logo
Mémoires d'un transfuge

Mémoires d'un transfuge

La Presse17-07-2025
À l'aube du Festif ! de Baie-Saint-Paul, Antoine Corriveau nous entraîne dans les coulisses de son parcours de musicien, de graphiste pour un festival à artiste accompli qui foule les scènes.
Antoine Corriveau
Auteur-compositeur-interprète
C'était, si je ne me trompe pas, en 2007 ou 2008. Je faisais déjà de la musique, mais j'avais encore pas mal de croûtes à manger. J'habitais toujours Trois-Rivières, mais je préparais mon éventuel départ pour Montréal, où j'allais devenir, j'en étais sûr, un chanteur à succès. J'avais trouvé une petite annonce pour une job de graphiste. C'était un contrat de six mois pour un festival de musique. Ça tombait bien, car je comptais justement quitter ma ville natale à la fin du festival.
Kathy, celle avec qui j'allais travailler étroitement, a mis la table au premier jour en me disant que c'était une année critique pour eux. L'année d'avant, ils avaient fait des choix de programmation audacieux. Ils avaient essayé de rejoindre les jeunes et ça s'était plus ou moins bien passé. La pression sur les épaules de Stéphane – le big boss – était énorme et cette année-là, ça passait ou ça cassait avec la Ville pour le financement.
Ils ne lésinaient pas sur l'effort pour faire peau neuve. Ils allaient changer de nom, de logo, de personnalité. C'est moi qui allais devoir refaire leur image. Ça avait du sens puisque mon poste était un poste de graphiste.
PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE
Antoine Corriveau
Je ne peux pas dire que je n'avais pas un peu bullshité sur mon expérience pour avoir la job, mais ça avait marché. On y avait cru.
Le moment où j'avais bien failli être démasqué, c'est quand Fanny et Joanie (qui travaillaient aux communications) m'avaient demandé de faire imprimer le nouveau logo sur un grand carton pour la rencontre du C.A. en soirée. J'avais travaillé le logo en beaucoup trop petit et on me demandait de le faire imprimer 10 fois plus gros. « Pas de trouble, j'envoie ça. » J'avais 20 minutes pour apprendre comment agrandir une image sans perdre de qualité et j'avais dû me résigner à envoyer une version imparfaite, retracée approximativement, pour que le tout soit imprimé dans les temps.
Quand Fanny et Joanie étaient revenues de chez l'imprimeur avec le carton, elles étaient venues dans mon bureau pour me dire que le logo « sortait bizarre ». J'ai regardé le carton en silence, l'ai étudié brièvement et en le rejetant brusquement sur mon bureau, j'ai dit, avec toute l'assurance du monde : « Voyons donc, c'est qui cet imprimeur-là ? » On n'allait plus jamais faire affaire avec eux, et j'avais 24 heures pour apprendre à faire ma job.
Cette job s'est révélée assez variée. Entre deux mandats de graphisme, j'aidais à faire la programmation des shows dans les bars en soumettant les liens de mes MySpace préférés (Le Husky, Émilie Proulx ou Chocolat).
J'étais même parvenu à me booker en show moi-même et à inscrire mon nom en pas trop petit sur l'affiche.
Durant le festival, il ne restait plus grand-chose à faire demandant la suite de logiciels Adobe, mais j'étais là, dans le quartier général, à prêter main-forte pour n'importe quoi. Aller chercher des chaises de plus pour telle scène, apporter le craft (le lunch) dans la loge du gros stage, protéger une guitare de la pluie ou faire plastifier une « passe Artiste » pour un invité de dernière minute.
Des années plus tard, lorsque j'ai commencé à être invité à jouer en festival, j'ai décidé de conserver ces fameuses « passes Artiste » à mon nom. Après quelques années (et un peu plus de festivals que je m'étais imaginé), ma pile considérable de cartons plastifiés a pris le chemin des poubelles lors d'un de mes multiples déménagements.
PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE
Antoine Corriveau
J'ai compris à ce moment-là que je n'avais pas besoin de garder tout ça pour me souvenir que j'ai joué sur des grandes scènes extérieures à Saint-Jean-sur-Richelieu ou à Québec, dans une tente à Granby ou à Petite-Vallée, chez un disquaire à Saint-Hyacinthe, dans un demi-sous-sol de Trois-Rivières où les égouts avaient refoulé le matin du show, dans un sous-sol d'église à Tadoussac, sur un quai ou dans une chapelle à Baie-Saint-Paul, sous le soleil de midi à Sherbrooke (on avait fait cuire un œuf sur la cymbale en rappel), dans un parc botanique à Rouyn-Noranda, dans un autobus à Laval, au pied des chutes Niagara ou dans une petite cabane à Natashquan.
Ces souvenirs-là sont impérissables parce que les souvenirs d'été sont toujours impérissables, noués qu'ils sont avec cette joie de jouer dehors, malgré l'orage ou le coup de soleil qui menace.
S'ils sont un peu le party de bureau des musiciens et des musiciennes, qui pour une rare fois se retrouvent ensemble dans la même ville au même moment, les festivals sont aussi l'occasion de jouer dans des contextes qui sortent de l'ordinaire et devant des foules qu'on ne renierait pas le reste de l'année.
Aujourd'hui, ça me frappe, combien tous les festivals qui m'ont reçu ont toujours pris un risque. Et combien ils sont de plus en plus rares, heureusement, les festivals qui jouent safe.
Chaque soir de mon contrat de l'époque, lorsque le show principal commençait sur la grande scène, c'était la fin de notre journée à nous. Je retrouvais Kathy, Fanny et Joanie sur le toit des bureaux temporaires, qui donnaient en plongée sur la foule au rendez-vous.
C'était plein tous les soirs. Eux avaient dû jouer safe, cette année-là. Que des gros noms, des valeurs sûres, des artistes qui plaisent à tout le monde (sauf aux jeunes).
Je trouvais ça triste pour ma ville, mais ça me rendait heureux pour le festival et son équipe : Stéphane, Kathy, Fanny, Joanie, Jeanne et Jean-Pierre. Cette belle bande allait faire plaisir au maire et à deux ou trois personnes haut placées, puis le festival allait être renouvelé.
Quand je pense aux festivals, les sourires des festivaliers et des festivalières me viennent en tête, oui, les effusions de bonheur de retrouver des collègues artistes aussi, mais ma pensée la plus profonde est pour ceux et celles qui travaillent d'arrache-pied pour faire exister tout ça, dans un contexte où chaque choix un peu téméraire est susceptible de mettre en danger leur pérennité.
Aujourd'hui je suis reconnaissant d'avoir partagé ces six mois de l'autre côté de la clôture. Je repense à Kathy, qui se pointait dans mon bureau avec deux bières, vers 18 h 45, parce qu'on était encore là, à travailler des heures pas possibles pour faire en sorte que les gens vivent quelques jours de magie dans leur été.
Je suis parti comme un voleur, le dernier soir du festival. J'ai croisé Jeanne au bureau, dans ma fuite. Je l'ai prise dans mes bras en retenant un sanglot. Je partais pour Montréal, je m'en allais essayer de vivre mon rêve et me retrouver de l'autre côté de la scène. C'était une belle aventure qui m'attendait, une aventure qui ne m'a pas vraiment déçu (ou si peu), mais je savais que je laissais une partie de mon cœur avec eux.
Je reprends la route ce 17 juillet pour aller jouer au Festif !. Il me reste encore de la place pour des nouveaux souvenirs, j'ai hâte de voir ce qui m'attend.
Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue
Orange background

