
République démocratique du Congo
L'auteur a séjourné à Goma, en République démocratique du Congo, du 6 avril au 6 mai 2025
Musavuli Olivier Kambere
Technicien en information et en recherche sociale au Collège de Maisonneuve
« L'arbre ne rejette pas ses racines. » — Proverbe africain
En avril 2025, j'ai pris une décision incomprise : retourner à Goma, ma ville natale dans l'est de la République démocratique du Congo, alors sous contrôle des rebelles de l'AFC/M23. Vingt ans après avoir fui la guerre et trouvé refuge au Canada, j'ai voulu revoir cette terre abandonnée par l'État, meurtrie par les conflits, et étouffée par le tribalisme.
À Montréal, certains collègues m'ont souhaité bon courage. D'autres m'ont regardé avec inquiétude. Sur place, les réactions furent plus crues : « Tu es fou ! Nous, on rêve de fuir ce pays. Toi, tu reviens ? »
Je répondais simplement : « Ma vie n'a pas plus de valeur que la vôtre. »
Dans les rues de Goma, j'ai vu la peur, la méfiance, et la lassitude d'un peuple trahi. J'ai vu la militarisation civile, encouragée par un État dépassé. Les Wazalendo, ces groupes armés dits « patriotes », opèrent sans encadrement, sans uniforme, sans règles. Résultat : braquages, violences nocturnes, climat d'insécurité.
Paradoxalement, certains habitants préfèrent aujourd'hui la présence de l'AFC/M23 : « Au moins, eux ne nous volent pas tous les soirs », m'a confié un commerçant.
Ce constat est glaçant. Quand les civils finissent par tolérer une force rebelle, non par adhésion, mais parce qu'elle apporte un minimum d'ordre, c'est le signe que l'État a totalement failli à sa mission.
Le rejet identitaire
Mais ce qui m'a le plus frappé, c'est le rejet identitaire. Dès mon entrée à la frontière, les regards étaient lourds, suspicieux. À cause de mon apparence physique, on me prenait pour un Tutsi, voire l'un des Banyamulenge, donc potentiellement un ennemi. Ce soupçon, je l'ai déjà vécu en 1996, quand fuir signifiait traverser des camps contrôlés par les milices Interahamwe. Trente ans plus tard, la même peur ressurgit. Ce n'est pas ce que je suis qui pose problème, mais ce que je semble être.
Comment une nation peut-elle se reconstruire si elle juge ses enfants à leur visage ? Même au Canada, l'ombre du racisme m'a parfois poursuivi : en 2009, une image de singe a été collée sur ma porte. Mais ici, j'ai aussi connu la justice, l'écoute, l'opportunité. Ce contraste me renforce dans l'idée que le racisme n'est jamais l'apanage d'un peuple, mais celui d'esprits étroits.
La guerre à Goma ne se joue pas seulement avec des armes. Elle se joue dans les regards, dans les mots, dans les exclusions.
On réduit souvent ce conflit à une lutte pour les minerais ou le territoire. Mais sur le terrain, c'est aussi une guerre contre l'autre, contre celui qui ne rentre pas dans le moule tribal ou politique.
L'abandon est palpable. Kinshasa sanctionne les zones sous occupation : banques fermées, routes coupées, hôpitaux paralysés. Ces mesures ne frappent pas les rebelles, elles punissent les civils. Human Rights Watch et la CENCO l'ont dénoncé, mais rien ne change. Les habitants de Goma vivent dans une zone grise, oubliée, sacrifiée.
Une lumière dans la grisaille
Et pourtant, dans cette grisaille, j'ai vu une lumière. Des femmes qui traversent la ville pour vendre quelques bananes. Des enfants en uniforme, courant vers une école qui tient debout par miracle. Une résilience silencieuse, méprisée par les gouvernants, mais tenace.
Certaines personnes m'ont dit : « Si toi, un Canadien, tu es revenu, peut-être que la guerre va finir. » J'aurais voulu y croire. Mais je me suis contenté de répondre avec un sourire. Dans mon cœur, je pensais à ceux qu'on appelle les habitants des zones vertes — ces gens qui, chaque matin, peuvent sortir de chez eux sans craindre une rafale ou un enlèvement.
Moi, je suis revenu pour voir. Et je repars pour témoigner. Pas pour accuser un camp, mais pour rappeler que les premières victimes d'une guerre, ce sont toujours les civils. Ceux qui n'ont pas choisi leur camp, leur visage, leur destin.
Le Congo ne connaîtra jamais la paix tant qu'il ne sera pas juste avec tous ses enfants. Et vous, que feriez-vous si votre propre pays vous tournait le dos ?
« Quand deux éléphants se battent, c'est l'herbe qui souffre. » — Proverbe africain
Je remercie chaleureusement mes filles pour leur soutien quotidien, ainsi que mes collègues du Collège de Maisonneuve au Canada pour leur encouragement constant. Leur présence a été précieuse tout au long de ce projet.
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