
Coûteuse et peu efficace: la préférence nationale à l'embauche est un flop
Le bâtiment fait partie des secteurs où il manque le plus de main-d'œuvre. Il représente 32% des postes soumis à l'obligation d'annonce, selon le récent monitorage du SECO.
IMAGO/HERRMANN AGENTURFOTOGRAFIE
En bref:
Le 9 février 2014, l'initiative populaire fédérale «Contre l'immigration de masse» était acceptée par le peuple suisse. Une des propositions de l'Union démocratique du centre (UDC) était de systématiser la préférence nationale sur le marché du travail. En clair: privilégier les résidents, plutôt que de faire appel aux travailleurs venus de l'étranger.
À l'époque, les responsables politiques européens s'offusquent d'une mesure qui entraverait la libre circulation. En Suisse, les milieux économiques sont aussi réservés. Mais la volonté populaire est là et après des années de discussions, le parlement finit par mettre sur pied un compromis qualifié de tiède: l'obligation, pour les entreprises actives dans des secteurs où le chômage est élevé, d'annoncer les postes à pourvoir d'abord aux gens inscrits dans les Offices régionaux de placement (ORP). Botanistes, plâtriers et acteurs
La mesure entre en vigueur en juillet 2018, et se renforce en 2020, date à partir de laquelle tous les métiers où le chômage dépasse les 5% sont concernés. Aujourd'hui, la liste , disponible sur le site du Secrétariat d'État à l'économie (SECO), est longue: elle va des acteurs aux sociologues, en passant par les plâtriers, les botanistes, les opérateurs en horlogerie. Les téléphonistes également: concrètement, cela signifie qu'une offre pour un poste de téléphoniste sur JobUp.ch , par exemple, aura été proposée en primeur sur la plateforme du service public de l'emploi, Job-Room .
Ce système est-il utile pour faire diminuer le chômage dans les métiers concernés? Le Rapport de monitorage 2024 du Secrétariat d'État à l'économie donne des chiffres éclairants: l'année dernière, plus de 60'000 annonces soumises à obligation ont été postées en priorité aux ORP. Sur ce chiffre, seulement 2000 ont abouti à un placement, soit un taux de réussite de 3%. Dans son Rapport annuel 2024 , la Commission de gestion du Conseil national note que «sur la base de deux évaluations d'impact publiées en 2021, l'obligation d'annonce n'a aucun effet significatif mesurable sur le taux de chômage agrégé ou sur l'immigration». Un «fardeau» pour les employeurs
Les milieux économiques semblent du même avis. En réponse à nos questions, la fédération de l'hôtellerie et de la restauration, GastroSuisse, se montre très claire: «L'obligation d'annoncer les postes vacants est inefficace et même contre-productive», estime son directeur adjoint, Patrik Hasler-Olbrych. Il souligne que dans son secteur, de nombreux chômeurs sont classés comme travailleurs de l'hôtellerie-restauration sans même y chercher d'emploi, ce qui gonfle les chiffres. «L'obligation d'enregistrer les offres devient un fardeau pour les employeurs, ajoute-t-il, alors que la pénurie de personnel qualifié persiste.»
La restauration fait aussi partie des secteurs soumis à l'obligation d'annonce. Alors qu'une pénurie de personnel est constatée dans ce secteur, le taux de chômage des «auxiliaires en restauration» s'établit à 5,1% début 2025.
KEYSTONE
Le Centre patronal est moins critique. «En période de pénurie de main-d'œuvre généralisée, comme c'est le cas actuellement dans de nombreux secteurs, il est difficile de mesurer l'efficacité réelle de cette obligation, admet Tatiana Rezso, responsable politique. Les employeurs, pour la grande majorité, respectent la règle. Mais avec des taux de chômage historiquement bas, les bons profils ne sont tout simplement pas toujours disponibles. Face à cette réalité, les entreprises n'ont souvent pas d'autre choix que de se tourner vers des personnes venues de l'étranger.» Amende de 40'000 francs
Le problème, c'est que cette mesure a un coût. Car elle induit non seulement une charge de travail supplémentaire pour les ORP, mais en plus, elle oblige les cantons à contrôler le respect de la loi, c'est-à-dire l'article 117a de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI) : «Violation des obligations relatives à la communication des postes vacants». Quiconque l'enfreint sera puni d'une amende de maximum 40'000 francs.
