
Survivrons-nous à Hiroshima ?
Quelque 16 000 tonnes de TNT, entre 70 000 et 140 000 morts. Le 6 août 1945, les Américains ont largué la première bombe atomique de l'histoire sur Hiroshima, jovialement appelée Little Boy, selon son nom de code.
Marc Tremblay
Lanaudière
La bombe avait explosé à plus de 600 mètres d'altitude, pour faire le maximum de victimes. Au début, les Japonais refusaient de croire qu'il ne s'agissait que d'une seule bombe et s'indignaient que les Américains aient pris pour cible une grande ville et des civils. Quand Fatman, la deuxième bombe, a été larguée trois jours plus tard sur Nagasaki, l'empereur Hirohito a demandé l'arrêt des hostilités. Le Japon avait perdu la guerre. Mais qu'avait gagné le monde, exactement ?
Aujourd'hui, l'horloge de l'apocalypse conçue en 1947 par des scientifiques liés au projet Manhattan indique minuit moins 89 secondes1. Elle n'a jamais été aussi proche de la fin. Plus proche encore que lors de la crise des missiles de Cuba en 1962.
Si minuit approche, c'est pour une foule de raisons, mais surtout à cause des changements climatiques et, bien sûr, de la menace nucléaire. L'intelligence artificielle s'est aussi ajoutée récemment à la liste des périls menaçant l'humanité.
Dans les années 1980, quand j'étais à l'université, la guerre froide battait son plein et nous étions hantés par la perspective de cette fin du monde auto-infligée par l'homme. Des films tels que The Day After qui illustraient les conséquences d'une guerre nucléaire ont presque traumatisé ma génération. Ronald Reagan parlait de la guerre des étoiles, ce bouclier défensif qui allait permettre aux États-Unis de prendre une longueur d'avance sur l'URSS. Les deux puissances combinées possédaient alors des dizaines de milliers d'ogives nucléaires capables de détruire le monde plusieurs fois.
Si le premier traité START conclu entre les États-Unis et l'URSS en 1991 a permis de réduire cette folle course vers la mort en forçant la destruction d'une partie de l'arsenal américain et russe, la menace nucléaire n'a pas pour autant reculé et continue à faire peser une lourde épée de Damoclès sur la planète.
Actuellement, neuf pays possèdent la bombe atomique : les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France, la Chine, Israël, la Corée du Nord, l'Inde et le Pakistan. En plus des menaces nucléaires de la Russie à l'endroit de l'Ukraine, les deux voisins du sous-continent indien sont régulièrement à couteaux tirés et Israël est mené par le gouvernement le plus belliqueux de son histoire. Il y a aussi au sud de la frontière un président très « imprévisible », pour employer l'euphémisme consacré…
Ironiquement, plutôt que de faire marche arrière dans cette folie meurtrière, nous nous apprêtons à faire le contraire, à investir des sommes inouïes dans le militaire avec un enthousiasme qui n'est pas sans rappeler l'absurde candeur de 1914 quand des soldats partaient souriant au front comme on part à l'aventure. On connaît la suite…
À une erreur de l'apocalypse
L'emploi des deux bombes au Japon en 1945 meuble les conversations des historiens depuis 80 ans : ce recours était-il justifié ? Le président Truman avait motivé le largage des bombes à Hiroshima et à Nagasaki par la vie d'au moins une centaine de milliers de soldats américains qu'il allait ainsi épargner et par l'obstination du Japon à poursuivre la guerre à n'importe quel prix. Mais pourquoi ne pas avoir largué la première bombe sur un site militaire ou industriel japonais et épargné ainsi des dizaines de milliers de vies innocentes ?
PHOTO JUNG YEON-JE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
Une télévision montrant le tir d'essai d'un missile Hwasong-17 en Corée du Nord, en 2023
Pendant 80 ans, nous avons vécu avec les enfants d'Hiroshima, je parle de sa progéniture technologique. Et entre les missiles Minuteman américains et les RS-28 russes est apparu le Hwasong-17 de la Corée du Nord. Dans un récent livre aussi fascinant qu'absolument horrifiant, Guerre nucléaire : un scénario, la journaliste américaine Annie Jacobsen imagine une guerre nucléaire totale déclenchée par seulement deux ogives nucléaires coréennes.
Le récit captivant tourne autour du « dictateur fou » et anéantit ce qui est peut-être le plus grand sophisme technologique de tous les temps : la « dissuasion nucléaire ». Ce sophisme est la présomption voulant que la destruction mutuelle empêche quiconque d'amorcer une guerre nucléaire.