Essayez nos fonctionnalités IA

Découvrez ce que Daily8 IA peut faire pour vous :

Commentaires

Aucun commentaire pour le moment...

Articles connexes

À la rencontre des artistes et des festivaliers
À la rencontre des artistes et des festivaliers

La Presse

time2 hours ago

  • La Presse

À la rencontre des artistes et des festivaliers

L'OM au pied du mont Royal Féerie musicale en plein air Pour la 10e année, le chef Yannick Nézet-Séguin et l'Orchestre Métropolitain ont convié les Montréalais au mont Royal pour un concert qui s'est avéré absolument magique. L'invité de la soirée, Pierre Lapointe, a joué un rôle essentiel dans ce moment splendide fait de musique classique et de chansons. La Presse a assisté aux dernières répétitions ainsi qu'au spectacle qui a attiré des dizaines de milliers de personnes.

Et c'est parti !
Et c'est parti !

La Presse

time4 hours ago

  • La Presse

Et c'est parti !

L'OM au pied du mont Royal Féerie musicale en plein air Pour la 10e année, le chef Yannick Nézet-Séguin et l'Orchestre Métropolitain ont convié les Montréalais au mont Royal pour un concert qui s'est avéré absolument magique. L'invité de la soirée, Pierre Lapointe, a joué un rôle essentiel dans ce moment splendide fait de musique classique et de chansons. La Presse a assisté aux dernières répétitions ainsi qu'au spectacle qui a attiré des dizaines de milliers de personnes.

