
Contre le TDAH, «le médicament est utile, mais il ne fait pas tout»
Quand il prescrit un psychostimulant à la personne atteinte d'un TDAH, le médecin devrait de toute façon proposer des approches éducatives en parallèle, souligne Nader Perroud.
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En bref:
Prescrit-on trop souvent des médicaments pour soigner le TDAH, ou trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité? Une étude sur 247'420 patients suédois (de 4 à 64 ans) sous traitement entre 2006 et 2020 apporte un nouvel éclairage sur ce débat constant.
Publiée dans «Jama Psychiatry», elle montre que, durant cette période, la prise de Ritaline et d'autres psychostimulants est associée à une réduction des comportements d'automutilation, des blessures involontaires, des accidents de la route et des crimes. Cependant, l'ampleur de ces bénéfices semble s'amenuiser au fil du temps, alors que les prescriptions augmentent.
Les chercheurs suggèrent que cet affaiblissement des bénéfices pourrait être dû à l'élargissement de l'usage des traitements à des patients présentant des symptômes moins sévères. Ils soulignent aussi que les médicaments contre le TDAH sont associés à des effets indésirables, tels qu'une perte d'appétit, un retard de croissance ou des insomnies.
Ils appellent donc à des recherches supplémentaires pour déterminer si certains groupes de patients profiteraient davantage de traitements alternatifs ou complémentaires. Ils recommandent aussi de réévaluer régulièrement les directives thérapeutiques pour le TDAH, afin de refléter l'évolution du profil des patients.
Le professeur Nader Perroud, psychiatre et psychothérapeute aux HUG, juge cette étude «solide et intéressante, car elle montre qu'un traitement avec un psychostimulant est bénéfique s'il est bien prescrit». Cet expert suisse du TDAH répond à nos questions.
Y a-t-il un risque de surprescription des médicaments pour le TDAH?
Ce risque va se produire, c'est inévitable. Du moment où l'intérêt grandit pour une pathologie qui pourrait expliquer des difficultés d'apprentissage ou de performance (pour l'enfant), cela entraîne des demandes d'évaluation. Des médecins pourraient diagnostiquer trop facilement ce trouble et choisir le traitement médicamenteux pour répondre à des difficultés qui sont plus de nature sociétale. Mais ce phénomène s'est déjà produit, par exemple, quand on a formé les généralistes aux antidépresseurs. Ils ont commencé à les donner à la moindre dépression, au moindre trouble anxieux, sans que cela soit justifié par des études.
Avec le TDAH, quelle est la situation?
Les prescriptions augmentent et cela va continuer, car nous avons une meilleure connaissance de ce trouble, qui n'avait jamais été enseigné dans les facultés jusqu'à présent. Les professionnels commencent à le considérer dans leurs diagnostics. Cette meilleure diffusion permet de mieux détecter les cas, mais on voit les premiers signes d'une surprescription dans certaines régions. À l'inverse, il y a de véritables déserts médicaux en Suisse , où les patients doivent attendre des mois avant d'être pris en charge par un spécialiste.
L'étude montre qu'avec la généralisation des prescriptions, l'effet bénéfique des psychostimulants baisse. Est-ce surprenant?
Non. Reprenons l'exemple des antidépresseurs. Au départ, ils ont été prescrits à des patients avec des symptômes majeurs. Les effets ont été importants. On les a donnés ensuite à des personnes moins atteintes, et les résultats ont été plus faibles. On a remarqué qu'il était préférable de leur recommander les contacts sociaux ou un peu d'exercice. On peut faire le pari qu'on verra la même chose avec le TDAH.
Quels sont les critères essentiels pour diagnostiquer le TDAH et décider du traitement? Sont-ils respectés?
Les critères médicaux n'ont pratiquement pas changé depuis plusieurs dizaines d'années et ils me semblent bons. Ils permettent d'évaluer si un patient souffre d'un TDAH suffisamment sévère pour l'affecter dans son fonctionnement quotidien. Un médecin doit suivre ces critères, comme quand il traite par exemple une hypertension.
Comment remédier aux manquements?
