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« Je trouvais que le prix à payer était trop grand »

« Je trouvais que le prix à payer était trop grand »

La Presse13 hours ago
Cet été, nos chroniqueurs tendent la main à des artistes, des politiciens et des gens d'affaires qui se trouvent à un tournant de leur carrière. Maxime Bergeron s'est entretenu avec Joëlle Pineau, une sommité mondiale en intelligence artificielle, qui vient de quitter son poste de vice-présidente chez Meta.
Son nom ne vous est peut-être pas familier, mais l'une des plus grandes stars de l'industrie mondiale des technos est une Montréalaise. Joëlle Pineau a été pendant huit ans la patronne de la recherche en intelligence artificielle (IA) chez Meta, société derrière Facebook et Instagram.
Les centaines de chercheurs qu'elle dirigeait, partout dans le monde, ont conçu nombre d'innovations que vous utilisez peut-être au quotidien, sans le savoir.
Elle est même entrée au saint des saints de Meta pendant les 18 derniers mois, soit le comité de direction. Aux côtés d'un groupe restreint, dont le PDG Mark Zuckerberg, elle a orienté plusieurs des décisions stratégiques de l'entreprise évaluée à 2400 milliards de dollars en Bourse.
Mais tout cela est maintenant derrière elle.
La femme de 50 ans a quitté Meta à la fin de mai. Elle a renoncé à des millions futurs et au pouvoir d'influence considérable que lui conférait son titre de vice-présidente.
Prochaine étape de son parcours ? Inconnue.
« C'est plate, je ne suis pas venue faire de grosses annonces, ça aurait été le fun que tu aies un scoop », m'a-t-elle dit en riant, dans un café du Plateau Mont-Royal, quelques jours après son départ du groupe.
PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE
Joëlle Pineau a passé huit ans à la tête de la recherche en IA chez Meta.
Je n'aurai pas eu de primeur, mais son histoire fascinante mérite d'être racontée. Joëlle Pineau s'est retrouvée plusieurs fois à la « croisée des chemins », tout au long de sa vie, et elle a écouté ses valeurs pour guider ses décisions.
Y compris celle, toute récente, de quitter Meta.
La raison de son départ pourrait se résumer en deux mots : Donald Trump.
Joëlle Pineau n'a pas digéré le virage « pro-Trump » des géants californiens de la techno. « Ils ont manifesté publiquement leur soutien à cette administration-là, et ce faisant, légitimé ses actions. »
L'un des effets les plus visibles a été l'abolition des programmes de « diversité et inclusion », qui favorisaient l'embauche de femmes ou de gens issus des minorités. La plupart des grandes boîtes de la Silicon Valley – y compris son ex-employeur, Meta – les ont abandonnés pour se conformer à la vision anti-woke du président républicain.
Une vision de tech bros, assez macho-musclée-alpha-blanche.
« Peut-être que l'histoire nous dira qu'à court terme, c'était la bonne décision stratégique, mais moi, je trouvais que le prix à payer était trop grand », m'explique-t-elle.
La chercheuse a eu des discussions « sur le fond des choses » avec ses patrons au moment d'annoncer son départ. Le ton est resté cordial. Même si on a tenté de la retenir, elle a tenu à respecter ses principes jusqu'au bout. « À un moment donné, quand tu es à ce niveau-là de gestion dans une entreprise, c'est soi 'disagree and commit', et tu t'alignes, ou 'disagree and leave'. »
Elle est partie sans rancœur, assure-t-elle.
Tout le monde attend que je raconte l'histoire de comment c'est donc terrible, cette entreprise-là. Ce n'est pas mon expérience. Les gens ont toutes sortes d'hypothèses et pensent même que je me suis fait mettre dehors parce que j'étais une embauche de diversité. Les thèses sont partout…
Joëlle Pineau
Ce n'est que tout récemment que l'IA a été démocratisée, avec l'émergence de robots conversationnels comme ChatGPT ou Gemini et de milliers d'autres applications destinées au grand public. Mais ce secteur se développe depuis des décennies déjà. Joëlle Pineau en a été l'une des grandes artisanes.
Elle a pourtant failli ne jamais emprunter cette voie.
