
Du pain, des jeux et des gardes roses !
Du pain, des jeux et des gardes roses !
Oui, la troisième et ultime saison de la série phénomène Squid Game de Netflix, en ligne depuis deux semaines, renferme des longueurs, des répétitions, des incohérences et des éléments confus.
Mais ça demeure une production avant-gardiste, originale et audacieuse, qui a pulvérisé tous les records d'écoute de la planète. Il existera un avant et un après Squid Game (Le jeu du calmar, en version française) dans l'histoire de la télévision. Qui aurait pu imaginer qu'une émission sud-coréenne aussi violente et sanglante, bricolée autour de jeux d'enfants macabres, remporterait un succès aussi fracassant ?
Le sixième et dernier épisode de Squid Game 3 attache toutes les intrigues de façon satisfaisante, en plus d'ouvrir une porte à une possible série dérivée américaine, que chapeauterait le réalisateur David Fincher (Mindhunter, Fight Club, Seven), qui en connaît un rayon sur l'horreur et les maniaques.
J'ai d'ailleurs dû reculer plusieurs fois la scène finale de Squid Game 3 pour être certain de ne pas avoir halluciné la présence d'une supervedette hollywoodienne, qui n'avait pas été annoncée dans ce rôle très titillant. Quel punch, quand même.
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Cette troisième saison de Squid Game surpasse la deuxième, mais n'accote pas la brillance de la première, qui demeure la plus réussie, la plus aboutie et la plus surprenante. Jamais plus on n'entendra ces comptines cristallines sans penser à un massacre humain à la mitraillette.
Squid Game 3 reprend peu de temps après la mutinerie avortée de la deuxième saison, qui a décimé le bassin de compétiteurs encore dans l'arène. Le plan de révolte du brave Seong Gi-hun, le joueur vedette numéro 456, a échoué. Déprimé, écrasé et quasi aphone, Gi-hun reprend goût à ce tournoi morbide à la suite d'un évènement qui entache la crédibilité du récit, déjà assez flyé, merci.
C'est très dur à avaler comme retournement, mais bon, nous regardons ici Squid Game, où des êtres humains paumés et endettés se font fusiller par des gardes roses s'ils échouent à une partie de « un, deux, trois, soleil ». Côté plausibilité, on peut en laisser passer.
Les jeux géants de Squid Game restent les parties les plus impressionnantes et stressantes des épisodes. Après le carrousel infernal et sa ritournelle aliénante, les concurrents de Squid Game 3 s'affrontent d'abord dans une partie de cache-cache digne du pire des cauchemars.
Séparés en deux équipes, les chasseurs et les proies, les participants envahissent un immense labyrinthe rempli de recoins, de pièges et de portes verrouillées. Pour s'en échapper, il faut a) trouver la porte de sortie bien dissimulée ou b) assassiner un camarade à coups de poignard.
Cette séance de cachette débouche sur des moments d'une cruauté et d'une violence inouïes. D'autant plus que la majorité des cris de mort qui résonnent dans le labyrinthe de Squid Game 3 sont ceux de femmes que l'on égorge impunément. Sans surprise et sans divulgâcheur, vous déduisez que les candidats qui progressent le plus loin dans la joute sont tous des hommes. Ou presque.
Avant-dernière étape du concours doté d'une cagnotte de 45 millions, la corde à danser qui tourne au-dessus d'un ravin s'inscrit parfaitement dans l'esthétique gamine et terrifiante qui a forgé l'image de Squid Game. Pendant que deux poupées mécaniques activent une longue corde métallique, les concurrents doivent traverser une poutre et sauter de façon synchronisée pour éviter d'être fauchés et de tomber dans le précipice.
PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX
Une des terrifiantes poupées mécaniques qui fait tourner la corde à danser de l'avant-dernier jeu
Peu de gens en uniforme sarcelle survivent à cette boucherie pour atteindre le jeu final : une version sauvage du roi de la montagne. Si vous pensez que Game of Thrones zigouille trop de personnages principaux, vous n'êtes pas prêts pour le carnage qui s'abat sur Squid Game 3. Hécatombe n'est pas un mot assez fort pour décrire le charnier qui vous pend au bout du nez.
De retour alors que personne ne les réclamait, les clients VIP de Squid Game, ceux qui paient pour assister – en vrai – à cette compétition sinistre, n'apportent rien de constructif ou d'intéressant à cette fable sur le pouvoir corrupteur de l'argent. Ces spectateurs VIP portent des costumes loufoques, utilisent des jumelles d'opéra ridicules et s'expriment comme dans une pièce de théâtre d'été.
Ils sonnent super faux quand ils commentent l'action, comme s'il s'agissait d'un match de hockey ou d'une course de chevaux.
Bien sûr, on comprend que ces VIP incarnent la facette la plus horrible des ultrariches, qui deviennent déconnectés, insensibles et barbares, assis sur leur pile de fric. Mais ça ne marche juste pas.
À l'extérieur des installations futuristes de Squid Game, le détective Hwang s'acharne à retrouver l'île mystérieuse où son grand frère In-ho supervise l'organisation de ces olympiques du sadisme.
Squid Game est l'émission où les personnages se remettent le plus rapidement de blessures graves. Mollet lacéré, rein perforé ou cheville fracturée, pas de problème, ce n'est pas une rafale de balles qui les empêchera de sortir un rival de la course.
Mais, que voulez-vous, c'est Squid Game. On rabat le masque sur notre visage et quand vient le temps de voter X ou O, on choisit la deuxième option. Juste pour une autre ronde.
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6 hours ago
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Le retour des Éternels Pigistes
Les comédiens des Éternels Pigistes avec le metteur en scène Cédrik Lapratte-Roy (au centre) lors des répétitions dans le décor de la pièce Flambant nue La Presse a vu en juillet les répétitions du nouveau spectacle des Éternels Pigistes, Flambant nue. Une comédie à sketchs « existentialiste, sur le sens de l'univers », signée par l'auteur Pierre-Michel Tremblay. Près d'une décennie après Pourquoi tu pleures… ?, au TNM, cette production de l'agence Concertium marque le grand retour du quatuor d'interprètes qui présentera sa création en tournée au Québec. La troupe Les Éternels Pigistes a vu le jour en 1996, lorsque le comédien Patrice Coquereau – qui a quitté la compagnie depuis – a eu l'idée de réunir des amis acteurs au théâtre juste pour le bonheur de travailler ensemble. Trois décennies plus tard, Isabelle Vincent, Christian Bégin, Marie Charlebois et Pier Paquette retrouvent « leur carré de sable » avec autant de folie, et de bonheur, qu'au début du collectif de création. La Presse les a rejoints, par un bel après-midi de juillet, dans la salle de répétition au-dessus du Théâtre Denise-Pelletier, à Montréal. Quelques semaines après son départ subit, la présence lumineuse de Claude Poissant semble toujours habiter l'espace… Alors que le quatuor d'interprètes peaufine son prochain spectacle, sous la direction de Cédrik Lapratte-Roy, un jeune metteur en scène qui s'est naturellement greffé au groupe de sexagénaires. PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE Le metteur en scène Cédrik Lapratte-Roy, en marge d'une répétition de la pièce Flambant nue qu'il dirige Dès le premier jour, on m'a accueilli comme un bon ami. Comme si j'avais toujours fait partie de la gang. Cédrik Lapratte-Roy, metteur en scène « On travaille fort en collaboration, et on s'amuse beaucoup. Les membres des Éternels ont la même dynamique de travail que moi, le