Selon le monitoring de 2022 du SECO , pour les cantons, les coûts inhérents à cette exécution d'obligation d'annonce ont été estimés à 18 millions de francs en 2019 et à 20 millions de francs en 2020 et 2021. Entre 2020 et 2023, la Confédération a soutenu les cantons dans cette tâche avec une aide financière totale de 1 million de francs environ, selon les chiffres avancés par la Commission de gestion du Conseil national. Des cantons peu proactifs
Cette aide est terminée: depuis 2024, les cantons sont autonomes pour financer ces contrôles. L'enquête de «24 heures» montre qu'en Suisse romande en tout cas, ils interprètent tous différemment l'obligation d'annoncer et que les situations varient beaucoup.
En Valais, les chômeurs de longue durée ont bien diminué depuis trois ans, mais cette baisse est plutôt imputable à l'évolution positive de la conjoncture depuis la fin du Covid. Le Canton emploie deux personnes à 10% pour contrôler l'obligation d'annoncer et a distribué 233 avertissements depuis 2022. Une application plutôt minimaliste de la loi, comme à Fribourg, où une seule personne est chargée de ces contrôles. Depuis 2022, 56 entreprises ont été contrôlées et aucune n'a été sanctionnée. Véronique Scherer Kaeser, chargée de communication au Service public de l'emploi à Fribourg, n'hésite pas à conclure que dans ce canton, le «bilan s'avère mitigé. Cette obligation d'annonce a entraîné une augmentation de la charge de travail, tant pour les employeurs que pour les collaborateurs et collaboratrices des Offices régionaux de placement (ORP). En revanche, son impact sur l'insertion des demandeurs d'emploi et sur le taux de chômage reste limité.»
À Neuchâtel, Olha Sereda, cheffe de service adjointe au Département de l'emploi et de la cohésion sociale, est moins négative. «Cette obligation a permis de donner une meilleure visibilité aux profils locaux dans les professions où le chômage est structurellement plus élevé, indique-t-elle. Dans certains cas, elle a facilité des recrutements plus rapides et ciblés, mais l'impact quantitatif reste difficile à estimer.» Une personne à mi-temps s'occupe des contrôles. Septante-six amendes ont été distribuées entre 2022 et 2024. Dans le Jura, une personne octroie 10% de son temps à effectuer ces contrôles. Trente-sept avertissements ont été distribués depuis 2022.
Genève semble plus proactif, dans la mesure où le canton compte 17'000 demandeurs d'emploi et 18'000 personnes à l'aide sociale en âge de travailler. Un contrôle aléatoire est opéré au quotidien sur internet et la vérification est assurée grâce à l'outil fédéral de gestion et de suivi des emplois vacants (PLASTA). Cent cinquante avertissements ont été distribués depuis 2022. Baisse des contrôles
«Au-delà de l'obligation d'annonce, le Canton de Genève travaille activement pour répondre aux besoins des secteurs en pénurie», précise la ministre Delphine Bachmann, chargée du Département de l'économie et de l'emploi. «Le Conseil d'État vient ainsi de lancer – avec les partenaires sociaux – son premier plan directeur cantonal en matière d'employabilité. Il s'agit d'un paquet de quatorze mesures afin de permettre une meilleure correspondance entre le profil professionnel des individus et les besoins des entreprises.»
Dans le canton de Vaud, les contrôles ont diminué depuis la fin du financement fédéral. En 2024, 260 contrôles effectués et 35 avertissements notifiés, contre 499 contrôles effectués et 108 avertissements notifiés en 2023. Élu UDC au Grand Conseil, Romain Belotti avait interpellé le Conseil d'État en janvier dernier, s'étonnant du grand nombre de travailleurs frontaliers sur le territoire, et doutant de la bonne application de la préférence indigène. Le Conseil d'État lui a répondu en avril, indiquant qu'aucun «élément tangible ne permet de présumer que cette augmentation de travailleurs frontaliers se fait au détriment des personnes domiciliées dans le canton en recherche d'emploi». Stratégie nationale
Si la préférence nationale a fait long feu, pourquoi ne pas la supprimer? Le Conseil fédéral a fait le choix inverse: avec la «Stratégie service public de l'emploi 2030» , il veut aider les ORP à améliorer le recrutement, plutôt que de passer du temps à faire des contrôles et à sanctionner. Les syndicats participent activement au programme. Daniel Lampart, premier secrétaire et économiste en chef de l'Union syndicale suisse (USS), admet au sujet de l'obligation d'annonce que «l'ancienne logique policière est un souci. Mais si les ORP améliorent la correspondance entre les candidats et les postes ouverts, alors on entrera dans une nouvelle logique favorable pour les chômeurs.»