La native d'Ottawa a consacré une bonne partie de sa jeunesse à la musique. Son registre était vaste, entre le violon, le piano et d'autres instruments. Une passion. Elle a joué pendant plusieurs années dans l'Orchestre symphonique d'Ottawa.
Elle a dû affronter un dilemme au moment de choisir son parcours universitaire. Musique, à McGill, ou génie, à Waterloo ?
« Ç'a été ma première grosse croisée des chemins, dit-elle. J'aimais beaucoup les deux, mais la musique, ça relevait plus du plaisir que du travail. L'idée de répéter six heures par jour, oublie ça. Cette rigueur, je l'avais dans la mathématique, les sciences, mais dans la musique, non. »
Elle a donc mis le cap sur Waterloo en 1993. Cette ville ontarienne a été un bastion canadien des technologies, qui a vu naître des entreprises comme Research In Motion, parent du BlackBerry. Joëlle Pineau s'y est spécialisée en génie des systèmes, puis en robotique. « J'ai commencé à construire un robot à six pattes qui se promenait, et ç'a été vraiment le déclic, qui m'a par la suite menée vers l'IA. »
Cet intérêt l'entraîne en 1998 à la prestigieuse Université Carnegie Mellon, à Pittsburgh, la seule au monde à offrir un doctorat en robotique à l'époque. C'est là que les germes de l'IA prennent racine et fleurissent chez la jeune scientifique.
« À partir de ça, il s'agissait d'aller rejoindre l'interface entre l'humain, puis le robot, mais vraiment avec les algorithmes qui sont capables de choisir les bonnes actions », vulgarise-t-elle.
PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE
En tant que vice-présidente chez Meta, Joëlle Pineau dirigeait quelque 600 chercheurs en IA.
Elle a donné naissance au premier de ses quatre enfants pendant son doctorat à Pittsburgh. Sa thèse portait sur « les algorithmes pour la planification sous incertitude ». C'était en 2004. Les États-Unis vivaient alors les années de George W. Bush, post-11-Septembre et guerre en Irak. Une époque « quasiment cute par rapport à la réalité présente ».
Joëlle Pineau a voulu revenir au Canada après ses études, avec son mari, lui aussi chercheur. Son superviseur de thèse le lui a déconseillé. Elle risquait de « gaspiller son talent » en rentrant à Montréal, arguait-il.
Nouveau pivot, nouveau pari. Elle atterrit à l'Université McGill, où elle fonde un laboratoire de recherche auquel elle est encore associée.
Ses travaux sont remarqués en 2017 par les dirigeants de Facebook, renommée Meta quelques années plus tard. La multinationale lui offre d'ouvrir un laboratoire de pointe à Montréal. La métropole connaît alors une grande ébullition technologique centrée autour de Mila, l'Institut québécois d'intelligence artificielle dirigé par Joshua Bengio.
Le succès est au rendez-vous. Joëlle Pineau prend du galon et dirige éventuellement, à partir de Montréal, tous les labos d'IA de Meta, entre New York, Paris, Tel-Aviv et Seattle. Quelque 600 chercheurs, au total.
Les innovations sont nombreuses pendant ses huit années à la barre. Ses équipes ont développé plusieurs projets qui se sont traduits par des applications concrètes pour les utilisateurs. Par exemple : la fonction « edit », qui permet d'éditer des vidéos dans Instagram, le modèle Meta AI utilisé dans Messenger et WhatsApp, ou les fonctions de traduction offertes dans les produits Meta.
Ce qui nous amène à aujourd'hui. L'IA a explosé dans les derniers mois, c'est indéniable. On peut en voir des exemples frappants dans les réseaux sociaux comme TikTok. Les vidéos factices, d'un réalisme désarmant, y pullulent. La désinformation aussi.