Il exclut à la fois la possible folie d'un seul homme et les simples erreurs comme celle survenue en 1983. Des satellites russes avaient alors faussement signalé l'envoi de cinq missiles nucléaires américains. N'eût été le sang-froid d'un lieutenant-colonel russe, Stanislav Petrov, notre monde aurait peut-être chaviré pour de bon.
L'astrophysicien Hubert Reeves était persuadé que si une civilisation avancée existait ailleurs dans l'univers, elle aurait probablement fait face à des défis semblables à ceux auxquels nous faisons face, cette capacité d'autodestruction : « Combien de populations planétaires ont rencontré, avant nous, le tournant crucial que nous traversons en ce moment sur Terre ? […] Combien ont sombré dans le néant pour n'avoir pas su manœuvrer correctement ? Et combien ont su passer, avec succès, le test de la coexistence pacifique avec leur propre puissance ?2 »
Nul ne connaît évidemment la réponse à ces questions ! Mais si une solution existe pour surmonter l'immense défi que représente le nucléaire, elle doit nécessairement passer par la prise de conscience que le risque n'a probablement jamais été aussi élevé qu'actuellement… Survivrons-nous à Hiroshima ?
1. Consultez l'horloge de l'apocalypse du Bulletin of the Atomic Scientists (en anglais)
2. L'heure de s'enivrer : L'univers a-t-il un sens ?, Hubert Reeves, éditions du Seuil, 2016
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La Presse
4 days ago
- La Presse
Survivrons-nous à Hiroshima ?
Un guide volontaire de 12 ans offrant ses services aux touristes près du dôme de la bombe atomique, à Hiroshima, au Japon Quelque 16 000 tonnes de TNT, entre 70 000 et 140 000 morts. Le 6 août 1945, les Américains ont largué la première bombe atomique de l'histoire sur Hiroshima, jovialement appelée Little Boy, selon son nom de code. Marc Tremblay Lanaudière La bombe avait explosé à plus de 600 mètres d'altitude, pour faire le maximum de victimes. Au début, les Japonais refusaient de croire qu'il ne s'agissait que d'une seule bombe et s'indignaient que les Américains aient pris pour cible une grande ville et des civils. Quand Fatman, la deuxième bombe, a été larguée trois jours plus tard sur Nagasaki, l'empereur Hirohito a demandé l'arrêt des hostilités. Le Japon avait perdu la guerre. Mais qu'avait gagné le monde, exactement ? Aujourd'hui, l'horloge de l'apocalypse conçue en 1947 par des scientifiques liés au projet Manhattan indique minuit moins 89 secondes1. Elle n'a jamais été aussi proche de la fin. Plus proche encore que lors de la crise des missiles de Cuba en 1962. Si minuit approche, c'est pour une foule de raisons, mais surtout à cause des changements climatiques et, bien sûr, de la menace nucléaire. L'intelligence artificielle s'est aussi ajoutée récemment à la liste des périls menaçant l'humanité. Dans les années 1980, quand j'étais à l'université, la guerre froide battait son plein et nous étions hantés par la perspective de cette fin du monde auto-infligée par l'homme. Des films tels que The Day After qui illustraient les conséquences d'une guerre nucléaire ont presque traumatisé ma génération. Ronald Reagan parlait de la guerre des étoiles, ce bouclier défensif qui allait permettre aux États-Unis de prendre une longueur d'avance sur l'URSS. Les deux puissances combinées possédaient alors des dizaines de milliers d'ogives nucléaires capables de détruire le monde plusieurs fois. Si le premier traité START conclu entre les États-Unis et l'URSS en 1991 a permis de réduire cette folle course vers la mort en forçant la destruction d'une partie de l'arsenal américain et russe, la menace nucléaire n'a pas pour autant reculé et continue à faire peser une lourde épée de Damoclès sur la planète. Actuellement, neuf pays possèdent la bombe atomique : les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France, la Chine, Israël, la Corée du Nord, l'Inde et le Pakistan. En plus des menaces nucléaires de la Russie à l'endroit de l'Ukraine, les deux voisins du sous-continent indien sont régulièrement à couteaux tirés et Israël est mené par le gouvernement le plus belliqueux de son histoire. Il y a aussi au sud de la frontière un président très « imprévisible », pour employer l'euphémisme consacré… Ironiquement, plutôt que de faire marche arrière dans cette folie meurtrière, nous nous apprêtons à faire le contraire, à investir des sommes inouïes dans le militaire avec un enthousiasme qui n'est pas sans rappeler l'absurde candeur