
« L'hôtel était anglais, tout le reste était français »
François Charbonneau
Essayiste et professeur titulaire à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa
Il y a 80 ans, le 6 août 1945, les journaux québécois annonçaient qu'une première bombe atomique avait éclaté au-dessus de la ville japonaise d'Hiroshima. Mais une autre histoire publiée ce jour-là passionnera bientôt le Québec tout entier : un médecin noir new-yorkais, George D. Cannon, et sa femme, Lillian M. Cannon, poursuivaient en justice le célèbre Château Frontenac pour discrimination raciale.
Les Cannon avaient décidé cet été-là de passer leurs vacances à Québec. Dès leur arrivée au Château où ils séjourneront deux semaines, le 29 juillet 1945, ils soupent dans la salle à manger du célèbre hôtel où Churchill et Roosevelt s'étaient rencontrés deux fois plutôt qu'une (en 1943, puis en 1944). Les Cannon, qui occupent la chambre 4119, soupent à nouveau dans la salle à manger les 30 et 31 juillet, dans le plus grand bonheur.
Or, le soir du 1er août 1945, quelque chose cloche. Le maître d'hôtel fait patienter les Cannon, qui sont pourtant les premiers dans la file depuis un moment.
C'est George J. Jessop, directeur adjoint de l'hôtel, qui finira par expliquer au couple que la présence de « Noirs » importune des clients américains. Ils ne pourront plus souper dans la salle à manger, mais dans leur chambre seulement.
Si George J. Jessop pensait avoir réglé le « problème », il ne savait pas à qui il avait affaire. L'incident du Château fera les nouvelles jusqu'en Australie !
Une ténacité hors norme
C'est que George D. Cannon est un être d'exception. Tous les témoignages concordent : Cannon est non seulement un bon vivant, c'est aussi un être habité d'une force et d'une ténacité hors norme. Il a mené des études de médecine à l'Université de Chicago alors qu'il n'avait même pas le droit de loger sur le campus à cause de la discrimination raciale. Pendant ses études, la tuberculose l'alite pendant deux ans et lui enlève un poumon. S'il subit d'innombrables actes de racisme pendant son parcours, il sera pourtant le premier Afro-Américain embauché dans trois hôpitaux new-yorkais différents. En 1945, il est depuis longtemps un militant pour les droits civiques. Il n'allait pas laisser passer un tel affront, même subi dans un pays étranger.
PHOTO FOURNIE PAR L'AUTEUR
Le Dr George D. Cannon, premier Afro-Américain embauché dans trois hôpitaux new-yorkais différents
Cannon retient les services d'un jeune avocat québécois, Édouard Laliberté, qui lui suggère d'adopter une double stratégie : d'abord, par voie d'injonction interlocutoire (obtenue du juge Oscar Boulanger, de la Cour supérieure), mettre en demeure le Château d'offrir au couple l'ensemble des services auxquels il a droit en vertu de son statut de client. Ensuite, déposer simultanément une poursuite en justice pour compenser l'humiliation subie. La stratégie va fonctionner à merveille.
Le gérant du Château se fait servir l'injonction interlocutoire qui l'oblige à servir le couple le 4 août 1945, et les journaux québécois s'intéressent à l'affaire Cannon de manière soutenue à partir du 6 août 1945.
Dans son autobiographie, le médecin ne tarira pas d'éloges envers la presse québécoise, qui publie abondamment sur l'affaire. Le couple est tout aussi touché de l'appui qu'il reçoit de la population française de la ville de Québec, outrée de l'injustice subie par le couple.
Le Château recevra de nombreux télégrammes de Québécois indignés. Plusieurs ont l'idée d'inviter le couple à souper à la maison et ils accepteront au moins l'une de ces invitations, celle d'un médecin dont l'histoire n'a pas retenu le nom. Ils seront reçus en invités d'honneur à l'Université Laval et sans doute à l'Hôtel-Dieu. Des chauffeurs de taxi comme des passants leur feront découvrir les atours de la ville. Des membres du personnel de l'hôtel les encourageront à mener leur combat jusqu'au bout. Dans une lettre de remerciement envoyée de New York et publiée dans plusieurs journaux québécois le 10 septembre 1945, le Dr Cannon écrira que « vraiment une ville et une province font preuve de grandeur pour avoir tant de citoyens empressés à montrer leurs sentiments sur un tel sujet ».
Des archives inaccessibles
La poursuite se réglera à l'amiable, en 1946. Si nous connaissons bien les arguments présentés par Édouard Laliberté dans ce dossier, nous ne savons toujours pas précisément quels arguments favorables à la discrimination le Château entendait présenter pour se défendre. Cet argumentaire existe pourtant, puisque pas moins de quatre dossiers, comportant 657 pages, préparés par les avocats du Château dans cette affaire, sont conservés par Bibliothèque et Archives Canada (BAC), à Renfrew, en Ontario.
Cette institution, qui prétend promouvoir les meilleurs principes EDI, choisit incompréhensiblement de ne pas donner accès à 87 % des pages qu'il contient, pour protéger le privilège avocat-client d'une entreprise (La Chateau Frontenac Company) qui n'existe plus, 80 ans après les faits. Ce refus est d'autant plus inexplicable que l'actuel Château Frontenac a officiellement autorisé BAC à ouvrir ces archives au complet en 2022. Notons que les hôtels Fairmont ont pour leur part présenté des excuses officielles au couple lors du lancement de mon livre L'affaire Cannon (Boréal, 2025) au Château Frontenac, le 5 avril dernier.
IMAGE FOURNIE PAR L'AUTEUR
George Dows Cannon conservera longtemps le souvenir de cet évènement. Il insistera, dans son autobiographie inédite, sur le contraste entre le traitement qu'il reçoit de la direction de l'hôtel et l'appui enthousiaste qu'il reçoit de la population de Québec. Il conclura ainsi que « l'hôtel était anglais, tout le reste était français ».
Consultez le site de l'affaire Cannon
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