Bien des gens, au Québec comme ailleurs, ont peur des avancées supersoniques de cette technologie, ce que Joëlle Pineau comprend. « On peut critiquer ces outils-là, par exemple parce qu'ils sont hyper anglocentriques, hyper centrés sur l'Amérique du Nord, et qu'il y a encore plein d'inexactitudes, plein de biais. »
Mais les bénéfices de l'IA dépassent de loin ses inconvénients, fait valoir la scientifique. Elle cite entre autres la recherche de nouveaux médicaments ou de matériaux composites, accélérée grâce aux capacités de calcul et d'analyse des machines. « On vient de réduire notre processus de développement de 20 ans à 1 an. »
C'est un autre grand « pivot » dont nous avons discuté pendant notre café : l'IA est là pour de bon. Qu'on le veuille ou non. Il en reviendra à chacun d'adopter la posture qui lui convient, croit Joëlle Pineau.
« L'image qui me vient là, c'est une rivière, illustre-t-elle. La rivière coule, tu as des choix. Tu peux décider de nager contre le courant, mais tu risques de t'épuiser. Tu peux décider de débarquer du courant, puis de te stationner sur le côté, d'où tu vas regarder la rivière passer. Pour des gens, c'est correct. Il y en a qui veulent un peu se soustraire de ce monde numérique. Ils peuvent, mais ils n'auront pas nécessairement accès à certains emplois ou opportunités. »
Elle poursuit : « Tu peux aussi juste regarder tout le courant qui s'en vient, mais là, tu te fais pousser, puis tu ne regardes pas où tu t'en vas, donc tu vas te faire frapper dans les rochers. Ou encore : tu peux regarder le courant et te dire : 'J'ai encore la possibilité d'aller à droite, d'aller à gauche, puis d'utiliser mon intelligence, toutes mes capacités, pour naviguer dans ce courant-là.' Ça encourage les gens à naviguer avec lucidité. Pas juste de se laisser emporter les yeux fermés. »
J'aurais pu écouter Joëlle Pineau me parler pendant des heures des mille et une applications de l'IA qu'elle a contribué à développer depuis des années. Elle a aussi pu « influencer » la façon de déployer cette technologie pour des milliards d'utilisateurs, avec tous les remparts éthiques qui s'imposent, grâce à sa présence au comité de direction de Meta.
Elle est très à l'aise avec sa démission, mais une question la taraude.
« Ce qui m'a le plus travaillée par rapport à ma décision, c'est : est-ce qu'on a plus d'influence quand on est à l'intérieur qu'à l'extérieur ? Parce que j'en avais quand même, tu sais. »
Son influence sera « moindre » hors du giron de Meta, Joëlle Pineau le sait. Elle passera entre autres par ses enseignements à McGill et ses travaux au Mila. Mais mon petit doigt me dit que la scientifique n'aura aucune difficulté à trouver une nouvelle façon de rayonner, si elle le désire.
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Je pense qu'il nous faut un DOGE (parfois)
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La Presse

time9 hours ago

  • La Presse

Je pense qu'il nous faut un DOGE (parfois)

Non, Olivier Niquet n'est pas un admirateur secret d'Elon Musk. Mais oui, il lui arrive d'être découragé par l'inefficience de notre appareil bureaucratique. olivier niquet Collaboration spéciale Je vais vous faire une confidence : je rêve en secret d'un DOGE bien de chez nous. Un « Department of Government Efficiency », que l'on pourrait traduire par « département de la tronçonneuse », comme celui qu'a présidé Elon Musk. Un titre propagandiste, mais qui n'est quand même rien à côté du « One Big Beautiful Bill » de Donald Trump. Celui qui nous donne l'impression qu'on prend les États-Uniens pour des enfants de 5 ans : « Oh, regarde mon beau gros bill ». Je préférais l'époque où le Gros Bill, c'était Jean Béliveau. Autant je crois que l'État doit jouer un rôle prépondérant dans nos vies pour contrebalancer les dérives du capitalisme sauvage (genre), autant je suis découragé par l'inefficience de notre appareil bureaucratique. On va se le dire : toute va mal. À grande comme à petite échelle. Parlant de petite échelle, j'ai dernièrement eu un léger contretemps avec l'Agence du revenu du Canada (ARC). En