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24 Heures
18 hours ago
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Une loi forçant à prévoir des bureaux convertibles est annulée
Le Grand Conseil voulait que les bureaux soient construits en prévoyant une potentielle transformation en logements. Veto de la justice. Publié aujourd'hui à 15h25 Genève, le 19 mai 2023. Photos du chantier de la gare de Chêne-Bourg. Magali Girardin Faut-il qu'en zone de développement, les bureaux soient planifiés en prévoyant une possible conversion en logements sans travaux majeurs? Pas selon la Chambre constitutionnelle, qui a annulé une loi adoptée en 2024 par le Grand Conseil. Votée par la gauche, LJS et le MCG, elle prévoyait une telle obligation pour limiter la crise du logement. Selon «Le Temps» , la justice a accepté un recours porté par la Chambre genevoise immobilière (CGI). «La mesure ne respecte pas le principe de la proportionnalité. Elle est donc contraire à la garantie de la propriété et à la liberté économique», selon l'arrêt du 26 juin. Pourquoi? Car les surcoûts «vraisemblables» de 15% grèveraient trop le rendement d'un projet. Conversion impossible En outre, ces immeubles hybrides «risquent d'être peu adaptés à chaque type de construction», et donc de perdre en qualité. Exemples: l'orientation nord apporte la meilleure lumière pour travailler mais est peu propice pour un logement, les ascenseurs surdimensionnés des bureaux sont inutiles pour des logements, etc. Sans compter des questions de bruit ou de sécurité, qui rendent souvent une transformation impossible ou non souhaitable, rendant la loi «faiblement apte» à atteindre son objectif. Son auteur, le Vert Philippe de Rougemont, se dit «très déçu»: «Il y a près de 300'000 m² de bureaux vides , nous avons écouté les professionnels selon qui les reconversions sont très compliquées, faute d'avoir été prévues en amont. Par exemple, la loi n'envisageait pas des baignoires, mais les canalisations pour les ajouter ensuite.» Il reproche au Conseil d'État d'avoir renoncé à rédiger un règlement précisant les modalités et les exceptions, sans lequel la loi «est effectivement disproportionnée». D'ailleurs, un juge minoritaire estime que le recours aurait dû être rejeté justement parce que le Conseil d'État pouvait faire en sorte que le principe de proportionnalité soit respecté. Les Verts reviendront à la charge avec un nouveau projet plus précis. Moratoire Un règlement n'y aurait rien changé, rejette Christophe Aumeunier, secrétaire général de la CGI . Car «les plans localisés de quartier (PLQ), très stricts, empêchent les conversions». Dès lors, faute de garantie qu'une conversion sera autorisée, il est disproportionné d'obliger à prévoir des immeubles à double usage. Il préconise de faire confiance aux privés pour anticiper de futures conversions quand elles sont rationnelles. Et d'assouplir les PLQ. Philippe de Rougemont, lui, appelle à un moratoire sur la construction de bureaux. De quoi mettre en péril le développement économique du canton et sa prospérité, répond Christophe Aumeunier. Newsletter «La semaine genevoise» Découvrez l'essentiel de l'actualité du canton de Genève, chaque semaine dans votre boîte mail. Autres newsletters Rachad Armanios est journaliste à la rubrique genevoise depuis août 2022 et couvre en particulier la politique cantonale. Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.