Chappell Roan parle de la Saskatchewan dans une nouvelle chanson
Chappell Roan parle de la Saskatchewan dans une nouvelle chanson

La Presse

time8 hours ago

  • La Presse

Chappell Roan parle de la Saskatchewan dans une nouvelle chanson

Chappell Roan parle de la Saskatchewan dans une nouvelle chanson (Régina) La vedette de la pop américaine Chappell Roan suscite l'enthousiasme dans une province canadienne souvent négligée. Sa chanson The Subway, sortie ce vendredi, enflamme déjà les admirateurs des communautés 2ELGBTQI+ de la... Saskatchewan ! Jeremy Simes La Presse Canadienne Dans sa nouvelle pièce, qui porte sur les frustrations d'une rupture, l'auteure-compositrice-interprète évoque la Saskatchewan. « J'ai fait une promesse : si dans quatre mois ce sentiment n'est pas parti, […] je déménage en Saskatchewan », chante-t-elle. Les politiciens, les drag queens et l'agence de tourisme de la province en ont pris note, espérant que la princesse du Midwest offrira un spectacle dans cette région aux cieux immense. « Je suis un grand fan de Chappell Roan, a déclaré Blake Tait, coprésident de Saskatoon Pride. C'est tellement réconfortant pour le jeune homme que j'étais, de pouvoir aujourd'hui écouter la radio et entendre des voix queers. Je trouve que Chappell Roan le fait d'une manière vraiment intéressante, en fusionnant différents genres. » Le jeune homme de 25 ans a fabriqué un autocollant de pare-chocs avec les paroles de Chappell Roan sur la Saskatchewan l'année dernière, après qu'elle ait interprété la chanson en direct au Governors Ball Music Festival à New York. « Je pense que toutes les drag queens de Saskatoon ont envoyé un courriel à son équipe de gestion pour lui dire : 'Venez, s'il vous plaît' », a-t-il partagé. Chappell Roan, qui s'identifie comme lesbienne, est connue pour son style camp, influencé par les artistes de scène queer. L'année dernière, l'interprète de Pink Pony Club a confié au Youtuber Nardwuar qu'elle devait un spectacle à la province des Prairies. « Je ne peux pas chanter une chanson sur la Saskatchewan sans y aller et y donner un spectacle », a-t-elle lancé lors de l'entrevue. Un représentant de Roan n'a pas répondu à une demande de commentaires. Blake Tait a souligné que cette chanson arrive alors que les membres de la communauté transgenre se sentent attaqués par le gouvernement de la Saskatchewan. En 2023, le gouvernement du Parti saskatchewanais du premier ministre Scott Moe a adopté une loi interdisant aux enfants de moins de 16 ans d'utiliser des noms et des pronoms différents à l'école sans le consentement de leurs parents. Dans cette loi, M. Moe a invoqué la clause dérogatoire, une disposition qui permet aux gouvernements de déroger à certains droits garantis par la Charte pendant cinq ans. Le premier ministre a également déclaré lors de la campagne électorale provinciale de 2024 que sa première mesure serait d'interdire aux « garçons biologiques » de côtoyer des « filles biologiques » dans les vestiaires des écoles. Il a ensuite fait marche arrière. Dans ce contexte, la visite de Chappell Roan en Saskatchewan « ferait du bien à la communauté queer, selon Blake Tait. C'est difficile de voir nos jeunes queers être contraints de rentrer dans le placard ou forcés d'en sortir. » Un porte-parole du cabinet de M. Moe a refusé de commenter la nouvelle chanson de Roan. Nathaniel Teed, porte-parole de l'opposition néo-démocrate pour les questions concernant les communautés 2ELGBTQI+, a écrit à la direction de Roan cette semaine pour lui demander de lui rendre visite. Ses paroles saskatchewanaises ont « suscité une joie inattendue » et « un véritable sentiment d'appartenance », a ajouté M. Teed dans sa lettre. Le NPD a critiqué la loi provinciale sur les pronoms, soutenant qu'elle devrait être abrogée. « Notre vision est une collaboration avec Chappell qui envoie un doigt d'honneur sans compromis au sectarisme, signalant aux personnes queer et trans de la province, en particulier aux jeunes, qu'elles ne sont pas seules », a écrit M. Teed.

TÉLÉCHARGER L'APPLICATION

Commencez dès maintenant : Téléchargez l'application

Prêt à plonger dans un monde de contenu mondial aux saveurs locales? Téléchargez l'application Daily8 dès aujourd'hui sur votre app store préféré et commencez à explorer.
app-storeplay-store