logo
Un petit périmètre infini

Un petit périmètre infini

La Presse7 hours ago
Je désirais partager un inédit issu de mes carnets de Shéhérazade que j'écris depuis longtemps couchée dans ma chambre. J'espérais être arrivée au bout de ma peine comme de mes pages pour en livrer le tout dernier fragment, racontant la joie du bout de mon chemin, manifestant que toute tristesse se traverse. Mais… avec mon corps qui ne collabore pas bien, force est d'admettre que ce dénouement ne s'écrit pas encore.
Isabelle Dumais
Artiste visuelle, poète et enseignante, collaboration spéciale
(Petit corps sans mains aux bras, à petits pas, avance encore. Traverse.)
Si j'arrivais à écrire cette sortie du bois de mon corps triste, j'y raconterais la joie de nos égarements et déplacements nécessaires dans l'univers pour y trouver notre place, même si les miens vers ma classe de peinture − qui était, je le croyais, mon vrai lieu − m'ont menée aussi, avant de m'effondrer, jusqu'à cette chambre étroite où maintenant j'écris, un peu.
« Il n'y a que ma chambre […] où je suis bien », écrivait Le Clézio dans L'extase matérielle. Cette place « [o]ù les aventures et les voyages commencent et se terminent », ces « quelques mètres carrés, très limités », forment dorénavant vraisemblablement mon lieu. Je n'ai que ma chambre, mais c'est ma chambre à moi (pour citer cette fois Virginia Woolf). Et je suis reconnaissante que ce soit, somme toute, une belle place.
Car c'est une chambre avec vue.
PHOTO ISABELLE DUMAIS, FOURNIE PAR L'AUTEURE
Le fleuve Saint-Laurent
Dans leur essai-manifeste Ce qui ne peut être volé, la philosophe Cynthia Fleury et le designer Antoine Fenoglio nomment comme premier élément du bien commun à préserver « la perspective », et l'importance qu'en nos lieux nous puissions toujours « accéder à une vue ». « Voir l'horizon » est une « nécessité journalière » dont beaucoup trop d'êtres sur terre sont scandaleusement privés (et radicalement d'ailleurs, si l'on est aujourd'hui par exemple, mais pas seulement, une femme afghane).
Si, pour de longues heures, il n'y a pour moi maintenant que ma chambre, j'aime qu'au troisième étage d'un bloc centenaire, près d'un cimetière, elle m'offre une vue sur des grands cèdres où chantent les oiseaux.
Je ne vois pas le fleuve à la fenêtre de ma chambre. Mais par temps gris ouaté de chagrin opaque, je souris d'entendre aussi les cornes de brume des bateaux.
Car ma chambre a un fleuve proche.
(Petit corps triste, va saluer le fleuve au bout de la rue.)
En cinq minutes à peine, mes pieds peinés me rapprochent du bien-aimé ; le Saint-Laurent soudain à mon chevet, la perspective alors s'offre vraiment, change.
À deux pas de son torrent calme, je médite, fixe d'abord les vagues dans lesquelles mon corps triste, qui ne l'est alors presque plus, ne plonge pas. C'est qu'en bonne Clarissa Dalloway aimant la vie, je lève ensuite la tête, porte mon attention plutôt sur l'horizon devant. (En fait, j'aime tourner la tête de droite à gauche et constater : le fleuve beaucoup plus étendu que moi.)
J'ai un ami qui, lorsque nous allons saluer le fleuve ensemble, aime regarder à droite pour contempler le pont. Il dit rêver avec lui de tout ce qui nous relie au monde. Je prends un moment exemple sur lui, regarde vers l'ouest, rêve de mes liens à prendre soin, bien que cette passerelle me rappelle aussi avec nostalgie tout ce qui me relie à ma vie debout longtemps d'avant.
Si je préfère regarder vers l'est, ce n'est toutefois pas que pour regarder ailleurs que dans mon passé au corps encore flamboyant. C'est parce que je sais que par-là, au loin, le fleuve devient mer. Et j'aime en imagination suivre son flot et devenir océan…
(Mon fleuve-océan proche ouvre l'espace pleureur de mes bras sans mains.)
PHOTO ISABELLE DUMAIS, FOURNIE PAR L'AUTEURE
Le fleuve Saint-Laurent
En remontant lentement les trois étages vers ma chambre avec vue sur les cèdres seulement, je fais chaque fois une Gatien Lapointe de moi et chante aussi mon Ode au Saint-Laurent, la tête pleine de large.
Le Clézio avait compris quelque chose quand il écrivait : « Quelques mètres carrés infinis […] voilà le pays. » Si j'arrivais à écrire ce dernier fragment joyeux de mes carnets, je crois que c'est ce que j'y dirais aussi.
Et je savourerais ensuite ma chance de retrouver ma chambre sans papier peint, comme celui-là jaune à motifs de Charlotte Perkins Gilman dans lequel on cherche normalement à se perdre en y plongeant des yeux quand un corps-prison comme le mien est contraint à ne presque plus bouger. Si j'avais une telle tapisserie, je n'y plongerais pas de toute façon, là non plus. Je ne voudrais plus m'évader de ma vie minuscule. Je serais même joyeuse.
Puisque j'ai une chambre avec vue et un fleuve-océan proche. Ce petit périmètre infini est mon pays. La beauté est là. C'était jusque-là pour moi inédit.
(Et vous ? Comment allez-vous, sur votre tout petit bout de beau pays proche ?)
Qui est Isabelle Dumais ?
Isabelle Dumais est une artiste visuelle et écrivaine qui vit à Trois-Rivières et a enseigné les arts visuels au cégep de Drummondville. Elle a fait paraître trois livres de poésie aux Éditions du Noroît, dont le plus récent (Les grandes fatigues, 2019) a remporté le prix du Livre de l'année en Mauricie et le prix Gérald-Godin, puis a été finaliste au prix Alain-Grandbois.
1. Lisez la chronique « L'école de la 55 » de Mathieu Bélisle
Consultez les autres textes de la série « L'école de la 55 »
Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue
Orange background