24 Heures
19 hours ago
- 24 Heures
La Suisse se fait griller la priorité par l'UE sur les droits de douane
Alors que Washington et Bruxelles ont conclu un accord à 15% ce dimanche, Berne, qui a décidé de faire cavalier seul, ronge toujours son frein. Publié aujourd'hui à 14h34 Mis à jour il y a 7 minutes Le président des États-Unis, Donald Trump, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ainsi que leurs délégations ce dimanche en Écosse. AFP En bref: La Suisse se serait-elle trompée de stratégie? Alors qu'elle semblait à bout touchant d'un accord avec les États-Unis sur les droits de douane, voilà qu'elle se fait dépasser par l'Union européenne, qui vient de signer dimanche un accord avec Trump pour les limiter à 15%. Or, dans cette affaire, l'historique fait mal. Quand le président américain a dégainé sa menace le 2 avril , la Suisse a d'abord découvert, stupéfaite, qu'il avait l'intention de taxer ses exportations plus lourdement que celles de l'UE: 31% contre 20%. Dans la foulée, Berne et Bruxelles ont alors eu des approches radicalement différentes. Du côté de l'UE, le discours a très vite été de répondre œil pour œil dent pour dent. En face, la Suisse s'empressait de rejeter toute escalade . Longtemps, cette approche semblait avoir été la bonne. En mai, le Conseil fédéral déclarait même espérer être le deuxième pays , après le Royaume-Uni, à trouver un accord. Les Européens, eux, étaient toujours dans un bras de fer économique. Autant dire que ce dimanche a eu des allures de douche froide, quand Donald Trump et Ursula von der Leyen ont annoncé avoir conclu. Car la Suisse, elle, continue de ronger son frein. C'est en effet le 1er août que le couperet des 31% pourrait tomber. «Chacun défend son pré carré» La Suisse se serait-elle plantée de stratégie? «Pas du tout, répond Michaël Buffat (UDC/VD). Que l'UE conclue avant nous est une chose, mais l'important, c'est ce qu'il y a dans l'accord; pas le timing. Et pour le moment on ne sait pas ce contiendra notre deal avec Washington.» Pour lui, il aurait été faux de s'allier avec l'UE. «Ce que nous voyons, c'est que chacun défend son pré carré. Et les spécificités de l'industrie d'exportation suisse ne sont pas les mêmes que celles de nos voisins européens.» Sidney Kamerzin (Le Centre/VS). Services du Parlement Du côté du Centre, Sidney Kamerzin (VS) rappelle que la Suisse – qui ne fait pas partie de l'UE – n'avait pas vraiment le choix de faire cavalier seul et qu'il ne sert à rien de jalouser Bruxelles. «Cet accord est même plutôt encourageant pour nous. Ça montre qu'il y a une marge de manœuvre pour négocier avec l'administration américaine. Nous pourrons nous appuyer sur ce résultat.» Et de souligner que les États-Unis n'auraient aucun intérêt à punir la Suisse, «alors que nous sommes des partenaires commerciaux de longue date et que nous investissons énormément sur leur territoire». Carlo Sommaruga (PS/GE). Service du Parlement «Je n'ai pas d'états d'âme à voir le Royaume-Uni, le Japon ou l'UE conclure avec les États-Unis avant nous», commente pour sa part Carlo Sommaruga (PS/GE), qui trouve même cela assez logique. «Ce sont là de grands exportateurs vers les USA. On a beaucoup surjoué le rôle qu'auraient eu Karin Keller-Sutter, Guy Parmelin ou la secrétaire d'État à l'Économie et leurs contacts privilégiés avec l'administration américaine. Au final, il faut se rendre compte que la Suisse et ses 9 millions d'habitants, c'est peanuts comme marché, surtout si l'on exclut les pharmas et l'acier.» Berne n'aurait-elle pas dû faire front commun avec Bruxelles? «On saura à la fin si la stratégie était juste ou pas.» Et d'apporter un autre élément d'analyse: la politique monétaire de la Suisse. «Il y a les droits de douane, mais aussi la force du franc. En jouant sur cette variable, la Banque nationale suisse peut favoriser ou péjorer nos exportations. Je ne serais pas étonné que les États-Unis attendent de voir ce que va faire la BNS ces prochaines semaines avant de conclure.» Les Verts, eux, sont les plus sévères sur la stratégie adoptée par Berne. «Cela fait un mois que le Conseil fédéral attend une lettre de l'administration Trump, après qu'il a de son côté approuvé un projet de déclaration d'intention commune, réagit la présidente du parti, Lisa Mazzone. Le fait que l'UE passe avant démontre ce que nous disons depuis le début: ensemble, on est plus fort.» Cela étant dit, la Genevoise voit l'accord sur les droits de douane conclu entre Bruxelles et Washington d'un œil critique: «Le deal est clairement déséquilibré en faveur de Trump. Et il se fait sur le dos du climat, avec des engagements à long terme sur les énergies fossiles américaines qui vont saper les objectifs de l'UE.» Plus sur les droits de douane, la Suisse, l'Union européenne et les États-Unis Newsletter «Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l'info? «24 heures» vous propose deux rendez-vous par jour, pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre Canton, en Suisse ou dans le monde. Autres newsletters Florent Quiquerez est journaliste à la rubrique Suisse depuis 2015. Spécialisé en politique, il couvre avant tout l'actualité fédérale. Auparavant, il a travaillé comme correspondant parlementaire pour les Radios Régionales Romandes. Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.