de 1914 quand des soldats partaient souriant au front comme on part à l'aventure. On connaît la suite… À une erreur de l'apocalypse L'emploi des deux bombes au Japon en 1945 meuble les conversations des historiens depuis 80 ans : ce recours était-il justifié ? Le président Truman avait motivé le largage des bombes à Hiroshima et à Nagasaki par la vie d'au moins une centaine de milliers de soldats américains qu'il allait ainsi épargner et par l'obstination du Japon à poursuivre la guerre à n'importe quel prix. Mais pourquoi ne pas avoir largué la première bombe sur un site militaire ou industriel japonais et épargné ainsi des dizaines de milliers de vies innocentes ? PHOTO JUNG YEON-JE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE Une télévision montrant le tir d'essai d'un missile Hwasong-17 en Corée du Nord, en 2023 Pendant 80 ans, nous avons vécu avec les enfants d'Hiroshima, je parle de sa progéniture technologique. Et entre les missiles Minuteman américains et les RS-28 russes est apparu le Hwasong-17 de la Corée du Nord. Dans un récent livre aussi fascinant qu'absolument horrifiant, Guerre nucléaire : un scénario, la journaliste américaine Annie Jacobsen imagine une guerre nucléaire totale déclenchée par seulement deux ogives nucléaires coréennes. Le récit captivant tourne autour du « dictateur fou » et anéantit ce qui est peut-être le plus grand sophisme technologique de tous les temps : la « dissuasion nucléaire ». Ce sophisme est la présomption voulant que la destruction mutuelle empêche quiconque d'amorcer une guerre nucléaire. Il exclut à la fois la possible folie d'un seul homme et les simples erreurs comme celle survenue en 1983. Des satellites russes avaient alors faussement signalé l'envoi de cinq missiles nucléaires américains. N'eût été le sang-froid d'un lieutenant-colonel russe, Stanislav Petrov, notre monde aurait peut-être chaviré pour de bon. L'astrophysicien Hubert Reeves était persuadé que si une civilisation avancée existait ailleurs dans l'univers, elle aurait probablement fait face à des défis semblables à ceux auxquels nous faisons face, cette capacité d'autodestruction : « Combien de populations planétaires ont rencontré, avant nous, le tournant crucial que nous traversons en ce moment sur Terre ? […] Combien ont sombré dans le néant pour n'avoir pas su manœuvrer correctement ? Et combien ont su passer, avec succès, le test de la coexistence pacifique avec leur propre puissance ?2 » Nul ne connaît évidemment la réponse à ces questions ! Mais si une solution existe pour surmonter l'immense défi que représente le nucléaire, elle doit nécessairement passer par la prise de conscience que le risque n'a probablement jamais été aussi élevé qu'actuellement… Survivrons-nous à Hiroshima ? 1. Consultez l'horloge de l'apocalypse du Bulletin of the Atomic Scientists (en anglais) 2. L'heure de s'enivrer : L'univers a-t-il un sens ?, Hubert Reeves, éditions du Seuil, 2016 Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue


La Presse
02-08-2025
- La Presse
L'a b c d'une bombe atomique
Depuis l'utilisation de la bombe atomique contre le Japon par les États-Unis, la technologie nucléaire a évolué et les armes sont devenues plus puissantes. À quel point est-il maintenant complexe de fabriquer une bombe atomique ? La Presse fait le point. Aurélie Lachapelle La Presse Comment fonctionne une bombe nucléaire ? PHOTO ARCHIVES THE NEW YORK TIMES Test nucléaire américain à Bikini, aux Îles Marshall, en 1954 Le principe au cœur de la bombe nucléaire (ou atomique, ce sont des synonymes) est la fission nucléaire : le fait de scinder un atome en deux. La fission nucléaire est un processus qui crée énormément d'énergie et de chaleur. En se séparant, l'atome libère des neutrons. Ces neutrons libérés, dans une bombe, sont les éléments qui vont scinder à leur tour d'autres atomes, qui libéreront d'autres neutrons, qui eux scinderont d'autres atomes et ainsi de suite. C'est ce qu'on appelle une réaction en chaîne. Donc, pour s'assurer que la bombe explose convenablement, il faut avoir assez de matière pour créer cette réaction en chaîne. Cette quantité minimale, c'est ce qu'on appelle la masse critique, explique Guy Marleau, professeur au département de génie physique de Polytechnique Montréal. « La masse critique, ça veut dire suffisamment de noyaux rassemblés ensemble, de façon à ce que quand la réaction de fission se passe, elle s'entretienne elle-même. Supposons que la bombe