Essayez nos fonctionnalités IA

Découvrez ce que Daily8 IA peut faire pour vous :

Commentaires

Aucun commentaire pour le moment...

Articles connexes

Des séries avec Jude Law, Ethan Hawke et Toni Collette seront présentées
Des séries avec Jude Law, Ethan Hawke et Toni Collette seront présentées

La Presse

time37 minutes ago

  • La Presse

Des séries avec Jude Law, Ethan Hawke et Toni Collette seront présentées

(Toronto) Des poids lourds du grand écran sont omniprésents dans la programmation du petit écran du Festival international du film de Toronto (TIFF), qui présentera en avant-première de nouvelles productions mettant en vedette Jude Law, Jason Bateman, Toni Collette, Ethan Hawke et Mae Martin. Cassandra Szklarski La Presse Canadienne Les organisateurs du festival annoncent que la programmation « Primetime » commencera avec The Lowdown de la chaîne Hulu, du cocréateur, scénariste et réalisateur de Reservation Dogs, Sterlin Harjo. Ethan Hawke y incarne un journaliste citoyen de Tulsa obsédé par la dénonciation de la corruption. Par ailleurs, Netflix débarque avec deux miniséries : Black Rabbit, avec Jude Law et Jason Bateman dans les rôles de frères gérant un restaurant et un salon VIP à Manhattan et le drame canadien Wayward, sur une école pour adolescents en difficulté, avec Mae Martin, Toni Collette, Ryan Scott et Sarah Gadon. La programmation laisse entrevoir l'ampleur du vedettariat que l'on retrouvera à la 50e édition du TIFF, qui se tiendra du 4 au 14 septembre. Les organisateurs précisent que toutes les projections « Primetime » comprendront une séance de questions-réponses approfondie avec les créateurs et les acteurs. Le TIFF a également annoncé 48 films dans son programme « Short Cuts » et a lancé un nouveau prix pour le meilleur court métrage d'animation, qui s'ajoute aux deux prix du festival pour les courts métrages internationaux et canadiens. Parmi les 48 courts métrages présentés en avant-première mondiale, on trouve Dust to Dreams, réalisé par l'acteur britannique Idris Elba et mettant en vedette le chanteur Seal, et The Contestant, avec David Hasselhoff, du duo Patrick Xavier Bresnan et Ivete Lucas. Parmi les premières nord-américaines, on trouve Talk Me de Joecar Hanna, produit par Spike Lee, et The Non-Actor, avec Maya Hawke et Victoria Pedretti. Parmi les 20 titres canadiens, on compte The Girl Who Cried Pearls des artisans nommés aux Oscars Chris Lavis et Maciek Szczerbowski, ainsi que la satire Bots des réalisateurs de Scarborough Rich Williamson et Shasha Nakhai. Kelly Fyffe-Marshall, à l'origine du long métrage When Morning Comes présenté au TIFF en 2022, rejoint la sélection des courts métrages avec Demons, tandis que Chelsea McMullan, du documentaire sur le ballet Swan Song du TIFF 2023, revient avec Healer.