24 Heures
21 hours ago
- 24 Heures
Terroir local: la bière 100% suisse reste une rareté
Faut que ça brasse! – La bière 100% suisse reste une rareté Pour la fête nationale, deux brasseries romandes ont concocté une bière composée d'ingrédients suisses. Une démarche qui reste relativement rare. Explication. David Genillard Pour la fête nationale, Qrew et son brasseur Chris Treanor (au centre) ont réalisé un triptyque de bières 100% suisses. Jérôme Rebetez et René Bage de BFM ont participé à l'élaboration d'une saison à base de malts jurassiens. Florian Cella/Tamedia Abonnez-vous dès maintenant et profitez de la fonction de lecture audio. S'abonnerSe connecter BotTalk En bref : Qrew propose trois bières 100% suisses pour le 1 er Août. Août. Malgré le succès du terroir régional, les mousses élaborées avec des ingrédients suisses restent rares. Depuis l'ouverture de la malterie de Satigny, Genève a fait un immense pas dans cette direction. Sur Vaud, seules trois brasseries proposent des bières locales, dont la Brasserie du Jorat. Le terroir local a bonne réputation. Pourtant, dans le monde brassicole romand, dénicher une authentique bière locale tient de la gageure. Fête nationale oblige, Qrew a décidé de rendre hommage au terroir helvétique. La brasserie créée par la société QoQa et basée à Bussigny propose pour l'occasion un triptyque élaboré à base de malts et de houblons suisses. Des bières estivales simples et désaltérantes: Au lac, En forêt et À la Montagne sont, respectivement, une landbier, une saison et une pale-ale aux abricots du Valais. Le 8 juillet, le brasseur de Qrew Chris Treanor recevait Jérôme Rebetez, fondateur de la BFM (Brasserie des Franches-Montagnes) et pionnier dans le domaine en Suisse romande, et son maître brasseur, René Bage. Outre sa propre souche de levure, le duo jurassien a notamment amené les malts, issus de Malticulture, malterie basée à Delémont. Jérôme Rebetez ne tarit pas d'éloges sur le travail de cette entreprise et la qualité de sa production. La gamme de BFM compte pourtant majoritairement des céréales allemandes. Une première raison à ce choix: Malticulture touraille en moyenne 50 tonnes d'orge par an. Un volume qui ne suffirait de loin pas à répondre aux besoins de BFM. Loïc Eggenschwiler, de Malticulture en convient: «Les grosses brasseries n'arrivent pas tourner exclusivement avec des grains suisses. Elles se concentrent donc en général sur une bière locale à leur assortiment. Ce sont plutôt les plus petites structures qui peuvent s'approvisionner uniquement chez nous, à l'image de la brasserie Blanche Pierre à Delémont.» L'autre raison est financière: le malt suisse est plus cher que celui des géants industriels, notamment allemands. «Avec du grain suisse, on est presque au double du prix, mais c'est normal: les grands groupes transforment des volumes bien plus importants; ils peuvent réaliser des économies d'échelle. Et les salaires dans l'agriculture ne sont pas les mêmes en Suisse», poursuit Jérôme Rebetez. Jérôme Rebetez salue la qualité du grain fourni par Malticulture. Mais la production annuelle ne suffit pas à répondre aux besoins de BFM. Florian Cella / Tamedia Marges réduites À ce surcoût s'ajoutent ceux liés à l'énergie. «Au final, un fût de bière réalisée avec des ingrédients locaux va coûter entre 15 et 18 fr. de plus et une bouteille entre 30 et 35 centimes. Or, les consommateurs disent vouloir des produits locaux, mais peu sont prêts à payer pour.» En conséquence, peu de producteurs font le choix du local. Sur les quelque 80 brasseries vaudoises inscrites auprès de la Confédération, trois seulement proposent des mousses labellisées Vaud Certifié d'ici: la Brasserie du Jorat à Ropraz, Edamus au Mont-sur-Lausanne et la Talentueuse à Chavornay. Le Jorat est donc le seul poids lourd à avoir pris ce tournant avec sa Vaudoise et sa