
Trois livres, disons deux et demi
Le plus embêtant avec la critique, ce n'est pas qu'elle fasse mal, c'est qu'elle paralyse. Quelqu'un écrit quelque part que Foglia est un ci et un ça. Il n'y a pas de réplique possible. Quoi que tu répondes, tu auras de toute façon l'air de dire : ben toi aussi d'abord !
Ce qu'on sait moins, c'est que la louange a exactement le même effet. Quelqu'un écrit quelque part que Foglia oh là là Foglia ! Et te voilà ligoté. Prenez par exemple Dany Laferrière qui a écrit sur moi des choses si gentilles qu'en les lisant, j'avais l'impression d'être mort. C'est d'ailleurs comme ça que commençait son éloge : faut pas attendre qu'il soit mort.
Et il m'a embaumé vivant, ce con. Comment voulez-vous, maintenant, que je parle de son dernier roman ?
Je dis que c'est nul et je passe pour un chien sale.
Je dis que c'est bon : on sait bien, je lui renvoie l'ascenseur.
Je dis que c'est moyen : j'essaie d'être fin malgré tout.
Ben, je dirai rien d'abord. Arrangez-vous.
Quand même un petit quelque chose pour vous mettre sur la piste. À propos du titre Je suis un écrivain japonais, page 115, le héros du roman, excédé par les questions de l'attaché culturel du consulat du Japon explique : Je suis pas un écrivain japonais. J'écris un livre dont le titre est Je suis un écrivain japonais, cela ne fait pas de moi un écrivain japonais.
Reste qu'on ne m'enlèvera pas de l'idée que le titre de ce roman aurait dû être : Je suis un écrivain qui se regarde écrire un livre dont le titre est : Je suis un écrivain qui se regarde écrire un livre.
Dany Laferrière a écrit ici un amusant mode d'emploi de la fiction (et de la métafiction : la fiction sur la fiction).
Pour ce qui est du livre, je crois qu'il reste à écrire.
INTELLIGENCE PURE – Philippe Sollers est l'intellectuel le plus haï de France. Le plus insulté. Le plus intelligent. CQFD : le plus haï et le plus insulté parce que le plus intelligent.
Titre de son dernier livre sorti à l'automne chez Plon : Un vrai roman. Qui n'est pas un roman. Des mémoires, mais pas au sens où d'autres racontent leur vie. Sollers ne raconte pas sa vie mais ses combats à chaque étape de sa vie, toujours le même combat en fait, contre le même ennemi : la sottise.
Je ne vous invite pas à lire Sollers, vous me le reprocheriez. Juste signaler qu'il se tient debout à côté de Gide le pédophile, de Flaubert le misanthrope, de Marx le massacreur, de Nietzsche la brute, du libidinal Freud, de Sartre qui a béni les goulags, du Voltaire dénigreur de la Bible et du Coran, d'Aragon le pédé dans le placard, de Faulkner le négrier, de Céline l'antisémite, de Sade, de Lautréamont l'illisible, de Joyce plus illisible encore, de Jarry le cynique, de Swift l'anarchiste, de Chateaubriand le vicomte d'outre-tombe, de Roussel le cinglé. Sollers se tient à leurs côtés contre l'Inquisition.
Quand Sollers est un peu moins intelligent que d'habitude, dans ce livre-là par exemple, c'est parce qu'il le fait exprès, c'est parce qu'il faut bien vivre en société, qu'il faut bien être lu et pour cela ne pas écrire trop compliqué. Je ne vous invite pas à lire Sollers, mais si vous ne deviez lire qu'un livre de Sollers dans votre vie, alors celui-là : il a fait un effort exprès pour vous.
L'INTIMITÉ – Annie Ernaux écrit des récits autobiographiques. Je les ai tous lus. Tous m'ont jeté sur le cul. La place, Une femme, La honte, L'occupation, Journal du dehors, La vie extérieure. Autant de coups de poing dans le ventre, Annie Ernaux vise le mou du ventre, pas le cerveau, pas le cœur, le mou du ventre. Ah bon ! C'est ça écrire !