soit une sphère. Si on a une masse trop faible, ces neutrons-là vont sortir et n'auront pas le temps d'interagir avec d'autres noyaux. » De quoi est faite une bombe atomique ? PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS Les centrifugeuses de l'usine d'enrichissement d'uranium de Natanz, en Iran Certaines bombes atomiques, comme Little Boy (la bombe larguée par les États-Unis sur Hiroshima), sont des bombes à l'uranium. L'uranium 235 – aussi appelé uranium pur – est le seul élément présent dans la nature qui peut subir une fission. Mais il n'existe pas de gisement d'uranium 235. Pour en obtenir, il faut l'extraire à partir d'uranium 238 – aussi appelé uranium naturel – qui, lui, se trouve dans le sol. L'uranium, sous forme solide (plus précisément hexafluorure d'uranium), est mis dans une centrifugeuse et est évaporé. Au centre, il restera l'uranium 235 et sur les parois de la centrifugeuse se retrouvera l'uranium 238. De cette façon, on réussit à concentrer, étape par étape, l'uranium en uranium 235. Dans l'uranium naturel, il y a 0,7 % d'uranium pur. « Ce qu'on fait, c'est l'enrichir jusqu'à 90 %, 93 %, pour avoir très peu de noyaux d'uranium 238, précise Guy Marleau. L'uranium 238 empêche un peu que les réactions de fission se produisent. En enrichissant à 90 %, 95 %, on a une quantité de masse minimum nécessaire pour la fission dans une bombe qui pourrait être portée par un avion. » Et après ? PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS Le champignon au-dessus de Nagasaki à la suite de l'explosion de la bombe Fat Man, larguée par les États-Unis sur la ville japonaise le 9 août 1945 Dans une bombe atomique à l'uranium, deux masses critiques d'uranium entrent en collision pour créer l'explosion. « On prend deux masses et on les approche l'une de l'autre très rapidement en faisant sauter de la dynamite de chaque côté », dit M. Marleau. Par exemple, on pourrait avoir deux cylindres d'uranium dans une bombe : un troué, et un plus petit qui se glisserait dans l'autre. Entre les deux se trouve un matériau qui absorbe les neutrons, pour empêcher une petite explosion prématurée entre les deux masses critiques. C'est cette partie qui est la plus difficile dans la confection d'une bombe atomique, selon Guy Marleau. « Il faut prendre ces deux masses et les réunir très rapidement pour que ça ne fasse pas juste une petite explosion qui rejette les deux masses chacune dans leur position. » Mis à part l'uranium, de quoi peut être faite une bombe atomique ? PHOTO ARCHIVES REUTERS Un nuage de poussière s'élève dans le ciel de l'archipel russe de la Nouvelle-Zemble à la suite de l'explosion de la Tsar Bomba, le 30 octobre 1961. Il existe aussi des bombes au plutonium et à l'hydrogène. Les bombes au plutonium fonctionnent comme les bombes à l'uranium, mais elles sont plus puissantes. Autre différence : le plutonium n'existe pas naturellement, il faut le produire à partir d'uranium. Fat Man (la bombe larguée par les États-Unis sur Nagasaki) était une bombe au plutonium. La bombe à l'hydrogène fonctionne différemment. Plutôt que la fission nucléaire, elle fonctionne à partir de la fusion nucléaire : lorsque deux noyaux d'atomes fusionnent. « Dans une bombe à hydrogène, on a l'équivalent d'une bombe au plutonium qui réchauffe l'hydrogène suffisamment pour que la fusion se déclenche », explique Guy Marleau. Une bombe à l'hydrogène est exponentiellement plus puissante qu'une bombe au plutonium ou à l'uranium. La Tsar Bomba, une bombe soviétique considérée comme la plus puissante de toute l'histoire à avoir explosé, était 3800 fois plus puissante que Little Boy. La fission nucléaire est-elle utilisée dans d'autres contextes ? PHOTO TED SHAFFREY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS La centrale nucléaire Crane Clean Energy Center, près de Middletown, en Pennsylvanie La fission nucléaire n'est pas utilisée seulement dans les bombes atomiques. Elle produit beaucoup d'énergie, qui est transformée en électricité dans de nombreux pays. L'uranium sera donc enrichi de la même manière que lorsqu'on veut créer une bombe, mais « généralement, pour les bombes, on a besoin d'un enrichissement plus important », affirme Guy Marleau. « Habituellement, la règle de l'art, c'est 3,5 % [pour une utilisation civile]. Mais quand on veut une bombe, il faut aller chercher 90 % », explique Matthieu Lavallée, qui a travaillé dans le domaine du nucléaire à Hydro-Québec pendant de nombreuses années.