gros, ces derniers ont prétendu que je n'avais pas déclaré les mirobolants droits d'auteur perçus pour un livre dont je suis l'auteur alors que j'avais bel et bien déclaré les mirobolants droits d'auteur perçus pour un livre dont je suis l'auteur. Après discussion avec mon comptable traitant, j'ai pris mon courage à deux mains et téléphoné à l'ARC où l'on m'a suggéré d'envoyer un fax au centre de service de Jonquière. J'avoue que je ne pensais pas en être encore à me moquer de l'utilisation du fax dans une chronique en 2025. En fait, je pensais en être rendu à me moquer des chroniques qui se moquaient de l'utilisation du fax. « Vous vous souvenez quand on riait des fax ? » Faudra attendre. J'ai donc envoyé mon fax avec l'aide d'une personne qui maîtrise encore cette technologie. Une vieille âme, comme on dit. Quelques mois plus tard, un fonctionnaire en forme d'agent de recouvrement me téléphone. Cette personne me dit qu'elle n'a aucune trace de ma télécopie et que, de toute façon, ce n'est pas vraiment un bon moyen de communication. Les fax auraient une certaine propension à être égarés, selon elle. Elle m'indique une procédure à suivre que ne connaissait visiblement pas son prédécesseur. En attendant, comme le gouvernement pense que je lui dois de l'argent, je ne peux encaisser mon remboursement d'impôt. Trois mois de plus s'écoulent avant que l'ARC ne rende sa décision : tout est beau, vous aviez raison. J'attends encore aujourd'hui mon remboursement d'impôt pour pouvoir mettre du caviar sur mes craquelins sans gluten. Une situation qui ne me fait pas trop souffrir, mais qui pourrait être désastreuse pour quelqu'un qui n'a jamais perçu de mirobolants droits d'auteur. C'est anecdotique, mais j'ai l'impression que chaque personne qui vit ce genre d'anecdote a un peu plus envie d'aller se réfugier dans les bras d'un olibrius à la Elon Musk. Bien sûr, il faut être sur la kétamine pour ne pas se rendre compte que le DOGE n'est que fumisterie, mais nous sommes tous à un fax perdu dans une craque de choisir l'aveuglement volontaire. La bureaucratie est la façon que l'on a trouvée de mettre de l'ordre dans la société. Le problème, c'est que pour mettre de l'ordre dans la bureaucratie, la bureaucratie sous-traite la bureaucratie à des firmes expertes en bureaucratie. Ça donne un maudit gros tas de bureaucratie dans lequel on a parfois envie de faire des entailles à la scie mécanique. Le biologiste américain E.O. Wilson a déjà dit : « Le vrai problème de l'humanité, c'est que nous avons des émotions du paléolithique, des institutions médiévales et des technologies dignes des dieux. » En parallèle de la machine qui s'enraye, le monde tourne à vive allure et les bonimenteurs cupides en profitent. Malgré mon imbroglio fiscal, je refuse de croire que les ploutocrates vont régler le problème de l'humanité. Tout le monde sait très bien que c'est plutôt l'intelligence artificielle qui prendra tôt ou tard les décisions à la place des fonctionnaires et des gouvernements. Si vous n'y croyez pas, c'est que vous vous mettez la tête dans l'autruche, comme l'a déjà dit Gérard Deltell. Mon intérêt pour l'assainissement de la machine relève plutôt du fait que je suis un passionné d'organisation et de logistique. Le bon fonctionnement des choses m'apaise. Aussi contreproductif que ça puisse paraître, je passe ma vie à essayer d'optimiser… ma vie. Quand je vois les systèmes greffés à d'autres systèmes et les organigrammes monstrueux qui les chapeautent, j'aurais envie qu'on fasse table rase pour repartir à neuf. Donnez-moi un harem de geeks et une machine à café, et je changerai le monde. C'est ce que j'essaie de me faire croire, en tout cas. Ce serait l'une des seules raisons pour lesquelles j'aimerais faire de la politique. Malheureusement, mon dégoût des soupers spaghetti est plus grand que mon désir de mettre de l'ordre dans nos ministères. Les anecdotes sont puissantes. La preuve en est que certains se sont tricoté une carrière en les montant en épingle. La preuve en est aussi que j'ai perdu mon désir de démolir l'appareil public à coup de