Pour bien expliquer, Annie Ernaux est l'exact contraire de Marguerite Duras qui raconte aussi sa vie mais en la « fictionnant ». À l'inverse, Ernaux travaille son écriture au couteau pour en enlever toute fiction, comme on enlève les yeux quand on épluche des patates. Il en reste un texte dur, presque violent, creusé de petits cratères.
C'est ce même couteau à la main qu'elle raconte la France des 60 dernières années dans son dernier livre au titre d'une sécheresse toute ernaudienne : Les années.
La France politique de de Gaulle, puis de Mitterrand, la France des guerres coloniales, Indochine, Algérie, mais aussi la France intime qui sauce son assiette, le repas dominical interminable – quand on changeait les assiettes pour le dessert, c'était presque le milieu de l'après-midi. La France profonde du début des années 70 si prompte à s'indigner, cette scène des Valseuses où Patrick Dewaere suçait le sein d'une mère à la place de son nourrisson qui avait fait si grand scandale…
Une chatte noire et blanche sur une photo, beaucoup de photos – racontées évidemment, pas montrées – les photos font passer les années, d'un gros bébé à la lippe boudeuse à celle d'une femme d'un certain âge aux cheveux blond-roux de 66 ans quand le livre se termine.
Toutes les images disparaîtront, c'est la première ligne. Sauver quelque chose du temps où l'on ne sera plus jamais, c'est la dernière et le but de ce livre magnifique. Entre les deux, un écrit intime, pas l'intimité de l'auteur, celle d'une époque. Une intimité universelle si cela se peut. Annie Ernaux atteint ici le sommet de son art qui est de ne dire d'elle que ce qui renvoie à la vie, à l'expérience personnelle des lecteurs.
J'ai déjà lu des livres que j'aurais pu écrire, généralement mauvais. D'autres que j'aurais voulu écrire. Lisant Les années, j'avais le sentiment de lire mon propre journal intime.
Hashtags

Essayez nos fonctionnalités IA
Découvrez ce que Daily8 IA peut faire pour vous :
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment...
Articles connexes


La Presse
3 hours ago
- La Presse
Rencontre numérique exclusive – Mercredi 10 septembre à 12 h
La Presse présente ce qui vous attend cet automne sur ses plateformes! Avec un nouveau grand rendez-vous, des rubriques diversifiées, des collaborateurs issus de différents horizons et de nouveaux formats au programme, les lecteurs demeurent toujours au cœur de nos priorités grâce à des contenus riches et adaptés pour répondre aux besoins de tous. François Cardinal, vice-président, Information et éditeur adjoint, convie notre communauté de donateurs à notre traditionnelle rencontre numérique exclusive de la rentrée, durant laquelle il en dévoilera davantage sur les grands dossiers à surveiller en compagnie de membres de la salle de rédaction. Ce sera également l'occasion pour nos invités de répondre à vos questions. Soyez des nôtres le mercredi 10 septembre dès midi! LA PRESSE Encore cette année, nos journalistes, chroniqueurs, photojournalistes et collaborateurs seront aux premières loges de l'actualité brûlante et d'intérêt public, pour vous offrir une information de qualité, gratuite et accessible. Ils décortiqueront, pour vous, des sujets qui vous touchent à travers des entrevues de fond, des reportages sur le terrain, des analyses pour vous éclairer et des guides pour vous accompagner au quotidien. Notre équipe poursuivra sa mission de se rapprocher toujours plus de vous, nos lecteurs, en allant à votre rencontre et en vous réservant une place de choix dans nos contenus. À tour de rôle, nos invités s'exprimeront sur les dossiers qui les occuperont durant les prochains mois lors de cette rencontre exclusive : Pour introduire la rencontre, François Cardinal présentera le programme de cet automne dans la salle de rédaction; Frédéric Murphy, directeur de la section Arts, annoncera un nouveau rendez-vous tous les jeudis dans La Presse+ qui ravira les adeptes de culture, en compagnie des journalistes Émilie Côté et Stéphanie Morin; Les directeurs principaux à l'information, Isabelle Audet et Jean-François Bégin, viendront pour leur part dévoiler de nouvelles rubriques à surveiller cet automne dans leurs sections respectives; Enfin, Valérie Beauchesne, directrice principale, Développement et innovation et Alice Girard-Bossé, cheffe de division, Innovation, aborderont les nouveaux formats de contenu rédactionnel, dont la vidéo, l'audio et la présence de La Presse sur TikTok et YouTube. Pour l'occasion, nos panélistes prendront également le temps de répondre à vos questions sur leur métier, nos coulisses et notre couverture journalistique. Vous faites partie de notre communauté de donateurs? Surveillez vos courriels : vous recevrez le lien de connexion pour vous joindre à l'événement dans les heures le précédant, à l'adresse courriel avec laquelle vous avez fait votre dernier don. Vous souhaitez donner et soutenir vous aussi la mission de La Presse d'offrir une information de qualité, gratuite pour tous? Cliquez ici!


