
Quand l'eau devient un outil de répression
Alors que l'Iran est aux prises avec une crise hydrique, les auteurs dénoncent un réseau corrompu qui accapare les ressources au profit du pouvoir.
Hamid Enayat
Politologue, spécialiste de l'Iran
Hamid Assadollahi
Militant des droits de l'homme au Comité de soutien aux droits de l'homme en Iran
En Iran, les coupures d'eau et d'électricité sont devenues une routine quotidienne. Sous un soleil accablant, privés d'électricité en plein été, les citoyens attendent des heures, bidons en main, pour accéder à l'eau potable — un droit fondamental dont ils sont systématiquement privés. Face à cette détresse, la réponse du président Massoud Pezeshkian reste invariable : « C'est la sécheresse, il faut économiser. »
Mais derrière cette justification simpliste se cache une injustice structurelle profonde : un système qui, par un plan délibéré, prive délibérément une grande partie de la population d'un accès aux ressources vitales, comme l'eau, afin de les soumettre à une obéissance passive et quotidienne.
On parle en Iran d'une véritable « mafia de l'eau », que la République islamique aurait mise en place — un réseau corrompu qui accapare les ressources hydriques au profit du pouvoir. Bien que ces propos aient été tournés en dérision par les médias d'État, ils décrivent avec une précision troublante le système mis en place par le régime dès les années 1990.
Barrages à tout-va : une politique ciblée et destructrice
Depuis la fin de la guerre Iran-Irak et le début de l'ère dite de « reconstruction », d'immenses projets de barrages, de transferts interbassins et de gestion centralisée de l'eau ont été lancés. Ces projets sont dirigés par les Gardiens de la Révolution, des fondations liées au Guide suprême, et des technocrates bénéficiant du soutien du pouvoir.
Ces projets ont été réalisés sans aucune considération pour les équilibres écologiques, la justice sociale ou la sécurité des populations locales. Ils ont instauré un système de contrôle supragouvernemental des ressources hydriques — non pas dans un but de développement, mais pour asseoir un ordre fondé sur la soumission de larges pans de la société.
Michel Foucault a qualifié cela de « biopolitique », une forme moderne de pouvoir qui ne s'exerce plus par la mise à mort, mais par la gestion des conditions de vie. Le régime iranien exerce sa domination non pas par les armes, mais par la soif.
Soif orchestrée, répression planifiée
Le Khouzistan, région pétrolière traversée par deux fleuves majeurs, n'échappe pas à la répression hydrique, bien au contraire. Dans les provinces historiquement frondeuses comme le Baloutchistan, les pénuries sont systématiquement aggravées à des fins de punition collective.
Un exemple tragique : lors d'une manifestation, un jeune homme est arrêté, attaché à un poteau en pleine chaleur, avec une cruche d'eau posée devant lui — inaccessible, car ses mains sont liées. Il est mort de soif sous les yeux des habitants. Cette scène symbolise cruellement la politique du régime face à l'eau : priver pour dominer.
Une collusion entre pouvoir économique et appareil sécuritaire
Les acteurs de cette politique hydrique sont bien connus : le QG de Khatam al-Anbiya (branche économique des Gardiens de la Révolution), l'Organisation de l'eau et de l'énergie, la Fondation des déshérités liée au guide suprême et les technocrates du ministère de l'Énergie. Avec des budgets faramineux et sans aucun devoir de transparence, ils ont orchestré une confiscation progressive de l'eau.
La « mafia de l'eau » en Iran n'a rien de souterrain : elle est officielle, visible, et dirigée par les plus hauts responsables du régime.
Les médias : entre silence et complicité
La propagande d'État sur la question de l'eau est centrale dans la stratégie de gestion de crise. Les médias officiels — et même certains affiliés au courant réformateur — reçoivent des financements d'organismes liés au secteur de l'eau pour censurer ou déformer les critiques. À l'inverse, les journalistes indépendants, les chercheurs et les militants écologistes font face à des menaces, des arrestations et à une répression constante.
Aujourd'hui, autour de centaines de barrages construits de manière excessive, mais intentionnelle, seuls 7 % de la capacité de stockage restent disponibles. Des milliers de villages sont privés d'eau ; des régions entières sont submergées ; les terres s'affaissent, les plaines s'effondrent, des vagues massives de migration forcée se déclenchent. L'exclusion sociale et l'itinérance explosent.
La crise actuelle incarne la convergence de trois fléaux : répression politique, corruption systémique et incompétence administrative.
L'« ingénierie de la soif » résume à elle seule la logique d'un régime qui assure sa survie sur les lèvres asséchées et les ventres vides.
Une onde de choc née des rivières asséchées
Dans un article intitulé « L'eau : le talon d'Achille de la sécurité du régime », le média Bahaar News — proche du Conseil suprême de sécurité nationale — avertit qu'une nouvelle vague de contestation est en train de naître du lit asséché des fleuves.
Le même jour, le porte-parole du secteur de l'eau du régime reconnaît : « La crise de l'eau est plus proche que jamais ; 50 villes sont en alerte rouge. »
Le 20 juillet 2025, le président Pezeshkian déclarait à son tour : « Si nous n'agissons pas de toute urgence, nous serons confrontés à une situation sans issue. »
Tout indique que le régime approche d'un point de non-retour. Les soulèvements de Khouzistan (2021) et d'Ispahan (2022), déclenchés par la soif, montrent que cette fois-ci, c'est tout le pays qui se retrouve au bord de l'assèchement — et de l'explosion.
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