bat de baseball à cause d'une autre anecdote. C'est que je me suis récemment découvert une croûte de nez, un problème qui est à une voyelle de se régler avec un Kleenex. Le médecin de famille que l'on m'a attribué après 10 ans d'attente m'a inscrit dans le système pour un suivi en dermatologie. Eh bien ! vous n'en croirez pas vos yeux, mais une semaine plus tard, je recevais un appel du « Centre de répartition des demandes de services » qui m'offrait un rendez-vous pour la semaine suivante. Est-ce un miracle ou l'empreinte de la top gun de la santé ? Probablement ni l'un ni l'autre. Même si je n'y suis pour rien, le bon fonctionnement du processus m'a grandement apaisé. Je suis sorti de cette petite histoire avec un sentiment du devoir accompli ainsi qu'avec une crème pour m'enduire le nez. Il y a peut-être de l'espoir. Qui est Olivier Niquet ? Olivier Niquet a une formation en urbanisme. Chroniqueur radio, que l'on peut notamment entendre à l'émission La journée (est encore jeune) sur ICI Première, il a publié deux livres : Le club des mal cités et Les rois du silence : ce qu'on peut apprendre des introvertis pour être un peu moins débiles et (peut-être) sauver le monde. Il est aussi scénariste et conférencier, en plus d'alimenter les sites tourniquet. quebec et sportnographe. info. Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue

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time13 hours ago

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Cet été, nos chroniqueurs tendent la main à des artistes, des politiciens et des gens d'affaires qui se trouvent à un tournant de leur carrière. Maxime Bergeron s'est entretenu avec Joëlle Pineau, une sommité mondiale en intelligence artificielle, qui vient de quitter son poste de vice-présidente chez Meta. Son nom ne vous est peut-être pas familier, mais l'une des plus grandes stars de l'industrie mondiale des technos est une Montréalaise. Joëlle Pineau a été pendant huit ans la patronne de la recherche en intelligence artificielle (IA) chez Meta, société derrière Facebook et Instagram. Les centaines de chercheurs qu'elle dirigeait, partout dans le monde, ont conçu nombre d'innovations que vous utilisez peut-être au quotidien, sans le savoir. Elle est même entrée au saint des saints de Meta pendant les 18 derniers mois, soit le comité de direction. Aux côtés d'un groupe restreint, dont le PDG Mark Zuckerberg, elle a orienté plusieurs des décisions stratégiques de l'entreprise évaluée à 2400 milliards de dollars en Bourse. Mais tout cela est maintenant derrière elle. La femme de 50 ans a quitté Meta à la fin de mai. Elle a renoncé à des millions futurs et au pouvoir d'influence considérable que lui conférait son titre de vice-présidente. Prochaine étape de son parcours ? Inconnue. « C'est plate, je ne suis pas venue faire de grosses annonces, ça aurait été le fun que tu aies un scoop », m'a-t-elle dit en riant, dans un café du Plateau Mont-Royal, quelques jours après son départ du groupe. PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE Joëlle Pineau a passé huit ans à la tête de la recherche en IA chez Meta. Je n'aurai pas eu de primeur, mais son histoire fascinante mérite d'être racontée. Joëlle Pineau s'est retrouvée plusieurs fois à la « croisée des chemins », tout au long de sa vie, et elle a écouté ses valeurs pour guider ses décisions. Y compris celle, toute récente, de quitter Meta. La raison de son départ pourrait se résumer en deux mots : Donald Trump. Joëlle Pineau n'a pas digéré le virage « pro-Trump » des géants californiens de la techno. « Ils ont manifesté publiquement leur soutien à cette administration-là, et ce faisant, légitimé ses actions. » L'un des effets les plus visibles a été l'abolition des programmes de « diversité et inclusion », qui favorisaient l'embauche de femmes ou de gens issus des minorités. La plupart des grandes boîtes de la Silicon Valley – y compris son ex-employeur, Meta – les ont abandonnés pour se conformer à la vision anti-woke du président républicain. Une vision de tech bros, assez macho-musclée-alpha-blanche. « Peut-être