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Des vacances pas loin

Des vacances pas loin

La Presse6 hours ago
Les villages de Saint-Armand et de Frelighsburg ont été au cœur de plusieurs chroniques de Pierre Foglia. Il y était tout autant question de sa fiancée que de ses chats, de ses randonnées à vélo sur les routes du coin ou de l'autre côté de la frontière, au Vermont. Nous les republions sans altérer les mots qu'il a utilisés à l'époque.
Cette chronique a été publiée le mardi 5 juillet 1988, en page A5. Nous la republions sans altérer les mots que l'auteur a utilisés à l'époque.
Je parle du Vermont au moins une fois par année. Mon but, je l'ai déjà dit, est d'avoir un jour ma statue sur la Main à Burlington. Et j'espère qu'on gravera dans la pierre du socle : Le peuple vermontais reconnaissant à Pierre Foglia, grand ami de la nature et de la vache.
Sans blague, le Vermont est, de loin, le plus bel État d'Amérique et un des plus beaux pays du monde. Cela aussi je le répète souvent, mais bizarrement n'en suis pas si convaincu puisque toujours en train d'aller le vérifier ailleurs, comme en Arizona ce printemps, en Toscane l'automne dernier et ceux d'avant.
Cette fois pourtant c'est décidé, plutôt que d'aller me perdre dans les cactus, ou de me faire écœurer dans Sienne et Florence super-crowdées, je prends mes vacances ici. Je ne sais pas encore quand, mais ici. Je sors de chez moi, je tourne à gauche et là j'ai le choix : le chemin d'Enosburg ou celui de Montgomery. Celui de Jeffersonville ou celui de St-Albans. De toute façon c'est toujours le même chemin qui monte, qui descend, qui tourne tout le temps, entre dans le bois, débouche dans une prairie et s'arrête brusquement pour laisser traverser un troupeau de vaches pas pressées que conduit une gamine avec un bâton comme il y en avait dans mon livre de lecture il y a cent ans.
J'aime la vache je l'ai dit. On fait au Vermont les plus beaux t-shirts de vache. J'en ai un où il est écrit sous une tête joliment bovine : Vermont : can 339 000 cows be wrong ? Non, 339 000 vaches ne peuvent pas se tromper. La vache est un mammifère très réfléchi, qui rumine longtemps avant de dire des conneries. Contrairement, par exemple, à l'oie. L'oie cacarde. Parfaitement, c'est écrit dans le dictionnaire. Je le précise au cas ou cela ne ferait pas l'affaire de quelques-un(e)s qui prendraient la chose « personnel », qui croiraient que je veux rire d'eux ou d'elles. L'oie cacarde je n'y peux rien. Et toute poursuite devra être adressée à la Société du nouveau Petit Robert, 107 avenue Parmentier, Paris, 11e.
