questions de fait et non de droit constitutionnel. La décision et les arbitrages qu'elle peut requérir appartiennent au législateur qui en portera politiquement la responsabilité, et qui ne doit être sanctionné juridiquement qu'en cas d'erreur manifeste.
Le Conseil doit retrouver à cet égard l'esprit de l'ancienne jurisprudence administrative sur l'excès de pouvoir. « Pour qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir », nous dit Montesquieu. Or rien dans la Constitution ne limite le Conseil constitutionnel, puisque ses décisions « ne sont susceptibles d'aucun recours » et qu'elles « s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». Pour éviter une grave crise démocratique, il faut que la sagesse supplée la contrainte. On ne surnomme pas les membres du Conseil « les sages » parce qu'ils le sont naturellement, mais parce que c'est leur devoir de l'être.
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