que l'histoire nous dira qu'à court terme, c'était la bonne décision stratégique, mais moi, je trouvais que le prix à payer était trop grand », m'explique-t-elle. La chercheuse a eu des discussions « sur le fond des choses » avec ses patrons au moment d'annoncer son départ. Le ton est resté cordial. Même si on a tenté de la retenir, elle a tenu à respecter ses principes jusqu'au bout. « À un moment donné, quand tu es à ce niveau-là de gestion dans une entreprise, c'est soi 'disagree and commit', et tu t'alignes, ou 'disagree and leave'. » Elle est partie sans rancœur, assure-t-elle. Tout le monde attend que je raconte l'histoire de comment c'est donc terrible, cette entreprise-là. Ce n'est pas mon expérience. Les gens ont toutes sortes d'hypothèses et pensent même que je me suis fait mettre dehors parce que j'étais une embauche de diversité. Les thèses sont partout… Joëlle Pineau Ce n'est que tout récemment que l'IA a été démocratisée, avec l'émergence de robots conversationnels comme ChatGPT ou Gemini et de milliers d'autres applications destinées au grand public. Mais ce secteur se développe depuis des décennies déjà. Joëlle Pineau en a été l'une des grandes artisanes. Elle a pourtant failli ne jamais emprunter cette voie. La native d'Ottawa a consacré une bonne partie de sa jeunesse à la musique. Son registre était vaste, entre le violon, le piano et d'autres instruments. Une passion. Elle a joué pendant plusieurs années dans l'Orchestre symphonique d'Ottawa. Elle a dû affronter un dilemme au moment de choisir son parcours universitaire. Musique, à McGill, ou génie, à Waterloo ? « Ç'a été ma première grosse croisée des chemins, dit-elle. J'aimais beaucoup les deux, mais la musique, ça relevait plus du plaisir que du travail. L'idée de répéter six heures par jour, oublie ça. Cette rigueur, je l'avais dans la mathématique, les sciences, mais dans la musique, non. » Elle a donc mis le cap sur Waterloo en 1993. Cette ville ontarienne a été un bastion canadien des technologies, qui a vu naître des entreprises comme Research In Motion, parent du BlackBerry. Joëlle Pineau s'y est spécialisée en génie des systèmes, puis en robotique. « J'ai commencé à construire un robot à six pattes qui se promenait, et ç'a été vraiment le déclic, qui m'a par la suite menée vers l'IA. » Cet intérêt l'entraîne en 1998 à la prestigieuse Université Carnegie Mellon, à Pittsburgh, la seule au monde à offrir un doctorat en robotique à l'époque. C'est là que les germes de l'IA prennent racine et fleurissent chez la jeune scientifique. « À partir de ça, il s'agissait d'aller rejoindre l'interface entre l'humain, puis le robot, mais vraiment avec les algorithmes qui sont capables de choisir les bonnes actions », vulgarise-t-elle. PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE En tant que vice-présidente chez Meta, Joëlle Pineau dirigeait quelque 600 chercheurs en IA. Elle a donné naissance au premier de ses quatre enfants pendant son doctorat à Pittsburgh. Sa thèse portait sur « les algorithmes pour la planification sous incertitude ». C'était en 2004. Les États-Unis vivaient alors les années de George W. Bush, post-11-Septembre et guerre en Irak. Une époque « quasiment cute par rapport à la réalité présente ». Joëlle Pineau a voulu revenir au Canada après ses études, avec son mari, lui aussi chercheur. Son superviseur de thèse le lui a déconseillé. Elle risquait de « gaspiller son talent » en rentrant à Montréal, arguait-il. Nouveau pivot, nouveau pari. Elle atterrit à l'Université McGill, où elle fonde un laboratoire de recherche auquel elle est encore associée. Ses travaux sont remarqués en 2017 par les dirigeants de Facebook, renommée Meta quelques années plus tard. La multinationale lui offre d'ouvrir un laboratoire de pointe à Montréal. La métropole connaît alors une grande ébullition technologique centrée autour de Mila, l'Institut québécois d'intelligence artificielle dirigé par Joshua Bengio. Le succès est au rendez-vous. Joëlle Pineau prend du galon et dirige éventuellement, à partir de Montréal, tous les labos d'IA de