Il faut former les professionnels de la santé, les sensibiliser à l'application de ces critères. Sinon, nous risquons d'essuyer les critiques. Le problème est qu'en psychiatrie, l'enseignement postgradué a été un désastre ces dernières années. Cela ne concerne pas seulement le TDAH. D'autres troubles ont été laissés de côté, comme ceux du spectre autistique, parce qu'on se concentrait sur la dépression, le burn-out et les troubles anxieux. Et tout cela a été alimenté par les boîtes pharmaceutiques qui produisent des antidépresseurs ou des neuroleptiques.
Vous craignez que ces erreurs freinent la prise en charge de patients qui ont besoin d'un tel traitement?
Oui. De nombreuses personnes ont de la peine à bénéficier d'un traitement adéquat. Certains patients attendent trois ans ne serait-ce que pour être évalués. Entretemps, un psychiatre va donner des médicaments qui ne servent à rien. Des neuroleptiques, notamment, parce qu'ils peuvent être prescrits assez aisément sans que cela gêne les politiques, même si leurs effets secondaires sont bien plus nombreux que ceux de la Ritaline. Des enfants finissent en échec scolaire, des familles explosent, des gens perdent leur travail… Trois ans plus tard, on leur dit qu'on aurait pu l'éviter si on les avait vus plus tôt. Alors, je ne nie pas qu'il y a un risque de surprescription. Mais dans mon quotidien, ce sont ces histoires que je vois. Et c'est triste.
Comment évalue-t-on et communique-t-on les effets secondaires des médicaments, en particulier chez les patients moins gravement atteints?
Tout médecin est obligé d'annoncer les effets secondaires d'un traitement, quel qu'il soit. Selon les recommandations internationales, nous devons dans un premier temps proposer des aménagements environnementaux si le TDAH n'est pas trop sévère. À partir d'une certaine intensité, nous le faisons en parallèle d'un traitement médicamenteux.
Les recommandations de prescription sont-elles à jour, ou doivent-elles être améliorées?
Je vois mal en quoi les recommandations internationales devraient être améliorées. Ces prescriptions sont déjà très surveillées et je ne vois pas trop l'intérêt d'ajouter des contraintes. Selon moi, le principal problème est que ces directives sont mal connues.
Quelles sont les alternatives aux médicaments , et ont-elles prouvé leur efficacité?
Oui, des études démontrent qu'un enseignement de compétences est assez efficace, même si les effets sont plus importants avec un médicament.
Ça consiste en quoi?
On va apprendre au patient à mettre des alarmes pour ne rien oublier, à repérer les distracteurs dans l'environnement. On peut l'aider à observer son attention, en utilisant notamment la méditation de pleine conscience, ou lui enseigner des stratégies pour aller plus facilement au lit (les personnes atteintes de TDAH ont souvent du mal à se coucher le soir). Il existe d'autres trucs, comme le fait d'alterner les tâches plaisantes et ennuyeuses ou de prévoir une petite récompense lorsqu'on a terminé un travail important. On va aussi aider le patient à communiquer avec les autres, pour éviter qu'il soit trop impulsif.
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Prescrire un médicament est-il parfois une solution de facilité?
Le médecin devrait de toute façon proposer ces approches éducatives au patient qui commence à prendre un psychostimulant. Au minimum, il devrait l'aider à observer comment son comportement change. En général, les gens sont demandeurs d'un tel suivi, mais certains praticiens n'ont pas forcément le temps. Le problème, c'est que si ce travail psychoéducatif n'est pas effectué, la personne se retrouvera en difficulté. Le médicament est utile, mais il ne fait pas tout.
La recherche sur les effets à long terme des médicaments pour le TDAH est-elle suffisante?
Nous savons qu'il y a peu d'effets secondaires, hormis d'éventuelles conséquences sur la tension artérielle, qui doit être surveillée. Par contre, nous manquons d'études sur l'efficacité des traitements à très long terme. On constate qu'elle baisse, ce que cette publication semble confirmer. Nous aurions besoin de recherches plus fines pour comprendre ce phénomène.
Autres articles sur le TDAH
Caroline Zuercher est journaliste à la rubrique Suisse depuis 2005. Elle couvre en particulier les sujets liés à la santé et à la politique de santé. Auparavant, elle a travaillé pour Swissinfo et Le Matin. Plus d'infos
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