
En terrasse avec… Yvette Mollen
« Je regarde les enfants qui ont 3 ou 4 ans aujourd'hui et je me dis : ce sont les derniers qui parleront innu. Au moins, moi, je vais mourir avant la langue », lance Yvette Mollen.
Elle le dit comme un constat, mais sans s'y résoudre d'aucune façon. Car gardienne de la langue innue elle sera, jusqu'à son dernier souffle.
Qu'on en juge : sans relâche, elle est en train d'écrire rien de moins qu'un dictionnaire innu. Cet été, elle se promet bien, aussi, d'avancer à fond dans sa traduction du Petit Prince.
« J'en suis au tiers, ce n'est pas facile de traduire de la poésie. »
Tout ça en travaillant aussi sur un jeu vidéo pour que les enfants de 4, 5 ou 6 ans apprennent l'innu. Le prototype est terminé, il ne reste qu'à le peaufiner un peu pour tenir compte des commentaires et des expériences des enfants qui l'ont testé.
Il ne sera pas dit qu'Yvette Mollen n'aura pas tout fait pour éviter à sa langue la disparition qui touche tant de langues autochtones.
Le dictionnaire innu compte maintenant 30 000 mots. « Je ne suis pas seule à le faire, je suis aidée par une équipe de linguistes non autochtones », précise-t-elle.
D'où lui vient cette détermination à préserver l'innu ? Par une enfance tout entière baignée dans cette langue et dans les activités traditionnelles, à Ekuanitshit (Mingan), là où elle a grandi. Sa mère étant tombée malade quand elle-même n'avait que 4 ans, elle a été en bonne partie élevée par son père et par ses grands-parents.
PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE
Louise Leduc et Yvette Mollen s'entretiennent sur la terrasse de l'Hôtel Nelligan.
Mon père n'est pas parti étudier au pensionnat, il n'avait qu'une base de français, si bien qu'on ne parlait qu'innu chez nous.
Yvette Mollen
Il était aussi « l'un des derniers nomades de la communauté ». « Ma sœur et moi, on a aussi fait partie du dernier voyage de notre famille. Je nous revois, mon père marchant devant le traîneau, tiré par mon oncle. Ma sœur lançait à répétition sa poupée hors du traîneau, mon oncle avait fini par la prendre avec lui en lui disant qu'il la lui rendrait à destination. »
Et quelle était cette destination ? « Quelque part dans la forêt, mais je ne saurais plus dire où nous allions. Je n'ai plus que quelques flashs de cette époque. Mon père connaissait toutes les techniques de chasse », raconte Mme Mollen.
Yvette Mollen raconte le territoire de son enfance, sa vie de nomade, le traîneau, les tirant, sa sœur et elle, parmi les bagages. Et le temps de son récit, on oublie la terrasse à Montréal, on oublie l'espace et le temps, on est dans la forêt, à une époque où les caribous n'étaient pas en voie d'extinction.
Dans une vie, ça doit quand même faire toute une rupture, de vivre tout cela puis d'arriver en ville ? Pas tant, dit-elle. « Parfois, je perds conscience de l'endroit où je suis, que ce soit à Montréal, à Chicoutimi ou à Sept-Îles. Je m'absorbe dans mon travail. »
Selon les données de 2021, il n'y aurait plus que 28 000 locuteurs innus au Québec et au Labrador. Et même quand on parle la langue, sa richesse se perd.
La langue dépérit, du seul fait, à la base, qu'on ne connaît plus le vocabulaire du territoire. Comme on ne vit plus dans le bois, on perd les mots de la chasse, de la pêche.
Yvette Mollen
Son grand regret, c'est de ne pas pouvoir revenir en arrière et de savoir à 15 ans ce qu'elle sait aujourd'hui, à 60 ans. « Je prendrais un petit appareil et j'enregistrerais mon grand-père et mon père, j'enregistrerais tous leurs mots et toutes ces légendes qu'eux connaissaient et que nous perdons. »
Même quand Mme Mollen voit sa fille, à qui elle parle en innu, elle se désole qu'elle lui réponde souvent en français. Et si certains d'entre eux la comprennent, « jamais je n'entendrai mes petits-enfants parler innu entre eux ».
Au fil des ans, Mme Mollen a mis sur pied un programme d'enseignement de la langue innue au primaire. Elle a été l'instigatrice d'un important corpus de publications scolaires, de matériel didactique et de publications jeunesse en innu-aimun.
Et pendant le confinement pandémique, Mme Mollen s'est étonnée d'entendre sa petite-fille, tablette dans les mains, prononçant des mots dans une langue étrangère. « Elle apprenait le mandarin ! Elle prononçait les noms des animaux et le jeu la félicitait ! »
Mme Mollen a tout de suite pensé qu'il lui fallait reproduire l'idée pour l'innu.
Il fallait être créatif, et de toute urgence.
Les enfants autochtones d'aujourd'hui parlent français ou anglais. À l'école, on n'enseigne l'innu qu'une heure par cycle de huit ou neuf jours en raison d'une pénurie de personnes capables de la transmettre. Dans les communautés, on ne se rend pas compte que nos langues sont au bord du précipice.
Yvette Mollen
À son avis, ce sont toutes les langues autochtones qui le sont. « Même les Mohawks, [chez qui] il y a une renaissance, ont failli perdre leur langue avant qu'une prise de conscience soit faite et qu'on l'enseigne à l'école. »
Yvette Mollen assure qu'elle ne prendra jamais sa retraite. « Le jour où j'arrêterai de travailler, je vais commencer à mourir. »
Questionnaire estival
À quoi ressemble votre été idéal ?
Mon été idéal, c'est d'être avec mes deux filles et mes petits-enfants, réunis dans un chalet en pleine forêt, près d'un lac où l'on peut pêcher. Aller faire du canot, allumer un feu le soir et surtout écouter le silence. Le bruit incessant de la ville agace les oreilles, et ce, le jour comme la nuit.
Quel a été le plus beau voyage de votre vie ?
Les plus beaux voyages étaient ceux que je faisais à l'intérieur des terres avec mes parents et ma grand-mère paternelle. Nous pêchions la truite. Mon père chassait, pas très loin, et nous profitions de la nature immense, d'un lac ou d'une rivière. C'était magnifique de se retrouver dans le « nutshimit », l'intérieur des terres. On pouvait entendre la respiration des arbres, voir le soir tomber sur l'eau à la lueur de la lune.
L'été, quel est le plat innu dont vous ne pouvez pas vous passer ?
J'aime manger de l'outarde, du gibier tel que le canard. Il y a aussi le saumon qui est délicieux. Il faut pour cela aller dans ma communauté. Il ne faut pas oublier le pain qu'on appelle en innu « kaianauakauakanit » : de la bannique cuite dans le sable. J'aime en faire, c'est délicieux.
Êtes-vous plus mer, lac ou montagne ?
Je suis pour là où le silence règne, là où la paix existe. À Ekuanitshit, il y a une île en face de la communauté : l'île du Havre de Mingan. Souvent, l'été, nous voyons des baleines et des loups-marins le soir. Tant que c'est la forêt, c'est extraordinaire !
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