Meta, entre New York, Paris, Tel-Aviv et Seattle. Quelque 600 chercheurs, au total. Les innovations sont nombreuses pendant ses huit années à la barre. Ses équipes ont développé plusieurs projets qui se sont traduits par des applications concrètes pour les utilisateurs. Par exemple : la fonction « edit », qui permet d'éditer des vidéos dans Instagram, le modèle Meta AI utilisé dans Messenger et WhatsApp, ou les fonctions de traduction offertes dans les produits Meta. Ce qui nous amène à aujourd'hui. L'IA a explosé dans les derniers mois, c'est indéniable. On peut en voir des exemples frappants dans les réseaux sociaux comme TikTok. Les vidéos factices, d'un réalisme désarmant, y pullulent. La désinformation aussi. Bien des gens, au Québec comme ailleurs, ont peur des avancées supersoniques de cette technologie, ce que Joëlle Pineau comprend. « On peut critiquer ces outils-là, par exemple parce qu'ils sont hyper anglocentriques, hyper centrés sur l'Amérique du Nord, et qu'il y a encore plein d'inexactitudes, plein de biais. » Mais les bénéfices de l'IA dépassent de loin ses inconvénients, fait valoir la scientifique. Elle cite entre autres la recherche de nouveaux médicaments ou de matériaux composites, accélérée grâce aux capacités de calcul et d'analyse des machines. « On vient de réduire notre processus de développement de 20 ans à 1 an. » C'est un autre grand « pivot » dont nous avons discuté pendant notre café : l'IA est là pour de bon. Qu'on le veuille ou non. Il en reviendra à chacun d'adopter la posture qui lui convient, croit Joëlle Pineau. « L'image qui me vient là, c'est une rivière, illustre-t-elle. La rivière coule, tu as des choix. Tu peux décider de nager contre le courant, mais tu risques de t'épuiser. Tu peux décider de débarquer du courant, puis de te stationner sur le côté, d'où tu vas regarder la rivière passer. Pour des gens, c'est correct. Il y en a qui veulent un peu se soustraire de ce monde numérique. Ils peuvent, mais ils n'auront pas nécessairement accès à certains emplois ou opportunités. » Elle poursuit : « Tu peux aussi juste regarder tout le courant qui s'en vient, mais là, tu te fais pousser, puis tu ne regardes pas où tu t'en vas, donc tu vas te faire frapper dans les rochers. Ou encore : tu peux regarder le courant et te dire : 'J'ai encore la possibilité d'aller à droite, d'aller à gauche, puis d'utiliser mon intelligence, toutes mes capacités, pour naviguer dans ce courant-là.' Ça encourage les gens à naviguer avec lucidité. 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Des fournisseurs abandonnent la 3G à partir du 31 juillet
Des fournisseurs abandonnent la 3G à partir du 31 juillet

La Presse

time2 days ago

  • La Presse

Des fournisseurs abandonnent la 3G à partir du 31 juillet

Les téléphones Apple avant l'iPhone 6 (2015), les téléphones créés avant le Pixel 3 de Google (2019) et les Samsung de série Galaxy plus anciens que le S10 (2019) seront incompatibles, sauf exception, lorsque la 3G sera hors service. Des fournisseurs abandonnent la 3G à partir du 31 juillet À partir du 31 juillet 2025, plusieurs fournisseurs de téléphonie cellulaire canadiens vont cesser d'offrir la 3G. Certains de vos appareils pourraient être affectés par cette mise hors service graduelle. La Presse vous aide à démystifier le tout. C'est quoi, la 3G ? La 3e génération des réseaux cellulaires (3G), implantée en 2005, est une ancienne technologie qui ne répond plus aux standards de rapidité. La 4G améliorée (4G LTE), la 5G (qui est arrivée au début de la décennie) et la 5G+ sont beaucoup plus rapides. La qualité des appels est aussi améliorée, selon le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Suis-je concerné ? Selon le CRTC, il faudra changer de téléphone cellulaire si : Votre téléphone fonctionne uniquement sur des réseaux 3G ; Il est issu de la 4G, mais ne tolère pas la technologie VoLTE ; Il permet uniquement l'usage de cartes SIM 3G ; Il n'est pas compatible avec les technologies 4G LTE, 5G et 5G+. À titre d'exemple, les téléphones Apple avant l'iPhone 6 (2015), les téléphones créés