La Presse
5 hours ago
- La Presse
Le directeur général s'excuse de la gestion d'un documentaire controversé
Le directeur général du Festival international du film de Toronto Cameron Bailey (Toronto) Le directeur général du Festival international du film de Toronto (TIFF) présente ses excuses pour avoir retiré puis réintégré un film relatant la mission de sauvetage d'un général israélien à la retraite lors des attaques du Hamas du 7 octobre 2023. Alex Nino Gheciu La Presse Canadienne Dans ses premières déclarations publiques depuis l'éclatement de la controverse la semaine dernière, Cameron Bailey a exprimé ses regrets pour la « blessure, la frustration et la déception » causées par cette communication. S'exprimant lors d'un évènement préfestival mettant en avant la production locale, M. Bailey a dit regretter toute « interprétation erronée » du film. Il a également indiqué que l'organisation s'efforçait actuellement de clarifier les informations et de « réparer les relations ». The Road Between Us : The Ultimate Rescue, du Montréalais Barry Avrich, sera projeté au festival le 10 septembre. Le documentaire est décrit sur le site web du TIFF comme un « thriller de sauvetage » dans lequel Avrich combine de nouvelles entrevues avec des images du 7 octobre, relatant le parcours du général à la retraite Noam Tibon pour sauver son fils et sa famille de l'attaque du Hamas.


La Presse
5 hours ago
- La Presse
Le directeur du TIFF s'excuse de la gestion d'un documentaire controversé
Le directeur général du Festival international du film de Toronto Cameron Bailey Le directeur du TIFF s'excuse de la gestion d'un documentaire controversé (Toronto) Le directeur général du Festival international du film de Toronto (TIFF) présente ses excuses pour avoir retiré puis réintégré un film relatant la mission de sauvetage d'un général israélien à la retraite lors des attaques du Hamas du 7 octobre 2023. Alex Nino Gheciu La Presse Canadienne Dans ses premières déclarations publiques depuis l'éclatement de la controverse la semaine dernière, Cameron Bailey a exprimé ses regrets pour la « blessure, la frustration et la déception » causées par cette communication. S'exprimant lors d'un évènement préfestival mettant en avant la production locale, M. Bailey a dit regretter toute « interprétation erronée » du film. Il a également indiqué que l'organisation s'efforçait actuellement de clarifier les informations et de « réparer les relations ». The Road Between Us : The Ultimate Rescue, du Montréalais Barry Avrich, sera projeté au festival le 10 septembre. Le documentaire est décrit sur le site web du TIFF comme un « thriller de sauvetage » dans lequel Avrich combine de nouvelles entrevues avec des images du 7 octobre, relatant le parcours du général à la retraite Noam Tibon pour sauver son fils et sa famille de l'attaque du Hamas.