même genre d'humour que je cultive avec ma propre compagnie », dit le metteur en scène en faisant allusion au Théâtre La Moindre des Choses (Terrain glissant, à la salle Fred-Barry, en 2024). La tragi-comédie humaine Depuis près de 30 ans, les spectacles des Éternels Pigistes explorent les relations humaines avec humour et gravité. « Leurs pièces sont caractérisées par des dialogues authentiques et une capacité à aborder des thèmes profonds avec légèreté. […] Pour mettre en lumière les contradictions et les complexités de la nature humaine, souvent avec une touche d'autodérision », résume-t-on sur le site de la compagnie. Avec Flambant nue, le quatuor revient à ses premières amours. Il crée une pièce à sketchs tragi-comique, dont le propos marie le sérieux et l'irrévérence. Les thèmes de l'actualité sont abordés avec un angle juvénile, voire burlesque. « On a autant de plaisir qu'au début, soutient Christian Bégin. Même si – et je parle ici en mon nom personnel – c'est plus stressant de jouer au théâtre en vieillissant. J'ai l'impression que ça va boucler une boucle. On va fêter nos 30 ans, l'an prochain. » Alors, pour moi, Flambant nue complète un cycle de façon magnifique après toutes ces années. Christian Bégin PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE Le comédien Christian Bégin, avec en arrière-plan Isabelle Vincent et Marie Charlebois, en répétition en juillet dernier Plaisir de jouer Après avoir mis en scène cinq spectacles de la compagnie, la comédienne Marie Charlebois a décidé de passer le flambeau à Cédrik Lapratte-Roy. Un metteur en scène qui, à 31 ans, aborde le théâtre et la création avec la même mentalité que les cofondateurs des Éternels. Pourquoi ? « Parce que j'avais besoin d'avoir du plaisir comme actrice, de retrouver le plaisir de jouer uniquement, sans avoir la responsabilité de la mise en scène sur mes épaules. J'ai adoré diriger les spectacles précédents. Or, j'avais besoin de prendre soin de l'actrice cette fois », explique Charlebois. PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE La comédienne Marie Charlebois dans le décor de la pièce Flambant nue Quant à Isabelle Vincent et à Pier Paquette, ils estiment que leur amicale collaboration se bonifie avec le temps et l'expérience. « Ce que j'aime, c'est qu'on amorce [un sketch] avec de grosses questions existentielles qu'on se pose tous dans une vie. Puis, très vite, on se rend compte que ce n'est pas la soirée où on règlera tous les problèmes du monde… Et on passe à autre chose en riant », conclut Paquette avant de retourner répéter avec ses éternels complices. PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE Les quatre comédiens de la pièce Flambant nue en répétition à Montréal Flambant nue De Pierre-Michel Tremblay. Mise en scène Cédrik Lapratte-Roy. Avec Marie Charlebois, Christian Bégin, Isabelle Vincent et Pier Paquette. Consultez le site des Éternels pigistes


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7 hours ago
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Ces jeunes qui ignorent la culture québécoise
Selon les chiffres de l'Enquête québécoise sur les loisirs culturels et le divertissement, seulement 8 % des jeunes Québécois de 15 à 29 ans regardent du contenu télévisuel québécois. Les résultats de l'Enquête québécoise sur les loisirs culturels et le divertissement préparée par l'Observatoire de la culture et des communications sont déprimants. En gros, on peut y lire que les jeunes de 15 à 29 ans ne sont guère intéressés par la télévision, le cinéma, la littérature et la musique fabriqués au Québec. Ils préfèrent le Made in USA ou le Made in English tout court. Plus de 80 % de ces jeunes choisissent de regarder surtout des films non québécois. Et ce, alors que ce groupe est le plus important à fréquenter les salles de cinéma (89 % des 15 à 29 ans aiment fréquenter les salles obscures). Lisez « Enquête