
L'avis malavisé de la Cour internationale de justice
Louis Bélanger
Professeur, département de science politique et École supérieure d'études internationales, Université Laval
Au-delà de la question climatique, l'activisme juridique dont l'avis témoigne risque d'aggraver la crise dans laquelle s'enlise présentement l'ordre juridique international.
Dans son avis, la Cour affirme que les obligations des États en matière de lutte contre le réchauffement climatique ne sont pas limitées à ce que prévoient les traités en la matière, comme l'Accord de Paris.
Ce que disent ces traités doit être complété et renforcé par d'autres sources, notamment le droit coutumier. C'est-à-dire par diverses règles de droit dont l'acceptation par les États peut être déduite en observant leur comportement et ce qu'il est possible de connaître de leurs motivations.
Procédant à ce travail d'« intégration systémique » des sources du droit, les juges de la CIJ en arrivent notamment à la conclusion que « le fait pour un État de ne pas prendre les mesures appropriées pour protéger le système climatique contre les émissions de GES – notamment en produisant ou en utilisant des combustibles fossiles, ou en octroyant des permis d'exploration ou des subventions pour les combustibles fossiles – peut constituer un fait internationalement illicite attribuable à cet État ».
Ainsi, alors que l'Accord de Paris a été explicitement conçu de manière à ne pas engendrer d'obligations juridiques pour les États quant aux cibles à atteindre et aux mesures à adopter, il se révélerait malgré tout avoir engendré de telles obligations par enrichissement du droit coutumier.
Alchimie juridique
Le travail d'alchimie juridique ne s'arrête pas là. Dans la foulée de l'Accord de Paris, la communauté internationale a soigneusement négocié une solution de compromis concernant la manière de dédommager les États pour les pertes subies en raison du réchauffement climatique. Le mécanisme décidé, celui d'un fonds de réponse aux pertes et dommages, écarte à la fois la reconnaissance d'une responsabilité individuelle des États (au profit d'une approche de solidarité collective) et l'obligation de verser une compensation (au profit d'une approche fondée sur le volontariat et la bonne foi).
Or, la CIJ vient affirmer l'existence d'un cadre légal concurrent, érigé sur la base de l'obligation coutumière de réparation, en vertu duquel un dommage subi par un État en raison du réchauffement climatique peut effectivement être attribué à la négligence d'un autre État en particulier. Ce dernier peut ainsi se voir obligé légalement de verser au premier une compensation financière.
Pour affirmer ainsi l'existence, pour les États, d'obligations auxquelles ils n'ont jamais expressément consenti, la CIJ fait preuve d'un activisme juridique assez radical. Le principe généralement admis veut que lorsque les États déterminent clairement par traité la portée de leurs obligations, cette détermination l'emporte sur le droit coutumier. Surtout lorsque les traités sont récents et couvrent un domaine spécialisé.
Dans son avis, la CIJ renverse cette logique. Pour que la portée des obligations contenues dans l'Accord de Paris demeure circonscrite à ce que disent les clauses du traité, il ne suffisait pas pour les États de les décrire de manière positive. Il aurait fallu en plus que, « au fait du contexte normatif », ils excluent explicitement les éléments du droit coutumier qu'ils souhaitaient ne pas voir interagir avec ces clauses.
Négociations complexes et difficiles
Cette exigence de la Cour est abusive et impraticable. Les négociations internationales sur le climat sont déjà extraordinairement complexes et difficiles. Attendre des États qu'ils s'entendent non seulement sur des obligations conventionnelles, mais aussi sur un langage mettant ces obligations à l'abri d'éventuelles mutations au contact d'un droit coutumier difficile à appréhender est irréaliste. Les juges le savent, puisque les États qui ont participé aux procédures sur l'avis ont pris, sur ces questions d'interprétation, des positions radicalement divergentes.
Il y a d'ailleurs fort à parier que les prochaines COP seront le théâtre d'affrontements stériles entre les États cherchant à neutraliser les interprétations de la Cour et les États cherchant à les exploiter.
Surtout, tous y penseront dorénavant deux fois avant de consentir à des obligations dont la portée peut être significativement étendue par l'interprétation créative des juges. La CIJ a simplement rendu encore plus difficile tout développement de la coopération internationale sur le réchauffement climatique.
Plus généralement, l'activisme de la CIJ alimentera sans doute le mouvement de « déjudiciarisation » de l'ordre international qui va en s'accélérant depuis une dizaine d'années. Qu'il s'agisse de l'Organe d'appel de l'Organisation mondiale du commerce, de la Cour pénale internationale ou de cours régionales, plusieurs institutions juridiques internationales sont aujourd'hui abandonnées, critiquées ou sanctionnées par de nombreux États. Différents facteurs alimentent cette contestation, mais elle s'explique en bonne partie par une réaction négative à l'activisme, réel ou perçu, des juges.
Le Canada, à la lumière de ce que cet avis signale comme orientations futures de la CIJ et du risque qu'il court d'être lui-même l'objet de recours en vertu du nouveau cadre juridique que les juges ont construit, devra réagir. Il devrait sérieusement considérer la possibilité d'abroger son acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour ou, à tout le moins, d'en revoir les réserves.
Consultez l'Avis consultatif de la Cour internationale de justice
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