avant le Pixel 3 de Google (2019) et les Samsung de série Galaxy plus anciens que le S10 (2019) seront incompatibles, sauf exception. Attention, l'utilisation du service 911 sera impossible sur ces appareils. Toutefois, il devrait toujours être possible de se connecter au sans-fil (WiFi). À quel moment mon fournisseur fera-t-il la transition au Québec ? Bell (Lucky Mobile, Virgin Mobile) : 31 octobre 2025 pour les particuliers et 31 décembre 2025 pour les clients d'affaires. (Lucky Mobile, Virgin Mobile) : 31 octobre 2025 pour les particuliers et 31 décembre 2025 pour les clients d'affaires. Québecor (Fizz, Vidéotron, Freedom Mobile) : 31 juillet 2025. (Fizz, Vidéotron, Freedom Mobile) : 31 juillet 2025. Rogers (Chatr Mobile, Fido) : 31 juillet 2025. (Chatr Mobile, Fido) : 31 juillet 2025. TELUS (Koodo Mobile, Public Mobile) : aucune date communiquée pour l'instant. Chez Bell, des frais de 3 $ ​​seront imposés aux clients qui ne migrent pas vers les nouvelles technologies à partir du 1er août. Frais qui « servent à recouvrer une partie des coûts de maintenance […] et à continuer de prendre en charge les réseaux existants jusqu'à leur mise hors service complète », spécifie l'entreprise par courriel. Rogers offre un téléphone à 0 $ et une adaptation de forfait à ses clients qui devront changer leur portable pour accéder au réseau cellulaire. Vidéotron indique par courriel que ses clients peuvent composer TEST (# 8378) pour vérifier la compatibilité de leur mobile avec les nouveaux réseaux. En cas d'échec, le système leur indiquera les mesures à prendre. Toutes les entreprises de téléphonie ont affirmé « communiquer avec leur clientèle » depuis plusieurs mois. Si vous êtes incertain, communiquez avec la vôtre. Y a-t-il un impact sur d'autres appareils ? Les téléphones portables ne sont pas les seuls touchés par l'abandon de la 3G. Les personnes atteintes d'apnée du sommeil qui utilisent la ventilation en pression positive continue (CPAP) pourraient être privées de certaines fonctionnalités. Le partage de données sur les incidents de sommeil entre le téléphone et la machine « va arrêter de fonctionner » si celle-ci utilise le réseau 3G, avertit Paul Fortier, professeur de génie électrique et de génie informatique à l'Université Laval. Si l'appareil est ancien, le professeur recommande de vérifier la méthode de transmission des données en appelant le fournisseur ou en vérifiant le boîtier. Cependant, la machine en soi va demeurer en état de marche. Même enjeu pour les systèmes d'alarme. « Si on a acheté un système d'alarme il y a 10 ans qui communique par la 3G avec la centrale, il faut appeler son fournisseur […] et une mise à niveau matérielle sera nécessaire », indique M. Fortier. « Il y a beaucoup d'appareils de suivi médical qui passent par le réseau cellulaire », ajoute le professeur de Québec. Pratique pour l'universalité des machines, mais attention à ce qu'elles soient compatibles avec la 4G et la 5G, dit M. Fortier. Quel est l'impact environnemental ? Certaines pièces des tours de téléphonie cellulaire pourraient être réutilisées. Les ordinateurs disposés sur les tours sont parfois reprogrammables, mais parfois il s'agit d'une fréquence différente, donc ils sont irrécupérables, souligne M. Fortier. Que se passe-t-il avec les vieux téléphones ? « La plupart des matériaux [des appareils informatiques] sont réutilisables », selon Martin Carli, porte-parole de l'Association pour le recyclage des produits électroniques (ARPE). Plastique, acier, verre et métaux rares ou précieux peuvent être récupérés. Au Québec, plus de 1000 emplacements Serpuariens permettent de déposer des appareils technologiques. Pourquoi le Canada change-t-il de réseau maintenant ? « C'est une question de marchés ou d'investissements. Ça coûte très cher de changer de génération », explique M. Fortier. Le Canada emboîte le pas à plusieurs autres pays, dont l'Australie, qui a déjà achevé sa transition. Les États-Unis (y compris Porto Rico et les îles Vierges américaines) ont retiré la 3G depuis 2022.

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