diffusée par l'ISQ : Les contenus télévisuels québécois peinent à s'imposer chez les jeunes » Près de 65 % de ces jeunes préfèrent regarder du contenu télévisuel non québécois, que ce soit à la télévision linéaire, en service de diffusion en continu ou sur des plateformes numériques. À ce sujet, l'enquête précise que 90 % des 15 à 29 ans vivent au sein d'un ménage abonné à des plateformes non québécoises. Du côté de la musique, c'est carrément la catastrophe : moins de 4 % des 15 à 29 ans écoutent « surtout » de la musique d'artistes québécois. De manière plus générale, les chansons en français (provenant d'autres pays francophones) ne réussissent pas à séduire davantage ce groupe. Le rapport ne manque pas de souligner les écarts générationnels dans le domaine de la musique. On apprend que 24 % des 60 à 74 ans et 47 % des 75 ans et plus préfèrent la musique francophone. La littérature affiche le score le plus honorable avec 14,5 % des 15 à 29 ans qui lisent « surtout » des auteurs québécois. Face à cela, je serai lucide, mais tout de même encourageant. Ces données ne me surprennent pas une miette. Ça fait des années que les rapports se multiplient pour dire la même chose. Au cœur de cette situation, il y a évidemment l'influence des réseaux sociaux. Le rapport nous dit que 98 % des 15 à 29 les ont fréquentés au cours des 12 mois précédant l'enquête. Dans ces espaces ludiques, les barrières, notamment linguistiques, tombent. L'anglais triomphe. Combien de fois ai-je entendu au cours des cinq dernières années des parents francophones me dire que leurs enfants ont été initiés à l'anglais de cette façon et qu'ils maîtrisent maintenant mieux cette langue que le français à l'écrit. Prenez ce phénomène et jumelez-le au désintérêt pour la culture québécoise observé (c'est le rapport qui le note à plusieurs reprises) chez les personnes qui ne sont pas nées au Québec. Nous avons là un sacré défi. Bien sûr que cette érosion de l'intérêt pour la culture québécoise est absolument inquiétante. Mais je refuse de blâmer cette génération qui a grandi avec un téléphone intelligent dans la paume de la main. Si, jeune adulte, je me suis abreuvé de culture québécoise sous toutes ses formes, je n'ai aucun mérite. Il y avait un contexte social et politique qui favorisait ça. Aujourd'hui, les jeunes évoluent dans un univers numérique qui leur fait croire que le monde est à leur portée. Nous ne sommes pas les seuls à vivre ce phénomène. Ce qui nous différencie d'autres sociétés, c'est la très grande vulnérabilité de notre culture. C'est pour cela que nous ne pouvons regarder ça passivement. Au cours des dernières années, les jeunes sont devenus à la fois consommateurs et producteurs de culture. Est-ce qu'on comprend suffisamment ce concept ? Le « on » est pour les décideurs du monde de la culture. Faisons-nous correctement les choses et travaillons-nous encore trop souvent selon de vieux modèles ? Je crois que oui. Et la raison est fort simple : le modèle classique de consommation de culture plaît (encore pour le moment) à une population plus âgée qui est indispensable à l'obtention de cotes d'écoute et, incidemment, d'annonceurs et de subventions. Le problème, c'est que nous n'avons pas les moyens de nous offrir un système à plusieurs vitesses qui pourrait pourchasser plusieurs lièvres à la fois. Ça requiert trop de ressources, trop de moyens. Grâce à son confortable budget, Radio-Canada réussit à créer des satellites numériques de toutes sortes pour diversifier son public. Mais pour les médias privés, c'est une autre paire de manches. Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'en matière d'argent public, les pointes de la tarte s'amenuisent à vue d'œil. Cela dit, je suis rassuré par la prise de conscience qui existe. Tant au fédéral qu'au provincial, il y a une volonté d'agir sur tous les fronts. À Québec, tous les partis s'entendent pour dire qu'il faut défendre et protéger la culture québécoise et le travail de ses créateurs. On parle de découvrabilité. C'est une arme qui va aider, mais qui ne réglera pas tout. On parle aussi d'une modernisation des programmes dans le secteur de l'audiovisuel. Le rapport doit être déposé très bientôt. On a hâte de voir ce qu'il contiendra. Ce qu'il faut éviter, c'est un trou. Si la génération actuelle des 15 à 29 ans s'éloigne définitivement de la culture québécoise, il ne sera plus possible de rattraper cela avec celle qui suivra. Il y a un gros travail de transmission générationnelle à faire. Ça tombe bien, c'est exactement ce qui va se produire vendredi soir, à Québec, lors du spectacle L'été de mes chansons de la SuperFrancoFête, où une cinquantaine d'artistes vont raconter 50 ans de chansons. Ariane Roy, Lou-Adriane Cassidy, Lydia Képinski, Les Louanges, Pierre Kwenders, Hubert Lenoir et plusieurs autres vont entourer cinq figures qui vont incarner à leur façon une décennie musicale, de 1975 à aujourd'hui : Michel Rivard, Mara Tremblay, Damien Robitaille, Ariane Moffatt et Pierre Lapointe. Ces gens vont chanter sur une grande scène installée à l'Agora du Port de Québec et le spectacle atterrira en direct sur votre téléphone, votre tablette ou votre ordinateur. Je sais que dans le public, il y aura beaucoup de jeunes, comme ce fut le cas l'été dernier. Le secret d'une victoire est souvent dans le choix du champ de bataille. Consultez le site de l'enquête Consultez la page du spectacle L'été de mes chansons


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a day ago
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Une bibliothèque comme une petite librairie
En ce 12 août, où le livre québécois est à l'honneur, Jules Faulkner Leroux, facteur et écrivain, nous donne sa définition bien à lui de ce que pourrait être une bibliothèque idéale Jules Faulkner Leroux Facteur et écrivain* Je semble avoir développé ce qui pourrait s'apparenter à une relation malsaine avec les livres. Une compulsion, voire une dépendance. Car pour l'instant, il ne s'agit pas de les lire, mais de les posséder. Probablement la pire raison pour aimer la littérature, me direz-vous. Bref, ma bibliothèque déborde et mes piles à lire s'érigent en petits stacks, ici et là dans ma maison. Derrière ce désir il y a, comme pour la plupart des histoires d'amour, une attirance physique : l'objet-livre me fascine. Je ne peux m'empêcher de le saisir, mes mains doivent le parcourir et faire défiler ses pages, je dois aussi le sentir. Mais lorsqu'on a plus de livres qu'on ne saurait en lire, force est de constater que, pour soi, « avoir » est la réelle motivation et que « lire » est un accessoire que l'on remettra à plus tard – mais à quand, au fait ? À cette angoisse littéraire (et financière aussi, il faut le dire), j'ai pu trouver, au fil du temps, différentes théories déculpabilisantes qui m'aident à justifier l'accroissement perpétuel de ma bibliothèque. La bibliothèque-cellier La première théorie que j'ai trouvée veut qu'une bibliothèque ne soit pas différente d'un cellier : on ne boit pas toutes les bouteilles de vin que l'on achète le même jour. Comme pour certaines bonnes bouteilles, on se garde des livres et on les ressortira plus tard, lorsqu'on aura envie de rencontrer un nouvel ami ou d'en retrouver un. J'ajoute à cette théorie qu'on peut relire un livre autant de fois qu'on en ressent l'envie. Alors, bien souvent, le livre nous en donne encore davantage ; c'est qu'entre-temps nous avons mûri, telle une bonne bouteille, et ce livre que l'on pense déjà connaître s'ouvre soudainement sur de nouvelles notes. Enfin, la bouteille de vin doit se racheter chaque fois qu'elle se vide. Grâce à la relecture, la collection de livres est donc plus économique. Oui, l'ivresse a bien meilleur coût. La bibliothèque-pharmacie Une autre théorie, attribuée à Umberto Eco, pousse