Pour les plaintes sur le Vermont, c'est à moi que vous devrez les adresser. Mais je suis bien tranquille allez, je n'en recevrai pas. Si l'on excepte les îles et la rive du lac Champlain gâtées par la pollution balnéaire, je mets au défi le touriste de bonne foi de me rapporter une seule monstruosité dans le reste de l'État. On trouvera en cherchant bien quelques camps de roulottes, parfois aussi quelques « resorts » de style hispano-laurentien aux abords des stations de ski (à Stowe par exemple), mais ce ne sont encore que des boutons, pas la lèpre généralisée des hauts lieux touristiques…
Je lisais l'autre jour dans Vermont Life que Manchester, un des plus pittoresques villages du sud, était la proie des développeurs et qu'on ne pouvait plus y circuler tant le trafic y était lourd. Je suis donc allé y faire un tour, prêt, moi aussi, à verser une larme sur la charming sleepy town devenue centre commercial…
Tu parles. Les écolos du Vermont devraient aller faire un tour du côté de Bromont pour comprendre toute la portée du mot « développement ». Manchester est certes devenu plus « touristique » avec ses nouvelles boutiques et ses quelques « outlets », mais rien de sauvage, pour l'œil du moins. Pour vous dire, entre l'église catholique et la banque il y a encore une ferme, avec des vaches…
Dans Vermont Life on racontait que les yuppies de New York et de Boston débarquaient à l'heure du dîner chez les paysans et annonçaient avant même d'ôter leur chapeau : « 300 000 ! ». Le paysan s'étranglait alors avec son TV dinner et répondait : « OK ! »
Sauf que ce n'est plus aussi simple de développer au Vermont. Après avoir perdu 11 pour cent de ses fermes laitières au cours des deux dernières années, le Vermont mène depuis un an un combat d'avant-garde en matière de conservation du territoire. Le mot d'ordre a été donné par la gouverneure elle-même, Madeleine Kunin : pédale douce sur le développement. Et ce grass-root mouvement a été largement repris dans l'Ouest où, par exemple, la mairesse de San Diego, Maureen O'Connor, déclarait récemment que : « Développement est devenu un mot négatif dans notre ville. Le progrès c'est bien, jusqu'à ce que tu vois de quoi il a l'air. Jusqu'à ce que tu le sentes. Jusqu'à ce que tu l'entendes… » (citée par Time, 25 janvier 88).
Pour revenir à Manchester, je ne vous conseille quand même pas. Il y a mieux. Moins loin. Il y a Burlington d'abord, une bien agréable petite ville, dont le maire est socialiste, oui monsieur, le seul en Amérique du Nord (à moins qu'on se souvienne que Doré fut aussi socialiste jadis, mais je ne vois pourquoi qu'on s'en souviendrait, quand lui-même fait tout pour l'oublier)… Qu'est-ce que je disais ? Ah oui Burlington, petite ville très bourgeoise finalement, malgré son maire socialiste, avec des bons restaurants, des cafés-terrasses et ses 292 magasins de sport, qui en font une sorte de capitale du vélo, de la voile et de l'escalade.
De Burlington tous les itinéraires sont possibles, toutes les idées sont bonnes. On remontera par exemple vers le nord par la 15, Cambridge, Jeffersonville… Personnellement c'est le milieu du Vermont que je préfère. Et le nord. Les routes marquées en noir sur la carte. Les chemins de terre aussi. Comme ceux du côté de Craftsbury. Comme celui entre Montgomery Center et Lowell. En vélo, mais aussi à pied, ou pépère en auto, pas vite. En s'arrêtant pour pique-niquer.
Il y a deux semaines, j'étais un peu au nord de la capitale Montpelier, à Kents Corner, j'y allais pour un restaurant (le White House) qui devait se révéler sans intérêt. Et comme les chemins étaient de trop grosse gravelle pour qu'on s'y amuse en vélo, mon week-end semblait mal engagé… Sauf que 25 milles à l'ouest je trouvais la rivière Connecticut, la descendais jusqu'à Hanover, juste de l'autre côté de l'eau, au New Hampshire. Hanover est une superbe ville-campus, avec des parcs immenses où je suis allé lire quelques pages de mon maître Vialatte. Relire en particulier cette chronique de l'émerveillement qui commence ainsi : Où va l'homme ? De plus en plus loin. Mais il n'y va pas d'un seul coup…
Parfois, entre les paragraphes, je prenais une grande respiration et me disais : « Mais pour l'amour du Christ qu'est-ce donc que je suis allé foutre en Arizona ? ». Et d'autres fois : « Pourquoi donc devrais-je aller à Venise, quand j'ai ici toute la beauté qu'il me faut ? Et même un peu plus. Et même un peu trop. À mon âge, il ne faut pas trop s'enflammer de beauté, parce que le désespoir qui vient après est glacé, et nous voilà avec une vilaine toux, docteur j'ai un point ici, non là un peu plus bas, arrêtez-donc, vous me chatouillez, grand fou.
