
Détrônons l'abbé Pierre
Depuis juillet 2024, les témoignages accablants se multiplient autour de celui qui, arborant cape et béret, a incarné l'image du bienfaiteur suprême des pauvres. De 1950 à 2000, ce héros déchu a commis des agressions sexuelles sur des dizaines de femmes dont plusieurs étaient mineures au moment des faits.
Tout cela est rapporté dans trois rapports commandés par Emmaüs et la Fondation Abbé-Pierre. Une douzaine d'autres témoignages se sont ajoutés il y a quelques semaines. Usant de son pouvoir d'icône immaculée, Henri Grouès (c'était son vrai nom) a fait de nombreuses victimes partout dans le monde.
Baisers imposés, fellations et masturbations forcées, propos à caractère sexuel, tel est l'héritage noir laissé par le « curé des pauvres ».
Et que fait le gouvernement québécois ? Il ne bouge pas. Il attend.
Pourtant, dans le livre-enquête de Marie-France Etchegoin et Laetitia Cherel, L'abbé Pierre, la fabrique d'un saint, paru au printemps dernier, il est écrit noir sur blanc que le Saint-Siège et le haut clergé français étaient au courant des agissements de l'abbé Pierre depuis 19551.
Les autrices ont eu accès à des archives déclassifiées en 2020 par le pape François. Elles y ont découvert des documents qui montrent l'ampleur des sévices commis par le fondateur d'Emmaüs. Certains documents sont signés de la main de l'archevêque de Montréal, Paul-Émile Léger. Ce dernier fut d'ailleurs l'un des premiers à sonner l'alarme.
En 1959, après un séjour dans une clinique psychiatrique en Suisse, l'abbé Pierre s'est fait interdire par le Vatican d'aller au Canada. Mais celui qui était déjà un grand symbole de la défense des démunis a remis les pieds chez nous au moins sept fois jusqu'en 2004, selon des recherches effectuées par Le Devoir.
Des témoins affirment qu'il aurait fait de nouvelles victimes. Étrangement, les autorités de l'Église catholique au Canada disent ne pas posséder de documents liés aux voyages de l'abbé Pierre.
J'ai récemment passé quelques mois à Lyon. Les révélations au sujet de l'abbé Pierre ont causé une véritable commotion dans sa région natale. Tout de suite, la question de sa présence sur la Fresque des Lyonnais, où apparaissent d'autres grandes figures locales comme les frères Lumière, Paul Bocuse ou Bernard Pivot, s'est imposée.
Pendant que les élus municipaux réfléchissaient à cela, des citoyens n'ont pas tardé à agir. Le mot « violeur » est apparu sur la fresque. Finalement, l'abbé Pierre a disparu sous une couche de peinture grise.
La Fondation Abbé-Pierre a décidé de changer de nom. Emmaüs a annulé le projet de mémorial dédié au prêtre à Esteville (Seine-Maritime). Au Québec, la Ville de Terrebonne doit retirer le nom de la rue l'Abbé-Pierre. La Ville de Québec possède aussi une rue du même nom. Pour le moment, elle existe toujours.
Mais le geste qui tarde à venir est le retrait de l'honneur que lui a fait le Québec en lui décernant, sept ans avant sa mort, le titre de grand officier de l'Ordre national du Québec. Depuis des mois, le Secrétariat de l'Ordre national répète la même chose : « On suit la situation avec attention. »
C'est ce qu'on a dit à mon collègue Jean-Christophe Laurence (qui a interviewé Marie-France Etchegoin et Laetitia Cherel) et c'est ce qu'on m'a dit il y a quelques jours.
Selon le Conseil de l'Ordre, les procédures pour révoquer un titre débutent avec « un jugement de culpabilité ou une preuve indéniable qui démontre un comportement inacceptable et incompatible ».
Le Conseil attend quoi ? Cinq autres rapports ? Cinquante autres témoignages de femmes et d'hommes (l'abbé Pierre est accusé du viol d'un garçon de 9 ans) ?
Pourquoi faire traîner en longueur cette décision alors qu'on a été si prompt à agir dans le cas de Gérard Depardieu ? François Legault a déclaré que le comportement de l'acteur français avait « entaché la réputation des membres de l'Ordre ».
Les dirigeants de l'Ordre ont alors recommandé qu'on lui retire sa décoration en dépit du règlement qui prévoit une radiation uniquement dans le cas d'une condamnation judiciaire par un tribunal.
Quand je vois le nom de l'abbé Pierre briller aux côtés de ceux d'Hubert Reeves, Leonard Cohen, Céline Dion, Charles Aznavour et un millier d'autres personnages qui ont été d'un apport sans précédent dans leur domaine, j'éprouve un profond malaise.
Le déboulonnage d'un mythe n'est jamais une chose facile, surtout quand la chute est posthume. Il n'est pas simple de s'en remettre à la formule désormais consacrée « dissocier l'homme de l'œuvre ». L'abbé Pierre a fait de grandes et belles choses. Mais il a aussi commis des atrocités qui laissent des séquelles.
Il ne fait aucun doute qu'il faut effacer son image des espaces publics, car l'homme n'est plus un modèle. N'oublions pas que l'abbé Pierre a abusé de personnes vulnérables venues vers lui pour obtenir de l'aide. En ce sens, il a transgressé le sens de sa cause.
Le gouvernement du Québec doit cesser de « suivre la situation avec attention » et agir. Il n'appartient pas à un comité de prendre seul cette décision. L'honneur qui a été fait à l'abbé Pierre vient de tous les Québécois.
Et les Québécoises et Québécois croient que ce faux saint n'a plus droit à notre admiration.
1. Lisez l'article « Des révélations écrites noir sur blanc »
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