La Presse
01-08-2025
- La Presse
Nintendo écoule 5,82 millions de Switch 2 en un mois
La Switch 2 s'est écoulé le premier mois à 5,82 millions d'exemplaires selon Nintendo, qui avait précédemment annoncé en avoir vendu 3,5 millions d'unités dans le monde en seulement quatre jours, un record. (Tokyo) Le pionnier nippon du jeu vidéo Nintendo a plus que doublé son chiffre d'affaires au premier trimestre de son exercice décalé après le démarrage record de sa nouvelle console Switch 2, mais a maintenu ses prévisions annuelles vendredi. Mathias CENA Agence France-Presse La Switch 2, très attendue des joueurs après des années de rumeurs, a été commercialisée le 5 juin : elle s'est écoulé le premier mois à 5,82 millions d'exemplaires selon Nintendo, qui avait précédemment annoncé en avoir vendu 3,5 millions d'unités dans le monde en seulement quatre jours, un record. « Les chiffres du monde entier montrent qu'il y avait une demande sous-jacente sans précédent, et ce record pourrait ne plus jamais être battu par une autre console », souligne Serkan Toto, du cabinet tokyoïte Kantan Games, auprès de l'AFP. Nintendo a cependant gardé inchangées vendredi ses prévisions financières et ses modestes objectifs de ventes de consoles sur l'ensemble de l'exercice qui se terminera fin mars 2026, tablant toujours sur 15 millions d'unités. La firme basée à Kyoto (ouest du Japon) peut raisonnablement espérer en écouler 23,5 millions d'exemplaires pendant cette période, ont cependant estimé les analystes de JPMorgan en juillet. La nouvelle machine bénéficie de l'aura de la Switch première du nom, console hybride jouable en déplacement ou sur sa télévision, sortie en mars 2017 et distribuée depuis à plus de 153 millions d'exemplaires. C'est la troisième machine de jeu vidéo la plus vendue de tous les temps. Exclusivités encore rares La Switch 2 devrait significativement améliorer les résultats de Nintendo sur l'exercice 2025-2026, même si l'impact des ventes de consoles sur la rentabilité est moindre par rapport à celui des jeux, sur lesquels la marge est plus importante, ajoute Nathan Baidu, de Bloomberg Intelligence. Nintendo a pour l'heure vu son bénéfice net pour l'ensemble du trimestre avril-juin augmenter de 18,6 % à 96 milliards de yens (880 millions de dollars canadiens), et son résultat opérationnel progresser de 4,4 %. « Le volume des ventes de consoles devrait diminuer progressivement à partir de l'horizon 2026-2027, mais rester à des niveaux élevés à long terme. En revanche, les ventes de jeux en volume [y compris les anciens titres] devraient grimper » à mesure que des joueurs plus « grand public » achèteront la console, a estimé Junko Yamamura dans une récente note de JPMorgan. Les exclusivités majeures de la console sont encore rares. Le jeu Mario Kart World, disponible dès ses débuts, a été rejoint mi-juillet par Donkey Kong Bananza, salué par la critique avec un score de 91 sur l'agrégateur d'avis Metacritic, ce qui en fait l'un des jeux les mieux notés de 2025. Le jeu est perçu comme un catalyseur potentiel pour les ventes de la Switch 2. Donkey Kong est une franchise majeure de Nintendo, qui lui consacre une zone entière depuis l'automne dernier dans le parc d'attractions Universal Studios Japan. Droits de douane Il va maintenant falloir guetter les annonces de jeux exclusifs à la Switch 2, note l'analyste Yasuo Nakane de Mizuho. Le calendrier de Nintendo pour de tels titres – à même d'inciter les joueurs à acheter la console – est encore relativement clairsemé. Il compte notamment Kirby Air Riders, jeu d'action et de course prévu d'ici la fin de l'année, Légendes Pokémon Z-A (octobre) ou Metroid Prime 4 : Beyond. L'impact des droits de douane imposés par le gouvernement de Donald Trump est par ailleurs une inconnue de taille pour le résultat annuel de Nintendo. Selon Junko Yamamura de JPMorgan, la firme nipponne devrait choisir de ne pas répercuter sur ses prix de vente les surcoûts liés à la surtaxe de 20 % sur les importations américaines depuis le Vietnam, où sont fabriquées une partie des Switch 2 destinées au marché américain. Elle subirait ainsi selon cette analyste un impact négatif d'environ 30 milliards de yens (275 millions de dollars canadiens) sur son bénéfice opérationnel pour l'exercice en cours.