
«Il faut lire Boualem Sansal, non seulement pour les raisons qu'on devine, mais parce que c'est un grand écrivain»
Salomon Malka est journaliste et écrivain. Dernier ouvrage paru : « Samedi prochain à Auteuil, les leçons de Lévinas » 2025, Le Cerf.
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Ma première rencontre avec Boualem Sansal fut d'abord une rencontre de lecteur. Fascination pour ce livre fascinant qu'est Le village de l'Allemand. Récit croisé de journaux intimes où, sur fond de massacre du village familial d'Ain Deb, près de Sétif, deux frères perdent leurs parents et du même coup découvrent le passé allemand de leur géniteur, Tout d'un coup, trois épisodes se télescopent : les ravages de la Shoah, la sale guerre des années 90 en Algérie, et l'ascension des «barbus» dans une cité des banlieues françaises Tout se mélange dans la tête des frères Schiller : Hitler, l'imam de la cité, les égorgeurs islamistes.
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Pourquoi Rachel (condensé de Rachid et de Helmut) s'est-il donné la mort ? Son frère cadet appelé Malrich (condensé de Malek et d'Ulrich), répond : Rachel a commencé à réfléchir. Il a compris que le nazisme et l'islamisme, c'est du pareil au même. Il a voulu voir ce qui nous attendait si on laissait faire comme on a laissé faire en Allemagne, à Kaboul, en Algérie.
Dans un style haletant fait d'un mélange d'humour grinçant, de cynisme, d'observations sur la vie et sur le monde, ce roman polyphonique raconte l'histoire vraie dans une large mesure de Rachel et Malrich, les deux fils de Hans Schiller, ancien nazi exfiltré de l'Algérie et devenu un cadre du FLN. Les deux frères, élevés en France, sont issus d'un mariage mixte entre leur père et une Algérienne restée au pays.
Faut-il dire islamique ou islamiste ? Le dictionnaire ne dit rien. Probablement parce que le fanatisme va plus vite que le Larousse. Salomon Malka
Rachel part à la recherche de son père et se demande ce qu'il a fait pendant la guerre. Et dans le même temps, il écrit au ministre algérien des Affaires étrangères pour lui demander des comptes sur ce qui est arrivé à ses parents, et aux voisins, sauvagement assassinés dans leur village d'Ain Deb, dans le département de Sétif, par un «groupe armé non identifié», à savoir un groupe de terroristes islamistes. Il se plaint aussi au passage, que son père et sa mère aient été inscrits sous des noms qui ne sont pas leurs véritables noms.
On passe d'un journal à l'autre. Le frère cadet prend le relais et fait à son tour le voyage d'Ain Deb. Il va d'abord au «Carré des martyrs» où reposent les siens. La stèle posée par l'administration n'est plus visible. Les défunts sont placés sous la même loi, celle du «temps qui efface tout». Et soudain, devant ce carré, c'est l'explosion de colère, la rage de voir ce pays se complaire dans le silence, dans l'accoutumance au mensonge, à la dissimulation, à l'ignorance, à l'oubli.
Les deux frères visitent à tour de rôle la Turquie et sa cuisine épicée, l'Égypte et sa manière de mettre «les deux pieds dans la même babouche». «L'Égypte heureuse, l'Egypte cosmopolite, chaleureuse et romantique de Neguib Mahfuz qui n'existe hélas plus». L'Europe centrale et sa mémoire endolorie. Tout cela se confond dans la tête.
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Et puis retour à Paris. Atmosphère lourde de la cité aux prises avec l'islamisme conquérant. Faut-il dire islamique ou islamiste ? Le dictionnaire ne dit rien. Probablement parce que le fanatisme va plus vite que le Larousse. «Des garçons ont quitté l'école pour la mosquée. Des filles ont pris le voile, certaines se sont cloîtrées, des hommes épuisés par les prêches au corps se sont mis un bonnet sur la tête et un keffieh sur les épaules et ont commencé à sermonner à leur tour».
Debout sur la tombe, le frère cadet parle à son frère aîné. Il lui dit qu'il va publier son journal et le sien. Il espère qu'il va trouver un éditeur. Il dit aussi qu'avec la permission de son frère, il va parler à son ancienne professeur d'école, celle qui l'aimait beaucoup, pour lui demander « de nous arranger ça comme un vrai livre ». Il lui parle aussi de Primo Lévy qui pense qu'il faut tout dire aux enfants parce qu'ils doivent tout savoir et que ce sont eux qui héritent des parents, le bien comme le mal.
En février 1997, c'est la fin du voyage pour le plus jeune des frères Schiller. Le périple aboutit à la rampe d'Auschwitz-Birkenau. Il en connaît toute la topographie. Il a le plan dans sa tête et peut se guider les yeux fermés, en suivant son père par la pensée.
Au milieu du livre, le poème de Primo Lévy, Si c'est un homme figure dans son entièreté. Le frère aîné n'a fait que rajouter ces lignes : «Ma maison s'est écroulée, et la peine m'accable. Et je ne sais pas pourquoi mon père ne m'a rien dit».
Boualem Sansal ou la mémoire en partage. Le refus de s'exonérer des crimes commis ici, là ou ailleurs. Salomon Malka
J'ai relu ces jours-ci Le village de l'Allemand ou le journal des frères Schiller. J'y ai trouvé des accents de Vassili Grossman. Les mêmes interrogations sur la petite bonté. La même intensité dans la peinture de la catastrophe et du désarroi. Le même désir d'aller au bout d'une possible réparation.
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Le livre est paru en 2008. L'auteur affirme avoir reçu beaucoup de lettres racontant un périple similaire à celui du « village de l'Allemand ». Y a-t-il une place pour l'espoir ? Pour la clarification ? Pour la reconstruction ? Tel est en tout cas la tâche de l'écrivain. Tel est son risque aussi. Celui d'être toujours au bord de la rupture.
Boualem Sansal ou la mémoire en partage. Le refus de s'exonérer des crimes commis ici, là ou ailleurs. La décision d'arpenter les lieux où les blessures restent encore visibles. Partout où ça saigne. Partout où les violences s'accumulent. Les guerres souterraines. La fin d'un monde ou la fin du monde. Le souvenir du père trimbalant ses crimes dans une vieille malle. Et la question lancinante qui revient incessamment : «Qui est mon père ?» et «où est le bien et le mal ?»
Il faut lire Boualem Sansal. Pour toutes sortes de raisons qu'on devine maintenant. Mais d'abord et avant tout parce que c'est un grand écrivain.

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