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Comment le Parti socialiste réussit à se diviser sur l'islamophobie

Comment le Parti socialiste réussit à se diviser sur l'islamophobie

POLITIQUE - Vendredi 3 juillet. Le ministère de l'Intérieur diffuse des chiffres alarmants. Les actes islamophobes (ou « antimusulmans » selon la terminologie prisée par Bruno Retailleau) observent une hausse inédite : + 75 % en un an. Dimanche 6 juillet dans Marianne, l'opposition à Olivier Faure au sein du Parti socialiste, de Nicolas Mayer-Rossignol à Jérôme Guedj en passant par Carole Delga publie un texte au titre évocateur : « Nous, socialistes, continuons à refuser le terme d'islamophobie ».
Dans cette prise de position qui interroge au regard du contexte décrit par Beauvau, les perdants du Congrès s'insurgent contre une mesure prise par la direction du PS, instaurant un « secrétariat National à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et l'islamophobie ». Selon eux, le mot choisi par l'état-major du PS porte atteinte à la laïcité et à sa portée universaliste. À l'instar de Manuel Valls en son temps, les signataires préfèrent donc utiliser « antimusulman », car le mot « islamophobie » serait « ambigu, politisé, et souvent détourné pour remettre en cause les fondements mêmes de notre pacte républicain ».
Une formule « piège » qui « valide les thèses d'une gauche identitaire et communautariste, qui dénature l'antiracisme et affaiblit la laïcité » d'après eux. Ces élus estiment ainsi que ce terme interdit le blasphème, ce qui est une vision contestée par les spécialistes. Comme l'avait démontré l'AFP Factuel se basant sur les travaux des sociologues Marwan Mohammed et Abdellali Hajjat, rattachés au CNRS, l'expression remonte au début du XXe siècle, même si son utilisation dans le débat public est intervenue au début des années 2000, à la suite des attentats du 11-Septembre. En outre, Brice Hortefeux ou encore Nicolas Sarkozy employaient bien cette qualification du temps de leur passage au ministère de l'Intérieur.
Volte-faces
Les services du ministère utilisent par ailleurs eux-mêmes ce terme, comme encore ce 29 avril auprès du Parisien. Sans surprise, cette prise de position post-Congrès jette un froid au sein des troupes socialistes. Car, parmi les signataires du texte, plusieurs personnalités avaient pourtant adopté cette expression. C'est notamment le cas de Jérôme Guedj qui, sur la place de la République à l'occasion du rassemblement en hommage à Aboubakar Cissé, a bien utilisé ce terme pour qualifier ce meurtre commis dans une mosquée du Gard. Ou de Laurence Rossignol qui, au sujet de cette même affaire, expliquait doctement dans Le Monde: « en l'espèce, on peut utiliser 'islamophobie'. Car, ce qui est visé, ce sont les musulmans et leur culte ».
Ainsi, plusieurs responsables socialistes s'en prennent publiquement à cette tribune qui, en plus de réveiller un vieux débat sémantique à gauche, donne l'impression de rejouer un Congrès mal digéré. « Vous ne me représentez pas et moi socialiste j'assume le terme islamophobie. La lexicologie du printemps républicain n'est pas un argument politique à mes yeux », a grondé le maire PS d'Alfortville Luc Carvounas. En réponse, le maire de Paris Centre Ariel Weil lui rétorque qu'un texte commun signé en 2022 par Olivier Faure, et publié dans Le Monde, contestait aussi le terme. Ce a quoi les partisans de l'utilisation de l'expression répliquent en exhumant les archives, plus récentes, de Jérôme Guedj et Laurence Rossignol…
En outre, il est intéressant de rappeler que l'ONU utilise bien ce terme, par ailleurs honni de l'extrême droite. « L'islamophobie se définit par la peur, les préjugés et la haine envers les musulmans », peut-on lire sur le site des Nations unies, qui précise plus loin : « Certains experts préfèrent l'étiquette 'haine antimusulmane' craignant que le terme 'islamophobie' ne risque de condamner toutes les critiques de l'islam et, par conséquent, puisse étouffer la liberté d'expression. Mais les droits de l'homme protègent les individus et non les religions. Et l'islamophobie peut également affecter les non-musulmans, en fonction des perceptions de la nationalité, de la race ou de l'origine ethnique ».
Bayrou plus clair que le PS
Ce qui, manifestement, a conduit le premier secrétaire du PS à revoir sa position. « Le terme d'islamophobie est devenu le terme consacré pour parler des attaques contre les musulmans, toutes les institutions internationales l'utilisent », soulignait-il au mois de mai. Mais alors, pourquoi le Parti socialiste continue de se diviser sur le sujet, qui plus est à l'heure où les actes islamophobes observent une croissance inquiétante ? L'explication pourrait tenir en trois mots : La France insoumise.
À l'heure où le rapport à LFI devient obsessionnel au sein de l'état-major du PS, et dans un contexte où le parti mélenchoniste a fait de la lutte contre l'islamophobie l'un des axes majeurs de son combat politique, la tentation est forte de mettre la pression sur l'actuelle direction du PS, déjà accusée par le camp Mayer-Rossignol d'ouvrir la porte à un rapprochement avec les insoumis dans le cadre du Front populaire 2027.
Et ce, en contradiction avec la position tenue par Olivier Faure durant le Congrès. D'où cette nécessité de rejouer le refrain des gauches irréconciliables, qui plus est sur un sujet si éruptif. Ce qui désole un cadre socialiste sondé par Le HuffPost, qui pensait pourtant que le débat était « clos » depuis le meurtre d'Aboubakar Cissé. Et notre interlocuteur d'ajouter : « Le débat sémantique est toujours intéressant mais à partir du moment où les Français victimes de ce racisme antimusulman utilisent le terme 'islamophobe', contester le terme ça donne le sentiment qu'on conteste l'importance de ce racisme ». C'est effectivement le risque. Qui plus est dans un contexte où même François Bayrou apparaît plus clairvoyant sur la question.
Interrogé sur le sujet après l'attaque dans le Gard, le Premier ministre ne s'embarrassait pas de ces pudeurs sémantiques qui agitent les cénacles socialistes. « Refuser un mot parce qu'on ne veut pas regarder la réalité en face, c'est une attitude que j'ai déjà rencontrée dans ma vie politique », avait-il répondu, avant d'interroger : « si ce n'est pas de la haine dirigée contre l'islam, qu'est-ce que c'est ? Pourquoi refuser les mots justes ? ».
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