Qu'est-ce que je disais ?
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L'année 2025 pourrait passer à l'histoire comme étant l'une des pires au chapitre des feux. (Ottawa) Ottawa doit cesser d'étudier l'idée d'une agence nationale de coordination en cas d'incendies de forêt et doit passer à l'action, croit l'Association canadienne des chefs de pompiers. Émilie Bergeron La Presse Canadienne « Nous appellerons ça comme ils le veulent. Nous avons seulement besoin que ce soit mis en marche », lance en entrevue le président de l'organisation, Ken McMullen. L'Association canadienne des chefs de pompiers (ACCP) souhaite que le Canada s'inspire d'une composante de l'agence américaine de gestion des catastrophes, connue par son acronyme FEMA, plutôt que d'en reproduire l'entièreté. « FEMA est une grosse, grosse, grosse machine qui administre des centaines de millions de dollars et programmes. […] Notre modèle est beaucoup plus simple, moins coûteux », dit M. McMullen. Plus précisément, l'ACCP demande à ce que le gouvernement fédéral se dote d'un bureau d'administration des feux, soit une version canadienne du « US Fire Administrator ». Ce bureau, qui pourrait être composé d'une à deux personnes, s'assurerait que la dispersion de personnel et d'équipement est appropriée partout au pays dans l'éventualité d'incendies de forêt. Ce bureau permettrait aussi aux services de sécurité et incendies d'être à la table de discussion au sujet de politiques gouvernementales qui peuvent, indirectement, avoir un impact sur les incendies. M. McMullen donne en exemple la volonté d'Ottawa d'accélérer la construction de logements. « On entend des choses comme 'Nous devons construire davantage, nous devons construire plus vite et à moindre coût'. Ce que nous n'entendons pas, nous, les chefs de pompiers, c'est que nous devons construire de façon à réduire les risques », déplore-t-il. Le gouvernement canadien étudie depuis plus de deux ans la possibilité de créer une agence d'intervention ou de coordination en cas de catastrophes. La réflexion a commencé dans la foulée de la saison record des incendies de forêt survenue à l'été 2023. L'année 2025 pourrait aussi passer à l'histoire comme étant l'une des pires au chapitre des feux. « C'est prévisible et c'est possible de faire de la prévention de façon différente. Alors nous devons faire un meilleur travail et il n'est pas question de mener des études. L'information est déjà là. Nous devons seulement nous activer et prendre des décisions », tranche M. McMullen, qui est aussi pompier en chef à Red Deer, en Alberta. Selon lui, la tenue des récentes élections fédérales et l'entrée en scène d'un nouveau premier ministre qui a formé, il y a à peine quelques mois, son gouvernement, ont entraîné des délais. L'ACCP n'a pas encore rencontré la nouvelle ministre de la Gestion des urgences, Eleanor Olszewski, mais a échangé avec son bureau. Le ministère de la Sécurité publique a déclaré à La Presse Canadienne que la ministre Olszewski « collaborera étroitement avec ses collègues du cabinet pour explorer et faire avancer des options visant à améliorer la coordination et la capacité d'intervention au niveau fédéral ». Au cours des deux dernières années, Ottawa a étudié divers modèles qui existent dans le monde et a rencontré des experts en gestion des urgences, a-t-on indiqué. « Ces discussions préliminaires ont révélé que toute solution doit refléter les réalités de la fédération canadienne, notamment le leadership des provinces, des territoires, des collectivités locales et des gouvernements autochtones quant à la gestion des situations d'urgence, peut-on lire. Les travaux réalisés à ce jour permettent de définir l'approche développée par le gouvernement actuel. » Sous l'ancien gouvernement de Justin Trudeau, M. McMullen a pu échanger à maintes reprises avec l'ex-premier ministre et des membres de son équipe, mais il note que « ça n'est pas arrivé du jour au lendemain ». « Ça prend beaucoup de temps pour développer des relations », estime-t-il. Or, il a senti que M. Trudeau avait la volonté d'acquiescer à la demande de l'ACCP de créer un bureau national d'administration des feux. « Dire que nous avions espoir à la fin de 2024, c'est probablement un euphémisme. Nous étions extrêmement optimistes », résume le président de l'ACCP. Or, la démission de M. Trudeau, sa prorogation du Parlement, la tenue d'élections, puis la formation d'un nouveau gouvernement ont mis le projet sur la glace, a-t-il raconté. M. McMullen espère que le dossier avancera dès cet automne, avec la reprise des travaux parlementaires.

Première peine adaptée aux criminels racisés
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La juge Magali Lepage a imposé une peine plus clémente à Frank Paris après avoir lu une « évaluation de l'incidence de l'origine ethnique et culturelle ». Je résume la nouvelle de La Presse qui a fait sourciller beaucoup de gens, mercredi : un homme noir a reçu une peine plus légère parce que les Noirs font l'objet d'obstacles systémiques qui n'affligent pas la moyenne des Québécois. Titre de l'article de Thomas Emmanuel Côté : « Une première peine adaptée aux criminels racisés au Québec1 ». Frank Paris, défendu par le criminaliste Andrew Galliano, a plaidé coupable à des accusations de trafic de cannabis et de haschich : il en postait dans le Grand Nord pour une clientèle inuite, dans des villages où la dépendance fait des ravages. La juge Magali Lepage lui aurait normalement imposé une peine de 35 mois de prison. Mais elle a ramené ça à 24 mois d'emprisonnement après avoir lu une « évaluation de l'incidence de l'origine ethnique et culturelle » de Frank Paris, une EIOEC. Les EIOEC nous viennent de Nouvelle-Écosse, où l'importante communauté noire a historiquement vécu toutes sortes de formes de racisme. C'est dans la province atlantique que les juges ont commencé à s'inspirer des EIOEC pour déterminer des peines. L'idée : prendre en compte l'appartenance d'un coupable à sa communauté historiquement discriminée avant de décider de la peine à lui imposer. Frank Paris est noir, les Noirs vivent du racisme dans ce pays : cela devient un critère dans l'établissement de sa peine de prison. Rien n'oblige les juges à utiliser le filtre des EIOEC. La juge Magali Lepage a été la première magistrate québécoise à le faire. Je note que le gouvernement Trudeau, en 2021, a soutenu la propagation de cet outil avec une subvention annuelle modeste (1,6 million). Je ne trouve pas saugrenu que le parcours de vie d'une personne coupable d'un crime fasse partie des critères – je n'ai pas dit soit LE critère – pris en compte quand une juge prononce une sentence. Donc, j'ai lu l'EIOEC consacrée à Frank Paris par les assesseures Natalie Hodgson, Barb Hamilton-Hinch et Nicole Mitchell*… Et ça faisait longtemps que je n'avais pas lu quelque chose d'aussi mal foutu ! Nous sommes devant un fourre-tout socioculturel, criminologique et psychologique – malgré les nombreuses références à des études savantes – donnant l'impression d'un charabia plus ésotérique que scientifique. Le rapport s'attarde d'abord sur le quartier où Frank Paris a grandi, Côte-des-Neiges. C'est un quartier pauvre, violent et ce quartier a « sans aucun doute » forgé la trajectoire de vie de M. Paris, nous apprennent les autrices. Bon, jusqu'ici, on peut comprendre… Cependant, nous apprend le rapport, M. Paris était bon élève, il excellait à l'école. Pourquoi n'a-t-il pas fini son secondaire ? Je cite : « Il n'a pas eu de succès pour réussir son cours de français obligatoire. Cela l'a poussé à prendre une année de congé, et il a fini par être impliqué dans la vente de drogues, et le résultat fut qu'il a été en prison. » Ce qui m'a frappé ici, ce sont les mots choisis. Notez comme la forme est passive : he ended up getting involved in selling drugs. Pas « il a vendu de la drogue », non : il a fini par être impliqué dans la vente de drogues. Le reste du rapport est à l'avenant : les revers judiciaires de M. Paris, pour les autrices de cette EIOEC, ne semblent jamais être le fruit de ses mauvaises décisions, mais uniquement le fruit d'une société raciste qui l'a poussé – malgré lui, on le devine entre les lignes – à devenir un dealer. Restons dans la forme passive, où Frank Paris semble devenir criminel malgré lui, comme quand les autrices qui ont éclairé la juge Lepage soutiennent qu'il n'a pas « récidivé », non, non, il a plutôt eu « des expériences préalables de récidivisme » ! Autre exemple d'un choix de mots bien commode pour décrire la difficulté de Frank Paris à conserver un emploi : « En 2013, M. Paris a fait un séjour en prison qui a perturbé sa trajectoire d'emploi. » Aux autrices de l'EIOEC, Frank Paris le dit : il était bon à l'école. Un ami témoigne : le meilleur de sa classe ! Mais bon, ce foutu cours de français l'a empêché d'avoir son diplôme de secondaire V. Qu'importe, alors qu'il était en prison, il a terminé son secondaire V. Et il a commencé des cours au cégep Marie-Victorin, toujours de la prison. En maison de transition, Frank Paris suit même des cours au collège Dawson, mais il finit par abandonner, n'aimant pas son programme. Qu'importe : les autrices de l'EIOEC décrivent quand même Frank Paris comme un décrocheur (drop out)… Et elles nous abreuvent de statistiques sur le fait que les jeunes Noirs canadiens sont surreprésentés chez les décrocheurs. Ce qui est vrai, ce qui est un problème. Mais permettez cette question plate : si M. Paris a fini son secondaire, s'il a commencé des cours de cégep en prison, s'il en a suivi d'autres en dehors de la prison… peut-il être considéré comme un décrocheur ? Je pensais qu'un décrocheur, selon la définition admise, concernait le décrocheur du secondaire. Pas dans ce rapport ! Quant à l'école, le rapport le dit en toutes lettres : le jeune Frank Paris a apprécié son école secondaire (et son école primaire). Il avait des camarades noirs, des profs noirs et un directeur noir : « Il nous a dit ne pas avoir vécu de racisme ni au primaire ni au secondaire. » Bonne expérience, donc ? Que nenni ! M. Paris a dit aux assesseures qu'avant son entrée au secondaire, il avait entendu parler de tensions raciales à la Northmount High School, école de Côte-des-Neiges aujourd'hui disparue : « Il nous a dit qu'avant son arrivée à l'école secondaire, nombre d'élèves blancs avaient quitté l'école et que c'était devenu un établissement à prédominance noire. Il présume que les élèves blancs ont quitté l'école pour s'éloigner des élèves noirs. » Le rapport cite un article du journal The Gazette à l'appui de cette explication – que des élèves blancs auraient quitté la Northmount High School pour s'éloigner des élèves noirs. Or, je suis allé lire l'article de la Gazette⁠2, publié en 2019… Et rien n'y indique que l'école Northmount s'est vidée d'élèves blancs craintifs face aux élèves noirs, dans les années 1980. On y mentionne que la composition démographique du quartier avait changé, que la moitié des élèves du quartier étaient de descendance caribéenne… Ce que l'article de la Gazette dit aussi, mais que les autrices de l'EIOEC omettent commodément de dire (c'était pourtant dans le paragraphe même qu'elles citent !), c'est que si le profil démographique de l'école Northmount avait changé, c'était à cause de la loi 101, qui avait forcé des élèves à aller se scolariser en français… dans d'autres écoles. Mais qu'à cela ne tienne : Frank Paris pense que des élèves blancs ont quitté son école secondaire pour ne pas fréquenter des élèves noirs, donc pour les autrices de l'EIOEC, cela devient un « fait ». Et ce « fait » a nui au jeune Paris, notent les autrices avec empathie : « Cela a teinté sa perspective sur la façon dont la société voit les personnes noires. » Il y a aussi des passages proprement bizarres dans l'EIOEC citée par la juge Lepage. On se demande ce que certains détails foutent là… On s'égare sur la disparition tragique du petit Montréalais Ariel Jeffrey Kouakou, 10 ans, le 12 mars 2018, pour montrer que les disparitions d'enfants noirs sont traitées avec légèreté par la police canadienne… Sans citer de preuves statistiques. On cite des preuves américaines. On décrit Frank Paris comme un homme à femmes, ce qui a indisposé sa fiancée, avec laquelle on sympathise, bien sûr, mais… Mais que fait ce détail dans un rapport destiné à une juge qui doit établir une peine de prison ? On décrit aussi Frank Paris comme un homme toujours prêt à aider sa communauté. La preuve ? « Il est souvent capable de mettre les gens en lien avec ce dont ils ont besoin (recommandation de garages pour des réparations, de restaurants…). » Je n'invente pas ça : les autrices de cette « évaluation de l'incidence de l'origine ethnique et culturelle » ont pris la peine de souligner que M. Paris est généreux de ses recommandations pour des garages et des restos ! M. Paris a raconté aux assesseures Natalie Hodgson, Barb Hamilton-Hinch et Nicole Mitchell qu'une des belles périodes de sa vie fut autour de 2002, quand il avait un studio où il faisait de la musique dans la Petite-Bourgogne. Un studio portes ouvertes où les enfants venaient expérimenter avec cette récente invention, l'internet : il redonnait ainsi à la société, disent les autrices de l'EIOEC consacrée à Frank Paris. La suite du paragraphe est hallucinante de déresponsabilisation : « Bien que M. Paris ait cru qu'il servait sa communauté d'une façon positive en donnant une tribune aux artistes et l'accès à l'internet, il y vendait aussi des substances illicites. En rétrospective, M. Paris croit qu'il aurait dû cesser de vendre de la cocaïne à cette époque… » Et c'est comme ça sur 44 pages, cette « évaluation de l'incidence de l'origine ethnique et culturelle », j'en passe et des meilleures : tout est la faute de la société, rien n'a jamais été, rien n'est et ne sera jamais la faute de Frank Paris. S'il commet des crimes, si la récidive lui tombe dessus à répétition, c'est parce qu'il est noir dans une société anti-black. Et handicapé, mais ça me prendrait une autre chronique pour vous expliquer cette intersectionnalité fascinante qui pousse aussi M. Paris à la criminalité. Bref, je ne sais pas si les « évaluations de l'incidence de l'origine ethnique et culturelle » nées en Nouvelle-Écosse sont toujours de la bullshit, mais celle de M. Frank Paris, la première utilisée par une juge au Québec, m'apparaît comme ça et juste ça : de la bullshit pur jus. * Barb Hamilton-Hinch, vice-rectrice adjointe à la diversité et à l'inclusion de l'Université Dalhousie, et Natalie Hodgson sont rattachées à l'African Nova Scotian Justice Institute, une organisation qui offre du soutien juridique à la communauté noire de la Nouvelle-Écosse et a développé une spécialité dans les EIOEC. Nicole Mitchell est affiliée au Viola Desmond Justice Institute, qui offre aussi des EIOEC et dont l'objectif est de contribuer à l'émergence d'un système de justice « équitable et libre de toute discrimination ou racisme envers la communauté noire ». 1. Lisez l'article « Une première peine adaptée aux criminels racisés au Québec » 2. Lisez l'article « History Through Our Eyes: April 7, 1979, Northmount High School » de la Montreal Gazette (en anglais)

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