Bio. Sur les étals, la différence se fait légèrement sentir: «Nous vendons nos bières standards à 3 fr. 80 la bouteille; la Vaudoise et la Bio sont vendues 3 fr. 95 et 4 fr. 05, précise Alexandre Clerc, codirecteur. Nous ne répercutons pas complètement la différence. Si nous le faisions, nous devrions vendre la Bio environ 4 fr. 30.» Changement de panorama à Genève où les bières labellisées GRTA (ndlr: Genève Région – Terre Avenir, label certifiant une provenance genevoise de la matière première) sont de plus en plus nombreuses. À elle seule, la Brasserie du Virage affiche sept bières labellisées sur son site et les autres artisans ne sont pas en reste. La différence? Le canton peut s'appuyer sur la malterie de Satigny, qui transforme en moyenne 100 tonnes d'orge par an, et une seconde a ouvert plus récemment, en France voisine, à Viry. Le malteur de Satigny Thomas Malaquin n'entre pas dans les détails sur l'écart de prix. «Oui, il y a une différence, mais c'est surtout une philosophie différente. Les céréales sont cultivées par les agriculteurs de la région, nous les trions méticuleusement, chaque lot fait l'objet d'une analyse en laboratoire, ce qui était une demande des brasseurs…» La Bio fait partie des deux bières locales à l'assortiment de la Brasserie du Jorat. PATRICK MARTIN/24HEURES Avant même l'ouverture de la malterie, les artisans s'étaient engagés à acheter l'entier de sa production, et les membres de l'ABIG (Association des brasseries indépendantes genevoises) privilégient cette matière première. Fondateur de La Source à Soral, Loïc Pillet en convient: «On pourrait payer notre malt 50 centimes par kilo en l'achetant chez Weyermann (ndlr: principal acteur de la branche). Là, on est plutôt à 1 fr. 80, 2 fr., mais à notre échelle, la question ne se pose même pas. Nous préférons réduire nos marges et travailler avec des produits locaux. Je suis convaincu que c'est un argument que les consommateurs et les revendeurs apprécient.» «On ne fait clairement pas ça par souci d'économie, mais il y a des questions à se poser sur le fonctionnement du commerce international, confirme Stefan Jakob, fondateur du Père Jakob à Soral, qui malte sur place les céréales de ses producteurs. En privilégient le circuit court, on s'assure de garder un certain contrôle sur notre matière première.» Palette limitée Autre raison qui oblige encore les producteurs de bières suisses à s'approvisionner à l'étranger: un assortiment suisse limité. À Satigny comme à Malticulture, celui-ci se concentre sur les classiques – malts blonds ou caramélisés, blé malté… «Cela peut être une limitation, convient Chris Treanor. Mais ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Lorsque l'éventail est trop large, on risque de se retrouver avec une recette trop complexe, ce qui n'est pas le but avec ces styles de bières.» Cet article vous a plu? Découvrez davantage de contenus dans l'édition actuelle de l'e-paper «Le Matin Dimanche» et dans nos archives. Chaque dimanche matin, retrouvez également votre journal en caissettes près de chez vous. Vous pouvez aussi vous inscrire à notre newsletter. Newsletter «Gastronomie & Terroirs» «24 heures» suit depuis toujours l'actualité gastronomique et culinaire. Recevez, chaque vendredi, une sélection d'articles sur la restauration, la cuisine, les produits du terroir et le vin. Autres newsletters Se connecter David Genillard est journaliste depuis 2007 au sein de la rédaction de 24 heures, chargé plus spécifiquement, depuis 2025, de la couverture du Valais romand. Auparavant, il a travaillé durant plus de 15 ans à la rubrique Vaud & Région, où il a notamment couvert l'actualité du Chablais et des Alpes vaudoises. Il a également participé en 2021 au lancement de l'hebdomadaire Riviera-Chablais Votre Région, partenaire de 24 heures. Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.