Agression sexuelle à Rimouski en 2000
Agression sexuelle à Rimouski en 2000

La Presse

time2 hours ago

  • La Presse

Agression sexuelle à Rimouski en 2000

Le chanteur Luck Mervil a été déclaré coupable d'agression sexuelle, 25 ans après avoir violé une femme de 19 ans dans une chambre d'hôtel de Rimouski après un spectacle. « Il n'y a pas de doute raisonnable sur sa culpabilité. Il est clair dans l'esprit du tribunal que la victime a vécu une agression sexuelle ce soir-là », a dit le juge James Rondeau dans sa décision rendue jeudi matin. Le procès de Luck Mervil, accusé d'agression sexuelle, s'était tenu en février dernier. La victime y avait décrit une soirée de Saint-Jean-Baptiste cauchemardesque et humiliante. Selon son récit, l'artiste, rencontré dans un bar de Rimouski, l'avait droguée puis violée dans une chambre d'hôtel dans la nuit du 23 au 24 juin 2000. Luck Mervil avait tout nié en bloc lors de son témoignage. L'accusé estimait que la plaignante avait fait erreur sur la personne. L'ex-chanteur du groupe Rudeluck, entre autres connu pour sa performance dans la comédie musicale Notre-Dame de Paris, avait même nommé plusieurs exemples de célébrités québécoises noires avec qui il se faisait souvent confondre à l'époque de l'agression. D'autres détails suivront.

Trois événements pour les 10 ans du Montréal Plaza
Trois événements pour les 10 ans du Montréal Plaza

La Presse

time2 hours ago

  • La Presse

Trois événements pour les 10 ans du Montréal Plaza

La table pour quatre avec la maison à l'envers suspendue, une place prisée du Montréal Plaza. Un des restaurants plus iconiques et uniques de Montréal, Montréal Plaza, célèbre en grand ses 10 ans d'existence en août. C'est le 29 août 2015 que l'établissement mené par l'inséparable duo composé de Charles-Antoine Crête et Cheryl Johnson a vu le jour, sur la Plaza Saint-Hubert. Depuis, l'endroit est devenu un incontournable de la métropole, que ce soit de par son ambiance unique et festive, sa décoration ludique, son accueil chaleureux ou son menu inspiré et créatif qui met en valeur les produits de saison et les producteurs d'ici. PHOTO NINON PEDNAULT, ARCHIVES LA PRESSE Cheryl Johnson et Charles-Antoine Crête quelques jours avant l'ouverture du Montréal Plaza, le 20 août 2015. Pour souligner ces « dix ans de folie », l'équipe a préparé trois événements en collaboration avec des amis de la maison. Le mercredi 13 août, un menu dégustation 6 services sera créé en collaboration avec le chef Samy Benabed, de l'Auberge St-Mathieu, avec un accord de vins du vignoble de l'Ardennais (145 $ le menu, 65 $ pour les accords). Le 20 août, les cocktails seront à l'honneur avec la présence de Maximilien Jean, du bar Cloakroom, qui proposera une carte spéciale pour l'occasion. Le tout culminera le 27 août avec nul autre que Marc-Olivier Frappier, chef du Vin Mon Lapin, qui s'invite dans les cuisines du Montréal Plaza. Il est déjà possible de réserver sa place pour les deux premières soirées ; suivez les réseaux sociaux du restaurant pour l'ouverture des réservations de la soirée de clôture. Consultez la page Instagram du Montréal Plaza

TÉLÉCHARGER L'APPLICATION

Commencez dès maintenant : Téléchargez l'application

Prêt à plonger dans un monde de contenu mondial aux saveurs locales? Téléchargez l'application Daily8 dès aujourd'hui sur votre app store préféré et commencez à explorer.
app-storeplay-store