le raisonnement plus loin : notre bibliothèque ne serait pas un cellier, mais une pharmacie. Et comme il nous est impossible de savoir de quel mal nous souffrirons, il est plus sage de posséder de façon préventive tous les remèdes. Ainsi, le moment venu, il suffira de se diriger vers notre bibliothèque-pharmacie et de sélectionner le livre qui soignera notre état d'esprit. Les mots savent soigner les maux, ça, n'importe quel pharmacien ou psychologue vous le confirmera. De mon côté, je dois concéder que mon rapport aux livres n'est ni épicurien ni pharmaceutique. Il s'agit plutôt, comme mentionné précédemment, d'un rapport tout à fait malsain : il me faut les posséder. Lorsque je les vois, jolis, fraîchement imprimés, et que leur quatrième de couverture est écrite pour moi, il me faut les avoir, tout simplement et sans autres considérations. Mais il y a autre chose. C'est que j'aspire moi aussi à devenir écrivain et, par une superstition tout à fait ésotérique, j'ai secrètement espoir qu'en me procurant ce nouveau livre et en l'insérant tout bonnement dans ma bibliothèque, ses qualités littéraires et le génie de l'auteur s'infuseront aussitôt en moi, par un phénomène magique de percolation – je sais le ridicule de la chose, inutile de me le rappeler. En plus des nouveaux livres que j'achète dans les librairies, en plus des très nombreux livres que j'achète dans les librairies de livres usagés, j'emprunte aussi des livres à la bibliothèque. C'est que la bibliothèque est parfois mon bureau d'écriture. Lorsque j'y vais, avant d'y poser mon postérieur, je m'arrête souvent devant le présentoir, à l'entrée. Là, on ne retrouve pas les livres de l'heure, ceux dont on nous a déjà vendu les mérites. On retrouve plutôt les recommandations des bibliothécaires. Un choix aussi riche qu'éclectique. Des livres, à mon avis, potentiellement plus intéressants que les buzz littéraires de l'heure, car avant ce moment, je ne savais pas encore que j'en avais besoin. Ce riche terreau littéraire, dénué de tout intérêt mercantile et qui ne repose sur rien d'autre que l'humeur d'un ou une bibliothécaire, me permet de croire, un instant, en la découverte d'un trésor qui ne demande qu'à être cueilli. Ma théorie : la bibliothèque-librairie Pour justifier mes (trop) nombreux achats, j'ai fini par élaborer ma propre théorie : on doit faire de sa bibliothèque non pas un cellier ni une pharmacie, mais une petite bibliothèque municipale, ou, encore l'étalage d'une librairie qui mettrait de l'avant non pas les nouveautés du moment, encore moins le palmarès des ventes, mais les coups de cœur des libraires. En somme, on doit posséder suffisamment de livres non lus pour que, bien longtemps après l'excitation suivant la parution du livre que tout le monde s'arrache un certain 12 août, on puisse le découvrir, seul, chez soi, comme pour la première fois. La rentrée littéraire d'automne, la rentrée littéraire d'hiver, les parutions des livres « de plage » et le 12 août sont tout autant de wagons remplis à ras bord. Oui, il est opportun d'acheter son billet à l'avance, mais parfois, il est bon de laisser passer quelques trains avant d'entreprendre ce genre de voyage. Alors, on bénéficie d'un siège de choix, sur le bord de la fenêtre, et le paysage s'offre entièrement à nous : la vue est dégagée et il n'y a plus toute cette rumeur qui nous somme d'en profiter ; on est alors disposé à découvrir un trésor qui était juste là, devant nous, dans notre bibliothèque-librairie. Quelle que soit votre approche pour votre bibliothèque personnelle, je vous souhaite de trouver, ce 12 août, le trésor que vous recherchez. Mais gardez en tête qu'au-delà des écus étincelants, les perles, elles, mettent du temps, beaucoup de temps, à arriver à terme. * L'auteur publiera le court roman La rue dévore le 24 septembre aux éditions L'Interligne. Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue