
Les règles du commerce mondial cèdent la place au chaos
Six mois après l'entrée en fonction de Donald Trump, son assaut contre le commerce mondial a perdu tout semblant d'organisation ou de structure.
Jeanna Smialek et Ana Swanson
The New York Times
Il a modifié les dates butoirs de manière soudaine. Il a fait échouer des négociations à la dernière minute, en soulevant souvent des enjeux inattendus. Il a lié ses droits de douane à des griefs qui n'ont rien à voir avec le commerce, comme le traitement réservé par le Brésil à son ancien président, Jair Bolsonaro, ou le flux de fentanyl en provenance du Canada.
Les pourparlers avec les États-Unis ont été comme « un labyrinthe » et un retour à la case départ, a déclaré Airlangga Hartarto, le ministre indonésien des Affaires économiques, qui a rencontré des représentants des États-Unis à Washington mercredi.
L'incertitude qui en résulte empêche les entreprises et les pays de faire des projets, car les règles du commerce mondial cèdent la place au chaos.
« Nous sommes encore loin de conclure de véritables accords », a déclaré Carsten Brzeski, responsable mondial de la macroéconomie à la Banque ING en Allemagne.
Il a qualifié l'incertitude de « poison » pour l'économie mondiale.
L'idée que la Maison-Blanche conclurait 90 accords en 90 jours après une période de négociations rapides, comme l'avait promis M. Trump en avril, a disparu. Au lieu de cela, Washington a signé des accords sommaires avec de grands partenaires commerciaux, dont la Chine, tout en envoyant à de nombreux autres pays des lettres sévères et pour la plupart standardisées annonçant l'application de droits de douane élevés à partir du 1er août.
PHOTO PILAR OLIVARES, REUTERS
Le port de Rio de Janeiro, au Brésil
Les décideurs politiques en Indonésie, au Japon et ailleurs n'ont pris connaissance des lettres fixant les droits de douane que lorsque M. Trump les a publiées sur les réseaux sociaux. M. Airlangga s'est dit « stupéfait et surpris » de constater que son pays serait soumis à des droits de douane de 32 %, sans changement par rapport à ce qui avait été annoncé en avril. Il avait pourtant cru que les négociations s'étaient bien déroulées.
Limitation des dégâts
Les partenaires commerciaux qui ont reçu de telles lettres s'efforcent à présent de réduire les taux spécifiques à chaque pays, qui vont de 20 % à 50 %, bien que M. Trump ait laissé entendre à certains moments que la marge de négociation pourrait être limitée.
Pour ceux qui n'ont pas encore reçu de lettre – M. Trump a laissé entendre jeudi que celle de l'Union européenne (UE) était imminente –, l'évolution de la situation a souligné la précarité des négociations. Les accords commerciaux semblent dépendre d'une seule personne, M. Trump, et même des accords soigneusement élaborés peuvent être remis en cause sur un coup de tête de M. Trump.
« Les gens considèrent cela comme un exercice de limitation des dégâts », explique Andrew Small, chercheur principal au German Marshall Fund, qui travaillait jusqu'à récemment comme conseiller au sein de l'organe exécutif de l'UE.
Kush Desai, porte-parole de la Maison-Blanche, a affirmé que certains pays continuaient à faire des concessions avec empressement pour conserver leur accès à l'économie américaine.
M. Trump a clairement indiqué que les États-Unis, en tant que plus grand et meilleur marché de consommation au monde, « détiennent les cartes et l'influence dans les négociations », a-t-il déclaré.
Pourtant, même la conclusion d'un accord commercial pourrait ne pas atténuer l'incertitude. Plus tôt ce mois-ci, Trump a proclamé sur les réseaux sociaux qu'il avait conclu un accord commercial avec le Viêtnam qui imposerait des droits de douane de 20 % sur les produits vietnamiens et des droits de douane plus élevés de 40 % sur certains produits contenant des composants chinois.
« En retour, le Viêtnam fera quelque chose qu'il n'a jamais fait auparavant, donner aux États-Unis d'Amérique un ACCÈS TOTAL à ses marchés pour le commerce », a-t-il déclaré.
Mais les deux pays n'ont jamais publié de déclaration commune clarifiant ce dont ils avaient convenu. Trois personnes au fait de la question, qui ont refusé d'être nommées puisque les échanges sont confidentiels, ont déclaré que les responsables vietnamiens n'avaient pas accepté les droits de douane annoncés par M. Trump et que des négociations étaient en cours.
Deux de ces personnes ont indiqué que les deux pays étaient parvenus à un accord sur le commerce, mais que lorsque M. Trump s'est entretenu au téléphone avec le secrétaire général vietnamien To Lam le 2 juillet, il a pris sur lui de renégocier certains de ces termes, ce qui a surpris les responsables des deux parties.
Un fonctionnaire de la Maison-Blanche, qui a refusé d'être nommé parce qu'il n'était pas autorisé à s'exprimer publiquement sur le sujet, a affirmé que les Américains et les Vietnamiens étaient parvenus à un accord. Mais il n'a pas voulu donner plus de détails, ajoutant simplement que les deux parties continuaient à discuter des détails du taux de droits de douane plus élevé pour les produits contenant des composants chinois et qu'elles avaient convenu de les négocier plus en profondeur ultérieurement.
PHOTO FOCKE STRANGMANN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
Automobiles prêtes à exporter dans le port de Bremerhaven, en Allemagne
Prenons l'exemple de l'UE, qui est, selon certains critères, le principal partenaire commercial des États-Unis. Les 27 États membres travaillent à la conclusion d'un accord qui inclurait probablement des droits de douane de base de 10 %, assorti d'exemptions pour des produits clés.
En contrepartie, l'UE s'engagerait à acheter davantage aux États-Unis et à investir davantage dans ce pays.
Toutefois, l'UE a longtemps refusé de dire qu'elle considérait qu'un accord était probable. Avant même que M. Trump n'annonce, lors d'une interview accordée à la chaîne NBC jeudi, que l'UE recevrait bientôt sa propre lettre, les responsables politiques européens restaient conscients que la situation pouvait dégénérer.
L'exemple du Canada
Cela s'explique en partie par la mise en garde qu'est le cas du Canada. Les négociations ont été interrompues pendant 48 heures à la fin du mois de juin à cause de la taxe sur les services numériques, qui aurait été appliquée aux grandes entreprises technologiques américaines. M. Trump a déclaré qu'il ne poursuivrait pas les négociations si la taxe restait en vigueur, et le gouvernement canadien l'a rapidement abandonnée.
Le Canada était en train de négocier un accord avant la date limite établie au 21 juillet lorsque, jeudi, il a lui aussi reçu une lettre annonçant des droits de douane de 35 % et une nouvelle date limite fixée au 1er août.
Le Canada n'a pas été la seule surprise de dernière minute.
Mercredi, les États-Unis ont plongé dans une guerre commerciale soudaine avec le Brésil après que M. Trump eut annoncé, dans une lettre adressée au président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, que des droits de douane de 50 % entreraient en vigueur le 1er août.
« La façon dont le Brésil a traité l'ancien président Bolsonaro, un dirigeant très respecté dans le monde entier pendant son mandat, y compris par les États-Unis, est une honte internationale », a écrit M. Trump.
Quelques heures plus tard, Lula a déclaré que le Brésil riposterait aux droits de douane. « Le Brésil est un pays souverain doté d'institutions indépendantes qui n'acceptera pas d'être abusé par qui que ce soit », a-t-il déclaré dans un communiqué.
Cet article a été publié dans le New York Times.
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39 minutes ago
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Surtourisme ? Pas aux États-Unis
Le Grand Canyon aperçu à partir de l'autoroute 89 près de Bitter Springs, en Arizona Voyager aux États-Unis cette année n'aura pas été aussi bon marché depuis longtemps, mais les touristes du monde entier n'ont pas trop envie de profiter de l'aubaine pour enfin visiter New York ou le Grand Canyon. Le taux de change est un élément qui pèse lourd dans les décisions de vacances. On n'a qu'à penser à la popularité des destinations comme le Japon, dont la devise est à un niveau historiquement faible, ou la Croatie il y a quelques années, avant son entrée dans la zone euro. Depuis le début de l'année, le dollar américain a perdu 10 % de sa valeur, selon l'indice DXY de la Réserve fédérale qui mesure la solidité de la devise américaine vis-à-vis des principales monnaies mondiales. L'indice qu'on appelle le Dixie a connu son déclin le plus marqué depuis 1973. Même si le dollar est plus attrayant, les États-Unis seront le seul pays au monde à voir diminuer les revenus du tourisme international cette année, selon le World Travel & Tourism Council (WTTC), une organisation établie à Londres dont les plus récentes prévisions concernent 184 pays. Les Canadiens, on le sait, désertent les États-Unis cette année et on sait aussi pourquoi. Les droits de douane imposés par le président Donald Trump et, surtout, ses menaces d'annexion suffisent à couper l'envie d'aller dépenser notre argent chez lui. Diminution historique Mais le reste du monde a aussi l'intention d'éviter les États-Unis cette année, signale le WTTC, pour des raisons qui ont toutes un lien avec Donald Trump. Son administration a interdit l'entrée sur le territoire américain aux ressortissants de 12 pays et menace d'étendre cette interdiction à 36 autres pays. Ceux qui ont toujours la possibilité de visiter les États-Unis se demandent si un nom à consonance exotique ou des messages déjà échangés sur les réseaux sociaux pourraient leur valoir d'être arrêtés et détenus par la police de l'immigration. Ce sont des risques réels, qui font pâlir rapidement les attraits touristiques américains. Les chiffres officiels du gouvernement américain indiquent que le nombre de visiteurs étrangers était en baisse de 12 % sur une base annuelle en mars, la diminution la plus forte jamais enregistrée à l'exception de la période pandémique. En plus des Canadiens, d'autres sources importantes de revenus touristiques pour les États-Unis se tarissent. C'est le cas des Britanniques et des Allemands, en particulier, qui sont moins nombreux à visiter le pays, selon le National Travel and Tourism Office, qui relève du département du Commerce. Le nombre de visiteurs de l'Irlande, de la Corée du Sud, de l'Espagne et de la Colombie affiche aussi des baisses comprises entre 15 et 30 %. L'économie américaine en souffrira. L'an dernier, les visiteurs étrangers aux États-Unis ont laissé 184 milliards US dans l'économie américaine. La prévision pour cette année est de 169 milliards, une baisse de 8 %, selon le World Travel & Tourism Council. Contrairement aux autres destinations les plus prisées, les États-Unis, un des pays les plus visités au monde, n'ont pas à craindre le surtourisme cette année. Le Canada non plus, d'ailleurs. Même si l'industrie touristique locale bénéficiera de la volonté des Canadiens de ne pas aller passer leurs vacances aux États-Unis, elle souffrira de la baisse prévue des visiteurs américains. Chez nos voisins du Sud, deux facteurs peuvent leur faire renoncer à visiter le Canada : la crainte d'être mal accueillis et la peur de ne pas pouvoir rentrer chez eux après leurs vacances en raison du zèle de la police de l'immigration.


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an hour ago
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L'UE veut négocier, mais s'impatiente face à Trump
(Bruxelles) L'Union européenne espère toujours obtenir un accord avec les États-Unis après les nouvelles menaces de Donald Trump d'imposer le 1er août des droits de douane de 30 %, mais la patience s'amenuise, ont indiqué lundi le négociateur en chef de l'UE et des ministres européens du Commerce. Max DELANY Agence France-Presse « J'ai l'intention de m'entretenir à nouveau avec mes homologues américains dans le courant de la journée, car je ne peux pas m'imaginer en rester là sans effort véritable », a déclaré le commissaire européen chargé du Commerce Maros Sefcovic. Mais, a-t-il ajouté, « nous devons nous préparer à toutes les éventualités, y compris, si nécessaire, à des contre-mesures proportionnées et bien calibrées pour rétablir l'équilibre de notre relation transatlantique ». La décision du président américain, annoncée dans une lettre rendue publique samedi, a jeté un froid alors que les négociations commerciales étaient toujours en cours entre Bruxelles et Washington, avant la date butoir du 1er août. « Changer de méthode » « L'incertitude actuelle causée par des droits de douane injustifiés ne peut pas durer indéfiniment », a souligné M. Sefcovic. « Évidemment, la situation depuis samedi doit nous amener à changer de méthode », a renchéri lundi à Bruxelles le ministre français chargé du Commerce extérieur Laurent Saint-Martin, avant une réunion des ministres de l'UE. Et il ne faut avoir « aucun tabou », a-t-il martelé, y compris en annonçant dès lundi de premières représailles. « Nous voulons un accord, mais il y a un vieux dicton qui dit : 'si tu veux la paix, tu dois te préparer à la guerre' », a déclaré de son côté le ministre danois des Affaires étrangères, Lars Lokke Rasmussen, dont le pays assure actuellement la présidence tournante de l'UE. La présidente de la Commission européenne – qui négocie au nom des États membres de l'UE –, Ursula von der Leyen, a choisi pour le moment de temporiser, sous pression notamment de pays, comme l'Allemagne, dont les ventes vers les États-Unis représentent la part la plus importante du total des exportations de l'UE. Elle a annoncé dimanche que l'Union européenne n'allait pas riposter pour l'instant aux droits de douane américains sur l'acier et l'aluminium, dans l'espoir d'obtenir un accord qui s'avérerait moins douloureux. « Nous avons toujours été très clairs sur le fait que nous préférons une solution négociée. Cela reste le cas et nous utiliserons le temps dont nous disposons maintenant jusqu'au 1er août », a déclaré Mme von der Leyen. Des diplomates ont néanmoins souligné qu'un paquet de mesures de représailles supplémentaires serait présenté aux ministres lundi, mesures qui pourraient être mises en œuvre si Donald Trump optait effectivement pour des taxes de 30 % sur les importations en provenance de l'Union européenne. 100 milliards d'euros L'UE a déjà menacé en mai d'imposer des droits de douane sur des produits américains d'une valeur d'environ 100 milliards d'euros (160 milliards de dollars canadiens) comprenant des automobiles et des avions, si les négociations échouaient – quand bien même un diplomate a laissé entendre que la liste finale avait été réduite à une valeur de 72 milliards (115 milliards de dollars canadiens). Les pays européens essayent de rester unis dans cette affaire, bien que leurs économies ne soient pas exposées de la même façon aux foudres douanières du président américain. Emmanuel Macron a exhorté samedi la Commission européenne à « défendre résolument les intérêts européens » et à « accélérer la préparation de contre-mesures crédibles ». Le chancelier allemand Friedrich Merz s'est dit dimanche d'accord avec le président français, précisant avoir discuté avec lui, avec Mme von der Leyen et Donald Trump ces derniers jours. Il assure vouloir s'impliquer « intensivement » pour tenter d'arriver à une solution. La première ministre italienne Giorgia Meloni a quant à elle mis en garde dimanche contre la perspective d'une « guerre commerciale » au sein du monde occidental. « L'Europe dispose de la puissance économique et financière nécessaire pour affirmer sa position et parvenir à un accord équitable et de bon sens. L'Italie fera sa part. Comme toujours », a-t-elle dit dans un communiqué, tandis que son opposition l'accuse de manquer de fermeté face à Washington. Depuis son retour à la présidence des États-Unis en janvier, Donald Trump a imposé des droits de douane fluctuants et généralisés à ses alliés et ses concurrents, perturbant les marchés financiers et alimentant les craintes d'un ralentissement économique mondial.


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2 hours ago
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Rémunération des ménages québécois
« La rémunération salariale des ménages québécois a atteint 99,1 % de celle des autres Canadiens en 2024, alors que cette proportion a très longtemps oscillé entre 85 % et 90 % jusqu'en 2015, avant de remonter nettement depuis », écrit Francis Vailles. Pendant des années, les Québécois s'estimaient « nés pour un petit pain », ce qui les condamnait à rester moins riches que les Canadiens anglais et à s'en satisfaire. L'émancipation les a amenés à se débarrasser de cette attitude défaitiste, avec l'espoir de combler un jour le retard de richesse. Or voilà qu'après ce long parcours, on peut maintenant dire que les ménages québécois gagnent autant que les autres Canadiens, du jamais vu depuis des décennies. Pour être plus précis, la rémunération salariale des ménages québécois a atteint 99,1 % de celle des autres Canadiens en 2024, alors que cette proportion a très longtemps oscillé entre 85 % et 90 % jusqu'en 2015, avant de remonter nettement depuis. Nul doute que le premier ministre du Québec, François Legault, s'en réjouira, bien que les raisons soient multiples et que la genèse du phénomène remonte à de nombreuses années. Pour arriver à une telle conclusion, j'ai passé au peigne fin les données de Statistique Canada sur les revenus des ménages qui servent au calcul du Produit intérieur brut (PIB). En 2024, donc, les salariés des ménages du Québec ont touché l'équivalent de 37 300 $ par habitant, en moyenne, ce qui représente 99,1 % des 37 650 $ du reste du Canada. Attention, ce n'est pas la rémunération par salarié, mais par habitant : un ménage de 4 personnes (2 enfants) pourrait donc gagner 4 fois cette rémunération par habitant, en moyenne. Il faut voir le chiffre par habitant comme un indicateur aux fins de la comparaison. Le rapport de 99,1 % de l'année 2024 est un sommet depuis 1981, l'année la plus lointaine pour laquelle Statistique Canada publie des données. Le rattrapage du Québec est éloquent face à l'ensemble des autres Canadiens, comme aux Ontariens plus spécifiquement. La remontée avec l'Ontario a débuté en 1989, et selon les données les plus récentes pour cette province, soit 2023, le rapport de rémunération Québec/Ontario atteint maintenant 96,4 %, alors qu'il était de 77,1 % en 1989. Laissons parler les graphiques. L'information surprend. J'ai donc refait l'exercice avec deux autres bases de données de Statistique Canada sur les revenus des ménages, qui confirment le net rattrapage depuis 10 ans1. Diverses raisons peuvent expliquer l'impressionnant phénomène. L'économie du Québec s'est redressée après le retour à l'équilibre budgétaire de 2015. La vigueur du marché du travail, jumelée au taux d'activité record des femmes grâce au programme de garderie, y est pour beaucoup. Cette vigueur, en combinaison avec le vieillissement de la population, a créé une pénurie de main-d'œuvre, avec des pressions sur les salaires. Il faut aussi admettre que certaines autres provinces ont reculé pendant la même période, notamment l'Ontario après la crise financière de 2007, et l'Alberta, après la crise pétrolière de 2014. Charles St-Arnaud, économiste en chef d'Alberta Central, a bien expliqué la sous-performance albertaine depuis une décennie – et pas seulement à cause du pétrole –, source du mécontentement alimentant le mouvement séparatiste là-bas. Le pouvoir d'achat y a reculé de 13 % depuis 10 ans2. Enfin, l'Ontario accueille un nombre très important d'immigrants, notamment ceux issus de réunifications familiales (conjoints, enfants et grands-parents), bien davantage qu'au Québec, ce qui peut exercer une pression à la baisse sur la rémunération moyenne. Quoi qu'il en soit, les Québécois n'ont plus à rougir de la comparaison pancanadienne à cet égard. Cela dit, malgré la remontée, les Québécois conservent encore moins d'argent dans leurs poches qu'ailleurs au Canada pour payer leurs dépenses courantes (hypothèques, épicerie, etc.). La base de données que j'ai utilisée sert ultimement au calcul du revenu disponible des ménages, qui correspond à l'ensemble des revenus après impôts et transferts. Or, ce revenu disponible par habitant des Québécois représente 91 % de celui des autres Canadiens en 2024, selon les données, après un creux historique de 83 % en 2015. La progression des ménages québécois est nette depuis 2015, comme la rémunération salariale, mais sans rejoindre le niveau des autres Canadiens. Le revenu disponible, faut-il savoir, englobe non seulement la rémunération des salariés, mais aussi l'ensemble des transferts reçus des gouvernements et des entreprises. Parmi ces transferts, mentionnons l'assurance-emploi et l'aide sociale, mais surtout les prestations de retraite du privé et du public (RRQ, pension fédérale, etc.), très importantes. À cette somme sont soustraits les transferts versés aux gouvernements, notamment l'impôt sur le revenu et les taxes foncières, ce qui donne le revenu disponible. Qu'est-ce qui explique cette différence ? Comme on peut s'y attendre, les Québécois reçoivent davantage de transferts des gouvernements qu'ailleurs, mais ils paient aussi plus d'impôts. Notez que le revenu disponible est calculé avant le paiement des dépenses, et donc avant le prélèvement des taxes de vente. Ces taxes de vente sont plus élevées au Québec (15 %) qu'en Ontario (13 %), en Colombie-Britannique (12 %) ou en Alberta (5 %). Malgré tout, le pouvoir d'achat s'est accru nettement plus au Québec qu'ailleurs au Canada depuis 10-15 ans. Plus précisément, le revenu disponible par habitant au Québec a crû de 3,8 % par année entre 2015 et 2024, en moyenne, alors que l'inflation annuelle a été de 2,6 %. Ailleurs, la croissance annuelle a été de 2,8 %, soit un niveau comparable à l'inflation (2,7 %). Bref, les Québécois se sont enrichis, tandis que la moyenne des autres Canadiens a stagné3. Enfin, ce portrait explique pourquoi le taux d'épargne des Québécois augmente davantage qu'ailleurs au Canada. L'épargne est mesurée après avoir soustrait du revenu disponible les dépenses de consommation des ménages. Le taux d'épargne représente 9,2 % du revenu disponible au Québec au premier trimestre de 2025, contre 4,8 % ailleurs au Canada. Cet écart est l'un des plus importants depuis quatre décennies. Le graphique illustre le phénomène, comme l'anormalité des données de la période pandémique, qui a vu les Canadiens obtenir l'aide financière des gouvernements. Voilà le portrait de la situation. Cela dit, bien que les Québécois aient rejoint les autres Canadiens en matière de rémunération salariale, leur patrimoine demeure plus faible, notamment le patrimoine immobilier. Quoi de mieux que l'épargne pour combler cette différence, n'est-ce pas ? Autre élément : la situation des Québécois, comme celle des Canadiens, se compare mal à bien des pays développés. C'est le prochain rattrapage à faire. 1. Pour la première des deux sources de comparaison, le Québec a égalé la moyenne canadienne en 2022 et pour la seconde, le Québec est encore 10 % sous la moyenne canadienne en 2023. La différence s'explique notamment par le type d'enquêtes et ce qu'elles cherchent à mesurer. La première tire ses renseignements des déclarations de revenus à l'Agence du revenu du Canada et compare le revenu des familles constituées du même nombre de personnes (par exemple un couple avec deux enfants). La seconde est l'Enquête canadienne sur les revenus (ECR), qui est liée à l'enquête sur la population active (EPA), celle qui mesure notamment le taux de chômage au moyen d'un questionnaire auprès de 60 000 ménages. Notez que dans ces deux cas, il s'agit de revenus médians, qui illustrent mieux le ménage type que la moyenne. 2. Alberta Central est l'association des coopératives de crédit de l'Alberta. Pour lire l'analyse de Charles St-Arnaud, voir ici : Lisez l'analyse de Charles St-Arnaud (en anglais) 3. J'ai aussi fait la comparaison avec l'année 2010 plutôt qu'avec le creux de 2015. Le gain de pouvoir d'achat des Québécois est moins grand, mais demeure nettement plus important que celui des autres Canadiens.